La pâte à tartiner algérienne El Mordjene, du succès fulgurant à l'interdiction brutale au goût amer
C’était le secret le mieux gardé d’Algérie. La pâte à tartiner El Mordjene, fabriquée par l’entreprise Cebon, à Tipaza à l’ouest d’Alger, avec son goût de noisette grillée – généreusement sucré – avait conquis les palais d’Oran à Sétif ces trois dernières années. Mais rien ne sera plus comme avant après cet été.
Quelques influenceurs français ont cru bon de vendre la mèche à coups de vidéos sur TikTok et Instagram. Résultat : la crème El Mordjene est passée du statut de gourmandise coupable à dévorer discrètement à celui de trésor national à se refiler sous le manteau avant de l’exposer fièrement sur les réseaux.
Un prix multiplié par cinq, voire plusCette sortie de l’anonymat a un prix pour la pâte à tartiner dont chaque bouchée équivaut à la louche à un paquet de Kinder Bueno ou une demi-boîte de Ferrero Rocher. Vendu autour de deux euros en Algérie, le pot a pris du galon en traversant la Méditerranée. On le trouve en moyenne quatre à cinq fois plus cher dans les épiceries.
Avec la boxeuse médaillée d’or olympique Imen Khelif, El Mordjene est devenue une fierté nationale. Et le nouveau souvenir que l’on supplie ceux qui passent l’été au pays de ramener. Car cette gourmandise souffre de sa popularité et nombreux sont ceux qui sont rentrés bredouilles en espérant ramener un pot du magasin.
De la razzia en magasin à l'interdictionPrès de Clermont-Ferrand, le supermarché turc Discontal est parvenu à se procurer un gros millier de pots de pâte à tartiner grâce à l’entremise d’un fournisseur algérien.
« C’est parti très vite. J’ai commencé à les vendre mercredi 11 septembre et le samedi soir je n’avais plus rien. »
Le deuxième conteneur de son partenaire est resté à quai à Marseille et depuis, le commerçant reçoit une trentaine d’appels par jour. Cet instant de lumière projeté sur le phénomène a un coût, aussi. Passé inaperçu en France ces derniers mois, ce challenger de l’insubmersible Nutella a été rattrapé par la patrouille, vendredi 13 septembre.
La viralité du produit star a éveillé les soupçons de l’Union européenne qui vient d’interdire sa commercialisation. « L’Algérie ne rempl[it] pas l’ensemble des conditions nécessaires pour permettre à un pays tiers d’exporter vers l’Union européenne des marchandises contenant des produits laitiers destinés à la consommation humaine dans le respect des exigences européennes en matière de santé animale et de sécurité sanitaire des aliments », a fait savoir le ministère de l’Agriculture français.
"Un danger" pour Nutella ?La pâte à tartiner fait l’objet d’une enquête « afin de déterminer les mécanismes de contournement qui ont pu permettre jusqu’à présent la mise sur le marché de cette marchandise ».
Cette interdiction d’importer El Mordjene en plein succès est vécue comme un affront en Algérie où le président de l’Association de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement (Apoce), Mustapha Zebdi, a déclaré que « le produit entrait et voyageait, et quand il est devenu un danger pour leur produit bien-aimé, ils ont fait tous les tests et sorti toutes les normes ».
Si cette pépite algérienne parvenait à se défaire du verrou bruxellois, le leader français de la distribution Carrefour pourrait placer la pâte à tartiner dans ses rayons. En attendant, elle n’a pas perdu de sa valeur. Dans certaines villes, comme à Clermont-Ferrand, quelques adresses s’échangent sous le manteau pour mettre la main sur un pot. Entre 12 et 15 euros. La gourmandise n’a pas de prix.
Malik Kebour