Immersion dans l'enfer du trafic de drogue du quartier de La Gauthière à Clermont-Ferrand
À quelques mètres de la maison médicale, au cœur du quartier de La Gauthière, le "chouf" est en place. Capuche sur la tête, avachi sur une chaise en plastique, derrière une table comme s’il était au bureau. On pourrait croire qu’il fait la sieste. Il est pourtant payé 150 euros la journée pour surveiller les abords du point de deal et prévenir en cas de descente des forces de l’ordre. Autour de lui, sur cette petite place, des enfants s’amusent à vélo et en trottinette. Tandis que des mères de famille sont tranquillement assises sur un banc à proximité. Le tableau est surréaliste. Inquiétant. Ces gamins n’ont pas l’air du tout surpris de jouer à côté des dealers. Sont-ils condamnés à prendre leur place lorsqu’ils seront ados?? De l’autre côté de la maison médicale, deux "charbonneurs" vêtus de noir s’activent soudainement. Un "collègue" trafiquant vient de leur apporter un sac en plastique contenant des stupéfiants, de la cocaïne et de la résine de cannabis. Peut-être même quelques médicaments.
"Dès le matin tôt ils sont là"Le drive peut ouvrir. Les automobilistes défilent et sont servis directement à la portière. Comme au fast-food. La vente ne prend que quelques instants. Car les charbonneurs n’ont en leur possession que de petites quantités de produits et sont ravitaillés régulièrement, après qu’un autre trafiquant est allé chercher de la drogue dans un appartement ou une voiture nourrice, à proximité du point de deal.Ce "ballet" se reproduit inlassablement, de jour comme de nuit, sept jours sur sept, toute l’année. "C’est 24 heures sur 24, c’est impressionnant. Dès le matin de bonne heure, ils sont là", raconte amèrement une retraitée, qui habite le quartier depuis plus de quarante ans. Dire que les résidents sont excédés est un euphémisme. Les habitants de La Gauthière, qui rassemble environ 5.000 personnes, n’en peuvent plus de ce vaste trafic qui gangrène et stigmatise le secteur : il suffit d’une poignée de dealers pour pourrir l’image du quartier, dont les atouts sont pourtant nombreux. Les voitures sont parties mais de nouveaux consommateurs arrivent à pied quelques minutes plus tard. Ils attendent la prochaine livraison, smartphone en main, regardant impatiemment l’écran qu’un vendeur les prévienne de l’arrivée de la commande.
Sept jours sur sept toute l’annéeLa recette quotidienne de ce point de deal historique de la ville se chiffre à plusieurs milliers d’euros. S’il se cantonnait, il y a quelques années, à la seule rue de l’Aiguillade, devant le centre commercial, il a désormais investi toute la place autour de la maison médicale. Cette même place où le marché reprend ses droits chaque mardi matin. Seule bouffée d’oxygène de la semaine. Dans les immeubles alentour, derrière leurs fenêtres, les résidents observent quotidiennement ce triste spectacle. Otages des trafiquants de drogue. Les autorités ont pourtant toute conscience du problème. Les policiers de la BAC, notamment, y passent tous les jours. Multipliant les arrestations et entassant les procédures. Mais rien n’y fait.
Pas même le gros déploiement de forces de l’ordre lors de l’opération "Place nette XXL, au printemps dernier. Annoncée en grande pompe par le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin, dans plusieurs villes de France dont Clermont-Ferrand, elle n’a visiblement pas convaincu les citoyens. Ni impressionné les dealers.
"Ce qui est triste, c’est qu’on est au milieu de tout ça""Les autorités étaient à peine reparties que c’est revenu. On n’a pas vu du mieux depuis." Avec un sentiment de dépit incontestable. "Ce qui est triste, c’est qu’on est au milieu de tout ça."
Le trafic est bien trop tentaculaire. Parce que la demande est trop forte, le commerce trop lucratif. Avec des dealers qui sont régulièrement interpellés et incarcérés, mais immédiatement remplacés par d’autres, désormais recrutés dans toute la France, via Snapchat ou Telegram notamment. La plupart du temps, il s’agit d’adolescents et de jeunes majeurs. Il est 20 heures, l’estomac crie famine. Place de La Gauthière, le guetteur est toujours sur sa chaise. Un jeune garçon vient directement lui apporter son repas du soir, compris dans son salaire de la journée. De l’autre côté du centre commercial, de nouvelles voitures font la queue. Les deux charbonneurs vont récupérer un sac dissimulé dans un bosquet. Les consommateurs vont pouvoir être servis. Le manège durera jusqu’au petit matin. Comme hier et comme demain.
Julien Moreau