À Saint-Bonnet-le-Froid, l'histoire méconnue de ce héros de l’US Navy qui s'est écrasé en avion
L’année 1944 restera riche d’évènements décisifs et dramatiques dans l’Histoire. La Haute-Loire n’échappe pas à la règle. Loin des combats héroïques de la Résistance du mont Mouchet, il y a pourtant des faits qui sont restés méconnus. C’est le cas de ce crash aérien survenu le 20 août 1944 à l’extrême est de la Haute-Loire, tout près du village de Saint-Bonnet-le-Froid.Il y a 80 ans très exactement, un groupe de huit avions, des F6F-5 Hellcat, appartenant à l’unité VF-74, que dirige le lieutenant-commandeur Harry Brinkley Bass, décollent du porte-avions USS Kasaan-Bay au large de la Méditerranée. Depuis le débarquement de Provence le 15 août, cette unité apporte un soutien important aux troupes au sol, en mitraillant ou en bombardant des cibles allemandes. Ce 20 août, la mission débute dans le Gard, avec un mitraillage d’un camion à Alès puis d’une locomotive en Ardèche, à Aubenas. Le groupe de chasseurs doit ensuite bombarder un pont au Puy-en-Velay (on ignore lequel) mais celui-ci est manqué. Avant de rejoindre Annonay où se trouve la prochaine cible, les huit avions survolent la commune de Saint-Bonnet-le-Froid vers 13 heures ; c’est là que se noue le drame.
Une plaque sera installée prochainement en mémoire du pilote américain sur le mur de l'église de Saint-Bonnet-le-Froid.À l’entrée du bourg, le commandant de l’unité aperçoit un side-car ennemi. Il décide de l’attaquer. Il s’agit en réalité (le pilote américain l’ignore) d’un résistant qui aurait eu le temps de se réfugier dans la ferme de Régis Jourdy à l’entrée du bourg (face à l’actuelle station-service). Dans sa descente, l’avion aurait heurté quelque chose comme un poteau ou la pointe d’un arbre peut-être, selon des témoins de l’époque. Le Hellcat est endommagé. Le rapport officiel de l’US Navy détaille ainsi que « l’avion est descendu très bas dans sa course de mitraillage et son réservoir de carburant largable a heurté le sol ou un objet au sol et a été endommagé ». L’avion grimpe alors subitement, le pilote ne répond plus à ses équipiers à la radio. L’appareil effectue ensuite une courbe sur sa gauche et replonge brutalement, pour venir s’écraser au lieu-dit « Les Moulins », à quelques centaines de mètres en contrebas du bourg de Saint-Bonnet-le-Froid, dans la vallée de la Saint-Bonnette, au milieu de la forêt.
Difficile d'imaginer que c'est ici, au milieu des bois, que l'avion s'est écrasé il y a exactement 80 ans.
L’appareil explose et prend feu ; Harry Brinkley Bass est tué sur le coup. Il avait 28 ans. Les autres avions survolent la zone, puis se rendant compte que leur chef n’a aucune chance de survivre, repartent terminer leur mission. Contrairement à ce que beaucoup ont longtemps supposé, ce ne serait donc pas des tirs qui auraient eu raison de l’appareil. Thibaut Coupiac a retrouvé, via internet, l’un des ailiers d’Harry Brinkley Bass, Leo Horacek, qui le suivait le jour de l’incident. Il était presque centenaire lorsqu’il a pu échanger avec lui sur ce qu’il s’était passé.
