Déficits: ce qui attend à la rentrée un éventuel “gouvernement technique”
Bruxelles ouvre une procédure d’endettement excessif envers Paris. La France, qui n’a pas encore nommé de nouveau gouvernement, devra dire en septembre à la Commission européenne comment elle compte rétablir ses comptes pour rapidement rentrer dans les clous du pacte de stabilité budgétaire européen. À la Cour des comptes, Pierre Moscovici n’est guère optimiste: «La dette française s’élève déjà à 3100 milliards d’euros. Elle sera de 3600 milliards en 2027. Nous payons déjà 52 milliards par an pour la rembourser, ce sera 80 milliards en 2027. Il ne restera plus de marge de manœuvre pour financer les services publics et la transition écologique».
À la fin de son opus politique Le Nœud Gordien, Georges Pompidou notait « l’inaptitude profonde naturelle des Français à être gouvernés ». Mais ce caractère rebelle, batailleur et prompt à la querelle, pour atavique qu’il soit, n’a jamais empêché l’État français de fonctionner.
Vers un effondrement de l’État français ?
Or, pour la première fois en quatre-vingt ans, la question de la survie de cet État tel que nous l’avons connu se pose. Si aucune majorité claire ne se dégage du scrutin législatif, d’aucuns pourraient dire que la gauche en sort renforcée, une situation inédite qui pourrait contraindre Emmanuel Macron à choisir un Premier ministre issu de cette orientation politique. Il n’est même pas besoin de revenir sur la politique économique mortifère que promet la gauche française actuelle, si éloignée du réalisme de la gauche britannique nouvellement au pouvoir, par exemple. Son irréalisme, sa condamnation immédiate de tout redressement du pays, signalent le caractère ténu d’une accession au pouvoir d’un clan sectaire et agressif. Ce qui devrait en creux favoriser l’arrivée d’un gouvernement mi-technique, mi-transpartisan à forte composante centriste…
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Au-delà de ces dynamiques politiques immédiates et conjoncturelles, une menace bien plus grave plane sur la France : une crise financière d’une ampleur sans précédent, qu’aucune configuration politique et parlementaire ne saurait enrayer malheureusement, sauf à prendre de graves et courageuses décisions.
Essayons d’imaginer comment une telle crise pourrait se dérouler pour l’État, symbole de la continuité de la nation. Car la France fait face à une crise de la dette publique sans précédent. La dégradation de la note de notre dette publique par les agences de notation, et l’ouverture par Bruxelles d’une procédure d’endettement excessif, sont à la fois des symptômes et des accélérateurs de la dérive de nos finances publiques. La dette publique française a atteint un niveau record de 3 160 milliards d’euros, soit près de 111% du PIB ; mais au-delà de ce niveau absolu de dette, c’est un problème de liquidités à court terme qui pourrait se poser à l’État, alors que la charge des intérêts de la dette est en passe de devenir le premier poste budgétaire, menaçant de facto notre État-providence. Si nous voulons vraiment redresser la barre, en 2025, le gouvernement devrait idéalement réduire le budget de l’État de 50 milliards d’euros. S’il ne le fait pas lors de la discussion du Budget 2025, cet automne au parlement, il devra progressivement atteindre cet objectif avant 2027. Une coupe drastique dès cette année, pour satisfaire nos partenaires européens et la BCE, obligerait à arrêter les dépenses de l’État dès septembre, ce qui représenterait une économie brutale de 25 milliards d’euros sans aucun autre effort d’ajustement.
Qui succédera à Bruno Le Maire pour être un super-ministre des économies ?
Cet effort, dont on parle depuis deux mois, sans que rien n’ait été réellement entrepris par Bruno Le Maire, va obliger à verrouiller brutalement le tiroir-caisse de l’État dès la rentrée de septembre. Cela devrait permettre de réaliser au forceps une économie brutale de 25 milliards d’euros. Mais à quel prix ! À titre d’exemple, on sait déjà qu’au ministère de la Justice, les factures de certaines dépenses engagées ont été reportées à… 2025, créant ainsi des dettes fournisseurs autant scandaleuses qu’illégales, provoquant chez bien des fournisseurs des problèmes graves de trésorerie qui finiront parfois… au Tribunal de commerce ! Du côté des armées, le mythe de la « sanctuarisation » semble enterré depuis longtemps. Quant à l’Éducation nationale…
Notre système de retraites par répartition, déjà fragile en dépit de quelques réformes paramétriques souvent inutiles ces dernières années, pourrait s’effondrer très rapidement. Incapable d’emprunter plus, le système devrait choisir entre ponctionner plus les salariés, écrêter les plus hautes pensions ou réduire les pensions pour tous. Nul doute que les débats sur la capitalisation réapparaitront dès la rentrée. Après les retraites, c’est notre système de santé publique qui devrait rapidement faire l’objet de discussions sur une possible restructuration dans la douleur. Nous devrions alors voir l’apparition de nouvelles cliniques et maisons de santé privées que l’on payera au prix fort, ou accessibles aux adhérents de super mutuelles parfois financées par les employeurs pour leurs cadres supérieurs (lesquels votent Renaissance et LFI). Le risque est grand de voir certaines maladies chroniques basiques ne plus être prises en charge (ou moins bien prises en charge que maintenant), avec un décrochage de l’espérance de vie selon le lieu d’habitation.
Le contribuable peut aussi s’inquiéter
Une possible réponse immédiate pourrait être de nature fiscale: il n’y a pas besoin de l’accession au pouvoir de LFI pour envisager un recours à l’impôt pour cause d’ajustement des finances publiques. Une augmentation des prélèvements, par exemple de 20 milliards d’euros (l’effort minimum, si on ne fait rien sur la dépense publique), pourrait provoquer une récession – notre croissance étant à peine positive ces jours-ci – et un effondrement supplémentaire des recettes publiques (du fait d’une pression fiscale déjà trop élevée) : la réponse fiscale ne serait évidemment donc pas la panacée pour nous sortir de l’ornière.
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Nous entrerions alors dans une spirale infernale de réduction de la dépense publique (sous contrainte de Bruxelles, et des acheteurs de dette française) amplifiant ladite récession, l’effondrement des services publics qui tenaient encore, un débordement total des forces de sécurité intérieure, avec l’apparition d’une violence acquisitive inégalée depuis la Révolution (je vole ce que je ne peux acheter)… Face à un tel scénario d’effondrement total de l’État français, la tentation serait grande de procrastiner, et de ne toujours rien faire s’agissant des dépenses publiques.
Ce qui n’a pas été fait progressivement en matière d’ajustement – sous Emmanuel Macron, la dépense publique n’a jamais baissé et demeure peu ou prou au même ratio rapporté au PIB qu’en 2017 – doit-il être réalisé en quelques mois, au risque de précipiter un effondrement tant redouté par les Français ? Est-ce qu’un gouvernement technique transpartisan n’est pas la meilleure opportunité pour restructurer notre État, puisque les politiciens ne se sont jamais saisis du sujet ? Nul ne le sait, mais nous n’avons probablement le choix qu’entre des solutions assez douloureuses et imparfaites pour les douze prochains mois. Le chaos qui s’annonce n’a finalement qu’une seule vertu. Il permettra de démontrer une fois de plus un adage bien connu : Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. Plus que jamais, un autre projet politique est non seulement nécessaire, mais possible…
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