Il y a ceux qui visitent et ceux qui tracent : les voyageurs à vélo ne sont pas des cyclotouristes comme les autres
Alexis et Jeanne, d’Orléans, partent à vélo tous les étés avec leurs enfants
« Avec ma femme, nous sommes adeptes de la randonnée pédestre, mais nous préférons pratiquer en montagne. Il y a quelques années, sur le GR3, qui suit la Loire, on s’est dit que ce serait mieux à vélo, notamment parce qu’on ne compte pas ce qu’on emmène au kilo près » , retrace Alexis Guiot. Ses parents avaient commencé à partir sur les routes en couple, et c’est pourquoi, Aubin s’est retrouvé à 9 mois dans une carriole tractée par son père. D’été en été, Aubin, qui a aujourd’hui 12 ans, et sa sœur Héloïse, 9 ans, ont connu la carriole, puis le vélo enfant tracté. Cette année, pour la première fois, Héloïse pédalera seule dans le sillage de son frère et de ses parents.
Alexis et Jeanne prennent soin de faire adhérer les enfants à ce mode de vacances : distances raisonnables, régions sans trop de dénivelés et destinations un peu originales sont les critères de vacances à vélo réussies pour la famille Guiot. « On fuit la chaleur et la grande foule. Nous sommes allés à plusieurs reprises aux Pays-Bas et au Danemark, que l’on peut visiter à vélo en toute sécurité », revendique Alexis.
Cette famille orléanaise a bien sûr rallié l’embouchure en pédalant en bord de Loire et a fait, un autre été, le tour du Cotentin. Cette expérience d’une dizaine d’années ne pousse pas Alexis et Jeanne à mettre chaque été la barre plus haut au niveau physique : « Il est important pour nous de réserver du temps aux visites et de ne pas arriver trop tard au camping.
Les plus de l’itinérance à vélo en famille pour Alexis Guiot : « Ce sont des vacances 100 % en plein air et qui sont l’occasion de faire une activité physique et on voit des choses nouvelles tous les jours ». Un point négatif ? « Même s’il n’est pas nécessaire d’avoir des super vélos, cela demande un peu d’investissement au départ pour les sacoches et le matériel de randonnée. Ce qui peut faire un peu cher si on veut juste tester… »
Marie-Noëlle partage son expérience du voyage à vélo avec ses hôtes en Creuse
Marie-Noëlle Legendre a fait de la compétition à haut niveau en course d’orientation mais le vélo est depuis toujours un fil conducteur dans la vie de cette jeune femme installée depuis une dizaine d’années dans la Creuse. À 14 ans, cette Brestoise d’origine faisait le tour du Finistère à VTT. Marie-Noëlle cite d’autres voyages initiatiques, comme cette grande traversée des Alpes : « Je suis revenue de Slovénie à vélo, après une course d’orientation ».
A 18 ans, elle est partie pédaler au Danemark. Quant au tour d’Europe, elle l’a réalisé en famille, avec ses deux enfants (de six et deux ans à l’époque). Six mois, 4.000 kilomètres. « Je suis compétitrice dans l’âme », admet Marie-Noëlle, qui mène désormais de front une reconversion professionnelle comprenant un cursus universitaire, l’éducation de ses enfants, une rénovation de maison et une pratique de la « longue distance » . L’été dernier, elle a traversé la France entre Dunkerque et Bagnères-de-Bigorre. Un rallye dédié aux femmes de 1.200 kilomètres (en six jours).Elle calme un peu le jeu cet été en s’élançant sur La Vagabonde, la nouvelle véloroute qui traverse la Creuse. Un itinéraire dont Marie-Noëlle Legendre pourra parler à ses hôtes. Elle vient d ouvrir à Guéret, La Pause vélo, un hébergement dédié à l’itinérance, en mode chambre d’hôtes et gîte d’étape. En plus des conseils autour des pratiques de sports nature et des itinéraires, elle propose des ateliers de « vélonomie » qui permettent d’« acquérir de l’autonomie en matière de mécanique vélo » et donc de se débrouiller en voyage.
Alain raconte les raids héroïques des bike-packers depuis l'Auvergne
Une autre voie entre la course cycliste et le tourisme à vélo, c’est ce que tracent les « bike packers ». Depuis dix ans, le magazine 200, qui est fabriqué dans un village auvergnat, est une balise, un point de ralliement trimestriel pour les adeptes du raid-aventure sur deux roues. Le fondateur, Alain Servan-Puiseux, transpire toujours sur sa copie et sur les gravillons pour alimenter cette aventure éditoriale singulière et à succès en récits épiques. Clairement, les véloroutes balisées sont un peu trop « plan-plan » pour les lecteurs de 200. Alain Servan-Puiseux et ses rédacteurs tracent des itinéraires souvent baroques qui tiennent parfois à un jeu de mots « oulipien ». « Il faut que ça raconte une histoire », justifie le rédacteur en chef. Voire la grande histoire : le cyclo-journaliste a ainsi suivi la route du champion Gino Bartoli, qui, pendant la guerre, traversait l’Italie à vélo avec des photos d’identité afin de réaliser des faux papiers pour des Juifs persécutés.La chance de « 200 » est d’avoir accompagné l’explosion du « gravel », ce vélo hybride venu d’Amérique capable d’emprunter des chemins de traverse non goudronnés : « Il s’en vend désormais plus que des vélos de route », note Alain Servan-Puiseux.