Pour lui rendre hommage, un destroyer de l’US Navy a porté son nom« J’étais l’ailier d’Harry ce jour-là. Une fois qu’il a commencé à plonger pour attaquer quelque chose au sol, son avion s’est comporté comme il l’aurait fait sans personne pour le contrôler. Malgré le rapport officiel, il n’y avait tout simplement personne dans la zone pour nous tirer dessus. Je pense que je l’aurais perçu et j’ai parlé plus tard à des gens qui étaient près du sol à l’époque et qui m’ont dit qu’il n’y avait pas d’Allemands dans la zone », a expliqué Leo Horacek à Thibaut Coupiac dans un échange par mail.Voilà le porte avion USS Kasaan-Bay d'où a décollé le pilote ce 20 août 1944, alors basé à Toulon.Contrairement au crash des Setoux à Riotord le 2 août 1944, faisant l’objet de cérémonies officielles devant une stèle, la mort d’Harry Brinkley Bass était un peu tombée dans l’oubli sur la commune. « Seuls les anciens dans le village, qui avaient été témoins de l’accident, s’en souvenaient » rappelle le maire Jean-Pierre Santy. Mais ils sont tous décédés aujourd’hui…
En faisant des travaux devant chez lui il y a quelques années, Serge a retrouvé ces munitions issues de l'appareil qui s'est écrasé juste en face de sa maison, un ancien moulinage au lieu-dit "les Moulins".
Des débris et des balles issus de l’avionLes jours et les semaines qui ont suivi le crash, des débris de l’appareil ont été récupérés par des voisins du hameau des Moulins, dont plusieurs ont été témoins de la chute finale de l’appareil. Dans l’ancien moulinage juste en face du lieu du choc, Serge, qui habite là depuis 20 ans avec son épouse, a même retrouvé il y a quelques années des munitions issues de l’appareil. Certaines n’avaient pas explosé dans l’incendie après le crash, ayant été projetées loin de l’appareil en feu.
J’étais en train de refaire le garage quand je les ai trouvées. On savait qu’un avion s’était écrasé ici, à quelques dizaines de mètres en face dans le bois, car un ancien nous l’avait expliqué.
« Ce sont des balles de calibre 12,7 mm qui étaient effectivement utilisées dans les six mitrailleuses qui équipaient l’appareil », confirme Thibaut Coupiac. Un coup d’œil sur la douille permet de vérifier l’année de fabrication (1942 et 1943) et les initiales du fabricant.Ces balles se trouvaient à bord de l'avion d'Harry Brinkley Bass le jour du crash. Elles n'ont pas explosé dans l'incendie qui a suivi le choc.L’histoire d’Harry Brinkley Bass n’est pas totalement inconnue en Haute-Loire, mais disons qu’elle a été oubliée depuis une trentaine d’années. Car dans les années 1990, un habitant des Villettes, un contrôleur aérien en retraite, Marcel Ertel, avait déjà réalisé d’importantes recherches sur cette histoire. Il avait retrouvé des témoins directs du crash. Son travail a d’ailleurs servi aux recherches de Thibaut Coupiac, notamment pour localiser le lieu exact où l’appareil s’est écrasé ce 20 août 1944. Marcel Ertel avait même inauguré chez lui, dans le jardin de sa maison, une imposante stèle à la mémoire d’Harry Brinkley Bass, faisant venir en France des membres de sa famille et même quatre des aviateurs de son unité encore en vie, dont Leo Horacek. Une inauguration très officielle avait eu lieu le 6 octobre 1996, 52 ans après les faits.Le pilote américain Harry Brinkley Bass était déjà un héros du Pacifique depuis le début de l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1942.
Bientôt une plaque commémorativeAprès le décès de monsieur Ertel, la stèle a été déplacée vers le cimetière des Villettes. Mais à Saint-Bonnet-le-Froid, rien n’honorait la mémoire d’Harry Brinkley Bass. Un vide que Thibaut Coupiac s’est employé à combler. La commune a financé une plaque. « Elle sera fixée sur le mur de l’église de Saint-Bonnet, à côté de notre Monument aux morts », indique le maire.Outre Atlantique, il avait été érigé en véritable héros national. Un bateau a même porté son nom entre 1945 et 1973 : le destroyer USS Brinkley Bass. Des spécialistes lui ont consacré des ouvrages et sont même venus en Haute-Loire pour rencontrer les derniers témoins du crash. Désormais, à Saint-Bonnet-le-Froid, le nom d’Harry Brinkley Bass restera gravé et sa mémoire honorée.Outre Atlantique, la tombe du pilote porte la mention de la ville où il a trouvé la mort le 20 août 1944.
Lionel Ciochetto