Pourquoi le festival Jazz au fil du Cher, qui fête sa vingtième édition dans l'Allier, doit beaucoup à Gérard Lenorman
Été 2002. Fraîchement élu à la tête de la mairie de Lavault-Sainte-Anne, Samir Triki nourrit de grandes ambitions pour sa commune. Et si on organisait une fête de village "pour animer le bourg" ? L’idée séduit les habitants, Dave est la première tête d’affiche annoncée. Sauf que le chanteur se blesse.
Au pied levé, le producteur propose Gérard Lenorman. Pas de problème pour les organisateurs qui se font une joie d’accueillir le "petit prince de la chanson française" au Pré de Chauvière. Joie de courte durée. Car, le jour du concert, Lenormand est de très mauvais poil. Il fait chaud en cette fin d’après-midi et la foule n’est pas au rendez-vous.
Sur scène, Lenormand envoie une pique dévastatrice. "Je viens de Belgique où j’ai chanté devant 4.000 personnes. Je n’ai jamais chanté devant 200 personnes." Si, à la demande des organisateurs, la " star " en vient à présenter ses excuses, le mal est fait. Pécheur de son état, Philippe Martinet, l’un des bénévoles, prend la mouche.
Je lui ai lancé des pièces en lui disant "Écoute le troubadour, viens jouer pour tes seigneurs !"
Le propos n’est pas apprécié par tous et Philippe Martinet est " transféré " de la sécurité à la circulation. Aujourd’hui, l’histoire fait sourire tout le monde. Ce qu’elle ne dit pas, c’est que l’accrochage avec Gérard Lenorman est à l’origine de la création du festival Jazz au fil du Cher.
Samir Triki raconte. "Quand on a vu comment ça s’est passé, on a dit “plus jamais ça”. Or, il se trouve que j’ai rencontré ce jour-là Isabelle Bardy qui s’occupait du jazz à la MJC. Elle connaissait aussi Daniel Marquet des Amis du Jazz. Lui, c’est un fan du jazz. Moi, j’aimais bien mais je n’ai pas sa culture."
Trois entités distinctesDans les mois qui suivent le concert de Lenorman, le projet prend forme autour de trois entités distinctes. La commune de Lavault-Sainte-Anne s’occupera de la partie financière et de l’organisation. La MJC et son directeur Philippe Llamas, lui aussi grand connaisseur du jazz, aura en charge la partie technique. Les Amis du Jazz, eux, feront la programmation du festival.
Si Daniel Marquet a quitté Montluçon pour se rapprocher de sa famille du côté de Villefranche-sur-Saône, je l’appelle tous les ans pour savoir si nos choix musicaux sont judicieux.
Le premier festival Jazz au fil du Cher, le nom est trouvé par Daniel Marquet, se tient les 26 et 27 juillet 2003 à Lavault-Sainte-Anne. Dans La Montagne du 24 juillet 2003, le chef de file des Amis du Jazz fixe les lignes directrices. "Faire découvrir à la population locale et aux estivants un jazz vivant et festif, explorer toute la variété des musiques de jazz et créer des rencontres."
Ibrahim Maalouf s'est produit en 2010 au Pré de Chauvière. Il n'était pas aussi célèbre qu'aujourd'hui.
Une scène est aménagée devant la mairie, une autre au Pré de Chauvière, en bordure de rivière, pour accueillir dix groupes sur les deux jours. La tête d’affiche, le Hot Antic Jazz Band, fait sensation. "C’était une vraie soirée louisianaise", s’enthousiasme un spectateur. Plus de 3.000 spectateurs sont recensés, un vrai succès populaire !
Philippe Martinet, qui est cette fois aux fourneaux, rembobine le fil du Cher. "On avait fait 1.000 saucisses, 1.000 merguez et 500 côtelettes. Il n’y avait pas de tables, les gens pique-niquaient gentiment sur les bords du Cher." "Il faisait beau, l’accueil était sympathique. On a senti qu’il se passait quelque chose", prolonge Samir Triki qui ne veut pas limiter ce festival à la seule commune de Lavault-Sainte-Anne.
Un budget de 120.000 €Très rapidement, l’élu prend contact avec Daniel Dugléry, le maire de Montluçon. Pour grandir, il faut que ce festival devienne "communautaire". "De mémoire, on a obtenu 10.000 € sur la base d’un festival étendu à quatre jours, deux sur Lavault et deux sur des communes de l’agglomération."
En juillet 2004, la salle municipale de Saint-Victor accueille le groupe montluçonnais Acoustic Jazz Band pour lancer la deuxième édition du festival. Une association est créée pour pouvoir obtenir des financements. Elle s’appelle Adell (Association pour le développement des loisirs à Lavault-Sainte-Anne).
À "la cinquième ou sixième édition", les organisateurs se tournent vers de nouveaux partenaires. Par l’entremise de Bruno Rojouan, en charge de la culture, le Conseil départemental octroie une aide de 8.000 €. La Région met aussi la main à la poche à hauteur de 3.000 €. De 6.000 € à l’origine, le budget passe très vite à 60.000 €.
"Même avec 120.000 € aujourd’hui et une soixantaine de sponsors, on reste toujours un petit festival", estime Samir Triki. "On essaye de se démarquer en ayant un peu de flair. C’est ce qu’on a fait toutes ces années grâce à des gens comme Daniel Marquet, Philippe Llamas, Jean Messager, Pierre Baldovini et quelques autres."
Au moment d’acter la programmation, le maire de Lavault se souvient d’avoir joué parfois " les casques bleus " entre les Amis du Jazz, porteurs d’un jazz classique, et le docteur Baldovini " qui préférait un jazz plus ouvert .
Pour sa venue à Lavault-Sainte-Anne en 2018, Manu Dibango a réclamé une bonne bouteille de vin.
En vingt ans de festival, force est de constater qu’Adell a réussi quelques jolis coups comme de signer Ibrahim Maalouf pour 6.700 € juste avant qu’il obtienne sa Victoire du Jazz en 2010. Loin, bien loin de son cachet de 65.000 €, jeudi soir, à Athanor. "Un prix d’ami", assurent les organisateurs. Quand il le faut, Adell sait aussi négocier.
Une bouteille de vin pour ManuEn 2018, Manu Dibango réclamait 18.000 €. Après négociation avec la "prod", le cachet est tombé à 11.000 €. "On a joué sur le fait que Lavault était sur le trajet de sa tournée", se souvient Samir Triki. "Il nous a juste demandé une très bonne bouteille de vin. On ne regrette pas car il a fait un show formidable."
Plus de vingt ans après le début de cette formidable aventure, Samir Triki le dit tout net. "On ne pensait pas être encore là aujourd’hui. En fait, on a eu la chance d’avoir quasiment toujours beau temps, on n’a jamais eu aucun incident notable et on s’est toujours montré très rigoureux sur le budget. C’est sans doute ce qui a fait notre succès." Un succès mérité.
Annulation. À deux reprises, les organisateurs ont été contraints d’annuler le festival (2020 et 2021). Pas à cause de la pluie, qui n’a jamais été vraiment un problème, mais en raison du Covid. En 2022, Adell a repris les artistes qui avaient été programmés en 2020.
Fabrice Redon