"Je suis devenu un croque-mort" : cet éleveur du Puy-de-Dôme voit ses brebis mourir de la fièvre catarrhale
À l’approche de l’exploitation, le brouillard de ce mercredi matin ne fait qu’épaissir, rappelant l’ambiance de mort qui pèse sur le lieu-dit du Chauffrut. À l’entrée de la ferme de Pics et Piques à Olmet, huit cadavres de brebis entassés dans une benne, et trois carcasses posées devant, faute de place, attendent le passage de l’équarrissage. Encore. "Depuis trois semaines, je suis devenu un croque-mort", chuchote Julien Merle devant cette sinistre scène.
Presque trente brebis déjà déciméesSans parler de l’odeur irrespirable qui prend au nez. L’éleveur, forcé de passer devant ses bêtes inertes depuis trois jours, est au bord des larmes.
On les appelle pour trois cadavres, et quand les équarrisseurs finissent par arriver, la benne est pleine. Apparemment, dans le secteur, c’est l’hécatombe.
Ici, le cauchemar a commencé le 12 août, quand l’agriculteur trouve deux de ses ovins morts dans le pré. "Depuis, je crois qu’on n’a pas eu un jour sans décès. Mais on a arrêté de compter, c’est trop dur." Sur les près de 190 bêtes qu’il possède, presque 30 ont perdu la vie à cause de la fièvre catarrhale ovine (FCO), cette maladie causée par un virus et transmise par des moucherons, soit plus de 10 par semaine. Des brebis laitières et des allaitantes. "Pour certaines, il y a eu des symptômes. Elles avaient de la fièvre. Leur langue s’est enflammée, elles ont arrêté de boire et de manger et sont parties en 48 heures. Pour d’autres, on n’a rien vu."
Dans l'attente des résultats d'analysesEntre-temps, Julien Merle a remué ciel et terre pour stopper la catastrophe. "Le vétérinaire m’a fourni un traitement anti-inflammatoire et anti-infectieux à injecter dès le premier jour des symptômes, mais ça n’a pas marché."Elsa Merle, sa compagne, raconte aussi la culpabilité de son mari. Les journées à regarder les bêtes qu’il a élevées s’éteindre à petit feu, en se demandant s’il avait fait quelque chose de mal. "On aurait sûrement dû vacciner cet hiver, mais comme on a déjà été touché l’été dernier, à moindre mesure, on s’est dit que le cheptel serait immunisé, et puis à la mi-août, plus aucun vaccin n’était disponible", explique-t-elle.
En 2023, une petite vingtaine de brebis avaient disparu en trois semaines sur l’exploitation à cause de la fièvre catarrhale ovine de sérotype 8. "On attend les résultats des analyses de cette année pour voir de quel type il s’agit mais on observe que c’est bien plus grave. Si ça ne s’arrête pas, en novembre on aura plus aucune brebis."
Pendant ce temps, le camion d’équarrissage klaxonne dans la cour. C’est l’heure des adieux pour Julien Merle qui sort pour aider à charger les derniers cadavres retrouvés au pré. Sa femme confit :
Psychologiquement, ça devient très compliqué. Ses bêtes, c’est sa vie
D’autant plus que financièrement, la situation aussi devient difficile pour le couple. Elsa et Julien, parents de quatre enfants, chiffrent déjà la perte à plusieurs milliers d’euros. "On n'a aucune réponse de l’État concernant les aides que l’on pourrait obtenir. Comme d’habitude, on est dans le flou sauf que nous, on peut à peine payer la facture du vétérinaire à 328 € pour l’instant." Sachant que les revenus du moutonnier sont déjà très faibles. "Les bons mois, je fais 300 € de bénéfices. Heureusement qu’on peut compter sur le salaire d’Elsa, qui est secrétaire de mairie", reprend l’éleveur.
La réputation de sa ferme aussi en jeuL’autre source d’inquiétude, c’est la réputation de sa ferme. Les gens appelleront-ils toujours pour acheter de la viande et viendront-ils sur son étal au marché?? "Il faut bien préciser que la maladie ne se transmet pas à l’homme, mais ça va potentiellement repousser des clients", regrette-t-il.La mine triste et fatiguée, Julien Merle attend un signe de l’État qui pourrait lui redonner un peu d’espoir, et aussi le retour du froid, pour stopper le virus. En attendant, le passionné fait ce qu’il sait faire de mieux, prendre soin des bêtes qu’il lui reste.
Angèle Broquère