Pourquoi une équipe de géomètres a remesuré le puy de Sancy… au centimètre près
Tout part d’un clou. Planté dans la roche au sommet du puy de Sancy. C’est de là qu'est mesurée officiellement l’altitude du volcan endormi. La dernière mesure de l’Institut géographique national (IGN) remonte à 1955 : 1884,7 mètres. Une mesure qui va peut-être changer grâce aux petites mains de la société clermontoise Station lasers systems (SLS). Et surtout à la passion de la montagne de trois collègues : Nicolas, Tom et Paul.
Tous les trois sont de SLS. Les pentes du Sancy, les deux plus jeunes les dévalent l’hiver depuis qu’ils sont tout petits. Et ce sont eux, accompagnés d’une équipe de clients géomètres, qui vont se charger de mesurer le plus haut volcan en France métropolitaine. Et le plus haut du Massif central.
D’où vient-elle, cette idée ? "On veut toujours faire des choses décalées, répond Nicolas, ingénieur commercial et géomètre topographe. Nos confrères de la cellule Leica Geogystems France réalisent la mesure du Mont Blanc depuis 22 ans, tous les deux ans. Alors, on s’est dit : 'Pourquoi ne pas faire pareil chez nous ?'." Chauvins, les trois collègues. Mais pour s’assurer que tout est en place pour le grand jour, il faut vérifier. Mi-juillet, Nicolas et Tom sont montés au sommet du Sancy, équipés du GPS qui servira à la mesure. Un peu de recherche à côté de la table d’orientation au sommet et le clou est trouvé. Paré pour la mesure.
L’équipe avait évidemment tout prévu pour célébrer l’événement comme il se doit.
"C'est notre Mont Blanc à nous !"Vendredi 26 juillet. Le jour J pour Nicolas et son équipe. Le rendez-vous est donné au pied du Sancy. La lumière est magnifique, le paysage à couper le souffle. L’ambiance est bon enfant. Le poids se fait sentir : il faut monter avec le trépied, le GPS, un scanner 3D (pour scanner les crêtes du puy). L’ascension se fait avec une vingtaine de personnes, dont des clients de Station lasers systems. Rémi, Vincent et Amandine en font partie. Ils sont géomètres experts au sein du cabinet Bisio, à Beaumont, près de Clermont-Ferrand. D’ordinaire, ils se chargent du foncier, du bornage, de la division des propriétés. Mais là, la mission n’est pas la même. "On est super contents de pouvoir y participer. C’est un bel évènement", expliquent-ils en chœur. "Le Sancy, c’est notre Mont Blanc à nous ! Chacun son sommet", reprend Rémi. Eux se chargeront de scanner les crêtes.
Arrivés en haut, les géomètres investissent les lieux. Le large trépied est déployé, le GPS configuré. Les marcheurs, curieux, ne ratent pas une miette du spectacle. Aux manettes, Farouk Kadded. Ingénieur géomètre de formation, il explique le processus. Et c’est avant tout une histoire de satellites. "Il y a des constellations de satellites qui tournent autour de la Terre. On sait exactement où ils sont, ils nous envoient des ondes. Le GPS installé ici va capter des signaux plus précis. Si on veut avoir les données précises, il faut enregistrer pendant deux ou trois heures. Et après, l’IGN va récupérer les trajectoires des satellites, les observations, et faire le calcul dans un logiciel adapté. Cela nous permet d’être le plus exact possible." En tout, les relevés GPS dureront près de trois heures.
L’occasion de revenir avec Nicolas sur son ressenti sur cette (petite) aventure.
"Ce matin, il y a eu une petite dose de stress. Au fur et à mesure de l’avancée, on s’est rendu compte que l’événement et la mesure vont devenir officiels.
"Et là, j’ai pensé : 'Est-ce qu’on a bien tout emmené ? Est-ce que les batteries sont chargées ?'. Maintenant, je ne suis plus du tout stressé, la mesure est lancée. Plus qu’à profiter." Et les clients, qu'en pensent-ils ? "Tout le monde trouve l’idée cohérente, du fait que le point n’ait pas été mesuré depuis 1955. Je pense que grâce au cadre dans lequel on est, personne ne peut traîner des pieds." Deux heures et demie plus tard, le matériel est rangé.
Certes, il y a la partie scientifique, avec la prise de mesures, le scanner… Mais il y a aussi la partie randonnée, toujours un peu plus plaisante. Comme ici, lors de la descente du Sancy par le val de Courre, où le puy dévoile ses crêtes majestueuses.
La redescente se fait par le val de Courre. Un géomètre venu du Jura lance à son fils : "Tu préfères être là ou plutôt au bureau ?".
Le sourire fait office de réponse. Le temps que l’IGN récupère les données et les calcule, la hauteur précise mesurée le 26 juillet ne sera connue officiellement qu’à la rentrée. Mais les pronostics sont déjà lancés. A-t-il grandi ? Rétréci ? Patience…
La base de données géodésique de l’IGN indique une première détermination de la hauteur du Sancy en 1903. Mais il y a une zone d’ombre…
C'est-à-dire ?
Le seul point d’ombre concernant le site du Sancy est l’année de construction d’un point, nommé : "Pilier en briques : Cheminée centrale : Repère en bronze SGA : Axe et Base". Mais la borne SGA (Service géographique des armées, nom de l’organisme qui est devenu IGN en 1940) a dû être construite bien avant cette date à mon avis….
Et maintenant ?
Il ne reste qu’un seul point, matérialisé par un clou (à partir duquel Nicolas Reviron et son équipe prennent les mesures, NDLR), et en bon état. Il a été implanté et observé (donc déterminé) pour la première (et dernière) fois en 1955 lors de la mission de géodésie terrestre classique "AUVERGNE 1955". L’altitude était alors de 1884,6 mètres. Après calculs par l’IGN, l’altitude a été fixée à 1884,7 mètres. En 2020, un signalement d’un utilisateur de l’application "Géodésie de poche" a pu nous confirmer que le clou était encore en place.
Quel est l'intérêt de le remesurer ?
Cette mesure n’a pas un réel intérêt géodésique à être refaite en 2024. Elle est intéressante du point de vue scientifique et touristique, je dirais.
Texte : Adrien Fillon
Photos : Noa Thévenin