Paris 2024 : "Pour les gens d'ici, c'est Toto et puis voilà", à Castelnau-Magnoac sur les traces d'Antoine Dupont
Castelnau-Magnoac. Un petit village d’à peine 800 âmes niché au pied du massif des Pyrénées. Un pays où les terrains de football sont quasi inexistants. En traversant les petites routes départementales entre Toulouse et Tarbes, on s’aperçoit rapidement, qu’ici, le ballon rond est tout sauf une religion.
Si vous n’êtes pas amateur de rugby, Castelnau-Magnoac ne vous dira pas grand-chose. Pour tous les autres, cette localité constitue un haut lieu de l’ovalie. Car elle a poli le plus beau joyau de ce sport. C’est là, aux confins du Gers, des Hautes-Pyrénées et de la Haute-Garonne, qu’Antoine Dupont a grandi.
Le phénomène a découvert le rugby sur la pelouse du petit stade Jean-Morère, situé en contrebas de la place du village. Nous sommes loin des fastes du Stade de France « pimpé » en version olympique. L’unique tribune a bien vécu et la hauteur du gazon demeure inégale en cette période de trêve estivale. Tout fleure bon le rugby régional, dans le sens le plus noble du terme.
"Toute la semaine, il (Antoine Dupont) avait toujours un ballon dans les mains"« Pendant les matchs de l’équipe première, Antoine et ses copains faisaient des petits matchs dans les en-but, nous décrit l’actuel coprésident, Sébastien Bousquet. Souvent, ils poursuivaient en haut sur la place du village. Toute la semaine, il avait toujours un ballon dans les mains. Il y avait son frère Clément qui était plus âgé. Antoine, lui, était le petit de la bande. »
À quelques encablures du stade, le grand frère, éleveur de porcs noirs de Bigorre, se trouve dans les champs, à proximité du domaine familial des Dupont. Un minuscule chemin permet d’y accéder directement. C’est celui qu’emprunte Antoine Dupont lorsqu’il rentre chez lui. Lorsqu’il s’était blessé lors de la dernière Coupe du monde, le demi de mêlée était venu se ressourcer quelques jours et assister, casquette vissée sur la tête, à la rencontre du Magnoac FC. Chose qu’il fait le plus souvent possible.
Interroger les gens du village sur la fierté locale, c’est convoquer à chaque fois de petites anecdotes qui aujourd’hui aident à comprendre comment le meilleur joueur du monde s’est forgé.
Reportage Antoine DUPONT Castelnau MagnoacOn apprend par exemple, qu’enfant, il adorait le Monopoly mais faisait une tête pas possible s’il venait à perdre. Un trait de caractère qui a visiblement marqué ses amis et anciens partenaires dans les catégories jeunes. « Qu’est-ce qu’il était mauvais perdant, se marre Fabien Setze, son ancien partenaire de rugby chez les jeunes. Quand on faisait un jeu, c’est lui qui fixait toutes les règles. Il se débrouillait tout le temps pour avoir raison et pour avoir le dernier mot. »
Un jeune homme mauvais perdant et ultra chambreur« On allait tous les dimanches au match de l’équipe du village. Mais on ne finissait jamais de le regarder pour jouer au rugby. Antoine voulait tout le temps gagner. Si on avait le malheur d’oublier de poser les règles avant une partie, il en inventait une au dernier moment pour annuler un essai », complète Kévin Guerrero un autre pote d’enfance.
Mauvais perdant, celui que tout le monde appelle affectueusement Toto. Mais aussi très chambreur. Une facette de sa personnalité qu’il n’a pas perdue avec l’âge. Ses vidéos postées sur les réseaux sociaux en attestent quelques fois. Ses coéquipiers de l’équipe de France à 7 en ont fait dernièrement les frais lors d’une partie de pétanque à l’INSEP. Mais qu’ils se rassurent, ce ne sont pas les premiers… Ni les derniers.