Cette robuste machine peut transporter un peu de matériel à l’image de l’antique « randonneuse » des voyageurs à vélo du siècle dernier. Derrière l’effet de mode, il y a une esthétique propre, voire une « éthique étique » du « bike-packing » : une légèreté, un dépouillement, qui favorisent le dépassement de ses propres limites. Le magazine 200 narre ces épopées, ces défis d’ultra distance aux kilométrages et aux dénivelés plus inhumains que les étapes du Tour de France (Transcontinental race Roubaix-Istanbul en 2024, Desertus bikus, la traversée de l’Espagne par ses déserts en moins de cinq jours…). Plus que le chrono, la rencontre et l’« entraide », insiste Alain Servan-Puiseux, sont le carburant de ces défis fous.
Dominique, de Saint-Etienne, a fait 60 km par jour sur l’itinéraire de la Loire à vélo
« Ma grand-mère fait du vélo » pourrait entonner l’un de ses petits enfants. Dominique leur consacre beaucoup de temps et ne se définit pas comme une « pratiquante » assidue de la bicyclette.« Ou alors en piscine, je vais au cours d’aquavélo », s’amuse cette Stéphanoise, âgée de 70 ans. Cet exercice régulier a en tout cas permis à Dominique Maestracci de répondre ce printemps à un défi lancé par sa sœur et ses cousins : six jours d’itinérance entre Orléans et Saumur, sur la Loire à vélo.
Cette équipe de quatre seniors chevauchait des vélos à assistance électrique. « Nous faisions des étapes de 60 à 70 km, sans peiner et en prenant le temps de visiter villes et châteaux », décrit la Stéphanoise. Dominique se souvient juste de quelques douleurs les deux premiers jours, le temps que le corps s’adapte. Des équipiers sur la « même longueur d’onde », le plaisir des « rencontres » : Dominique tire un bilan très positif de cette première escapade. Elle a particulièrement apprécié cet équilibre entre distance parcourue et temps consacré au tourisme et est prête à réitérer l’expérience. Seul bémol, le poids des vélos à assistance électrique. « Parfois, on était bien contentes d’avoir un garçon dans l’équipe », observe-t-elle.
Quatre profils de voyageurs à vélo-Les aventuriers
Pour faire le tour de la planète ou d’un continent, le vélo est prisé des aventuriers qui partent en solo, en duo ou même en famille. Il permet de voyager sobrement, à un rythme qui permet de s’imprégner des pays traversés et facilite la rencontre. Sur six mois, un an ou plus, cela représente évidemment des milliers de kilomètres avalés : les « montures » et équipements sont choisis pour leur robustesse et leur simplicité technique (afin de pouvoir être réparés en chemin). Ces grands voyages ont souvent un objectif humanitaire ou écologique.
Veloroute de la via fluva Haute-Loire Photo Un monde à vélo- Les touristes à véloOn les appelle aussi cyclotouristes, mais cela peut prêter à confusion avec la pratique du vélo de route (et donc sportif) en club ou en individuel. Même s’ils ne font pas de compétition, les cyclotouristes « traditionnels » ont des références tournées vers la course cycliste et non vers l’itinérance. Ils pratiquent plutôt la randonnée à la journée. Le « touriste à vélo » se lance sur plusieurs jours et est donc lesté de sacoches. Il peut même lui arriver de tracter une remorque. C’est un adepte du « slow tourisme » : pédaler n’est pas une fin en soi. Les paysages, le patrimoine voire la gastronomie le font avancer. Il peut être en autonomie (camping) ou rechercher le confort à chaque étape.
Des cyclistes sur la veloroute de La Loire a Velo. Photo Pierre Destrade
-Les bike-packersLe « bike packing », c’est de l’itinérance à vélo en version sportive. Cette pratique explose depuis une dizaine d’années avec pour emblème le gravel, un vélo taillé pour la performance mais capable de s’engager sur des pistes non goudronnées (sans être tout terrain non plus). Le principe du « bike packing », c’est l’itinérance en mode ultraléger, afin d’avancer vite et loin.Le gravel en mode randonnée sportive dans le Cantal
Le « nécessaire » embarqué se réduit donc au strict minimum, chaque gramme est compté. Les bike-packers effectuent des raids à vélo qui dépasse parfois allègrement de 200 km par jour…-La famille à véloIl existe un modèle « familial » du tourisme à vélo, assez repérable avec ses petits cyclistes tractés derrière le vélo d’un des parents, voire ses remorques dédiées aux bambins qui ne sont pas en âge de pédaler. L’accélération du développement des voies vertes et véloroutes multiplie les possibilités de vacances à vélo : le long des canaux, des rivières, ou sur les anciennes voies ferrées, les familles affectionnent les itinéraires bien sécurisés et… plats.
-Les propulsésLe vélo à assistance électrique (VAE) a fait ses preuves pour les déplacements du quotidien mais conquiert de nouveaux adeptes pour partir en vacances. Le réseau des véloroutes, en rapide expansion, offre autant de suggestions. Des combinaisons entre vélo « musculaire » et VAE, notamment lorsque les capacités sportives sont hétérogènes dans un couple ou un groupe. Le VAE permet à tous et notamment à des seniors d’envisager des itinéraires accidentés.
Julien Rapegno