« Antoine a la chance d’être fort partout, souffle Fabien Setze. Il y a deux ans, nous sommes allés faire des parties de pelote basque à Lannemezan. Cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas joué et au final il nous envoyait la balle du fond du terrain. Et là, Antoine nous a sorti : “Bon les gars, je vais jouer de la main gauche pour vous laisser une chance.” C’est tout lui dans cette phrase (rires). »
Mais là où le jeune Antoine Dupont était le meilleur, c’était bien évidemment au rugby. Souvent surclassé dans la catégorie d’âge supérieure, le joueur traversait le terrain tout seul. Un petit côté « perso » qui avait tendance à exaspérer ses éducateurs de l’époque.
« Une fois, on l’avait obligé à attendre ses coéquipiers dans l’en-but pour qu’Antoine leur fasse la passe pour qu’ils puissent eux aussi marquer des essais », décrit le président Sébastien Bousquet. Pendant quelque temps, cela a même constitué un frein pour lui. En cadet, du côté d’Auch (à une cinquantaine de kilomètres de Castelnau-Magnoac), les entraîneurs refusaient de le faire jouer en équipe première tant qu’il ne se montrait pas plus collectif.
"Ici, c’est le monde réel"Mais Toto a bien évolué. Tant dans son jeu que dans sa personnalité. L’enfant timide de Castelnau-Magnoac est devenue l’une des figures incontournables du sport français. Derrière l’incontournable Kylian Mbappé, le rugbyman est probablement l’athlète tricolore le plus populaire. Véritable égérie publicitaire, Antoine Dupont est devenu une gueule, quasiment un produit marketing. Souvent pris dans un tourbillon médiatique, le calme de Castelnau-Magnoac est donc nécessaire à son équilibre.
« Il revient quand même souvent malgré son emploi du temps chargé. Je dirais quatre à cinq fois dans l’année », explique Sébastien Bousquet.
L’Hôtel dominant fièrement la place du village appartenait autrefois aux grands-parents d’Antoine Dupont.?(Photo Arnaud Clergue)On le sent dans les différents témoignages, Antoine Dupont est ici chez lui. Personne ne va le sursolliciter pour obtenir un autographe ou un selfie. La bienveillance est de mise. Et il s’agit d’une véritable respiration pour lui. Le meilleur joueur du monde a tout loisir de redevenir l’enfant du village.
Noémie y est installée depuis seulement trois ans. Cette restauratrice tient une petite boutique à proximité de la mairie. Il ne lui a fallu que quelques mois pour humer ce contexte particulier. Celui d’une petite commune unie derrière son champion.
« Avant qu’Antoine soit connu, c’était juste un gosse du village. Quand il vient ici, il sait qu’il peut être tranquille. À part quand il y a le marché le samedi (rires). Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de sportifs de haut niveau qui ont tout un village derrière eux, comme une véritable famille. Une fois, j'ai vu à la télévision qu’il était venu saluer sa mère dans les tribunes. Derrière, ce n’était que des habitants du village. Pour les gens de Castelnau, c’est “Toto” et puis voilà. En fait, ici, c’est vraiment le monde réel. »
De la jalousie chez les adversairesEn fait, les seuls contrecoups de cette immense notoriété viennent surtout de l’extérieur. Il y a bien évidemment les cohortes de journalistes venant rompre régulièrement la tranquillité des lieux. Il y a aussi et surtout la jalousie exprimée par les rivaux du club local. Le Magnoac FC étant monté quatre fois d’affilée pour atteindre la Fédérale 3, quelques-uns s’imaginent des moyens supplémentaires alloués par la star mondiale.
« Tout le monde vient ici avec la ferme volonté de nous taper », souffle Sébastien Bousquet. Mais tout le monde finit aussi par admirer les différentes reliques d’Antoine Dupont affichées sur les murs du club house, transformé en petit musée dédié au joueur.
Personne n’oublie non plus que sans sa renommée, Castelnau-Magnoac n’aurait jamais été ville départ du Tour de France en 2022. Les fanas de rugby n’auraient jamais non plus pu toucher le bouclier de Brennus ou la Coupe d’Europe.
Sur la petite place du village, juste en face de l’hôtel Dupont qui appartenait autrefois à ses grands-parents, on rêve désormais d’admirer l’or olympique. Toto de Castelnau n’est plus à un exploit près…
Arnaud Clergue