Au Sommet de l'élevage, la nouvelle ministre de l'Agriculture promet des annonces "à la hauteur" de "la détresse" des éleveurs
Députée du Doubs, ancienne présidente de l’Anem (Association nationale des élus de montagne), la nouvelle ministre de l’Agriculture Annie Genevard, en visite jeudi et vendredi au Sommet de l’élevage à clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), se pose en grande défenseuse de l’élevage français, qui fait partie, selon elle, du « patrimoine économique et culturel » de notre pays.
Les éleveurs, en particulier ovins, qui ont été durement touchés cet été par la FCO (Fièvre catarrhale ovine), attendent de vous des mesures d’urgence. Allez-vous faire des annonces au Sommet de l’élevage ?
Je sais que je suis particulièrement attendue cette année en raison de la crise sanitaire. Je le comprends. Au-delà du caractère normal d’une visite ministérielle au Sommet, principal temps fort de l’agriculture française, avec le Space de Rennes et le Salon de Paris, le contexte sanitaire lui donne un relief particulier. L’élevage bovin et ovin, qui a dû faire face à trois attaques virales, est dans une situation très éprouvante. Et les combinaisons virales, la carte est très claire, rendent la situation encore plus préoccupante. La filière ovine est particulièrement impactée. Les symptômes sont sérieux avec des signes cliniques sévères (baisse de fertilité, avortement) et puis, pour 20 % du cheptel ovin, c’est la mort des animaux. C’est d’une très grande violence pour les éleveurs sur le plan des revenus, du renouvellement des cheptels mais aussi du moral. J’ai échangé à plusieurs reprises avec la présidente de la FNO (Fédération nationale ovine), Michèle Boudoin. Je mesure la détresse qui est la leur. Le mot n’est pas trop fort. Pour une filière qui a fait un gros travail de renouvellement des générations, démarrer dans le métier avec une crise aussi grave, c’est problématique pour l’attractivité du métier en dépit de la passion des jeunes. J’arrive d’ailleurs à un moment où la quasi-totalité de l’agriculture française est en crise.
Concrètement, quelles mesures allez-vous prendre pour aider les éleveurs face à cette crise sanitaire ?
Il nous faut bien sûr réagir pour apporter aux filières animales une aide à la mesure de l’épizootie. Nous sommes en train de mettre les dernières touches à un ensemble de réponses sur le plan vaccinal et de l’indemnisation. Ces mesures seront présentées au Sommet de l’élevage par le Premier ministre et moi-même.Photo Cheick Saidou/Ministère de l'Agriculture
Quels en sont les contours ?
Il y a deux grandes branches. La première relève de la stratégie vaccinale où nous serons en mesure de faire des annonces assez fortes, en particulier pour la filière ovine. Aujourd’hui, on contient le foyer épidémique par une barrière vaccinale. Il nous faut sans doute aller au-delà. En matière d’indemnisation, nous avons bien conscience que la moitié des agneaux consommés en France est importée. Il faut donc tout faire pour relever cette filière et lutter contre la tendance à la décapitalisation. Il y a une filière française très identitaire à sauver. J’avais consacré en tant que présidente de l’Anem (Association nationale des élus de montagne) tout un congrès à la défense du pastoralisme. J’ai défendu ma partie auprès de Bercy et du Premier ministre parce que la réponse, qui est très attendue, doit être à la hauteur.
Votre prédécesseur, Marc Fesneau, avait acté la création d’une banque d’antigènes afin d’être plus réactif dans la production de vaccins. Où en est ce projet ?
Il est toujours d’actualité. Le principe serait de mutualiser avec les pays du Benelux et l’Allemagne. Nous n’en sommes qu’aux prémices. Mais c’est sans doute un point que j’évoquerai fin octobre à la réunion des ministres européens de l’Agriculture. De toute façon, au-delà de la réponse conjoncturelle qui s’impose, il nous faut réfléchir à une stratégie de prévention et d’anticipation à l’échelle européenne parce que les virus émergents ne s’arrêtent pas aux frontières nationales.
Sur le front des productions végétales, la France vient d’enregistrer sa pire récolte de blé en 40 ans. Comment aider là aussi les céréaliers à passer le cap ?
C’est la deuxième grande crise qui secoue l’agriculture française. Nous avons fait le point avec Éric Thiroin, le président de l’AGPB, qui regroupe les producteurs de céréales à paille. Tout le monde a en mémoire la sinistre récolte de 2016. Mais la situation économique des exploitations est plus difficile qu’il y a huit ans. Il y a l’effet ciseau de la baisse des cours mondiaux et de l’inflation des coûts de production qui met, là aussi, toute une filière en grande difficulté économique. Elle a donc besoin d’une aide de l’État. Les céréaliers ont demandé, comme d’autres secteurs, à bénéficier de PGE (prêt garanti par l’État). Nous allons travailler avec eux sur ce sujet. Le secteur de la viticulture est également en crise. Entre les conditions climatiques, la déconsommation, les menaces de rétorsion chinoise, les nuages s’amoncellent là aussi. Il y a un vrai risque de décrochage. J’ai rencontré toute la filière mercredi matin au ministère.
Lactalis vient d’annoncer la baisse de près de 10 % du lait collecté en France. Après la désindustrialisation, la France va-t-elle affronter une vague de “désagriculturisation” ?
Dès cette annonce brutale, j’ai appelé le président de la FNPL (Fédération nationale des productions de lait), Yohann Barbe et je l’ai reçu le lendemain matin. Nous avons discuté ensemble de la façon d’affronter cette annonce, je le répète brutale dans la forme, mais qui représente surtout 8 % de la collecte de Lactalis. C’est énorme car ce sont des centaines d’exploitations qui sont touchées à court ou moyen terme. Ce qui m’a particulièrement choqué dans le communiqué de Lactalis, c’est de dire “il y a des gens qui vont partir à la retraite”. C’est une incitation à arrêter son activité. Alors que nous faisons tout avec les organisations professionnelles pour encourager, au contraire, la reprise des exploitations par des jeunes qui ont beaucoup de passion pour ce métier. C’est le message inverse que nous portons. C’est d’autant plus dommage que le marché est porteur. Nous avons besoin de lait. Il en va de notre souveraineté alimentaire et de la préservation de notre capital productif d’où la nécessité de trouver de nouveaux débouchés pour les éleveurs abandonnés par Lactalis. Au-delà des richesses créées, cette filière laitière est essentielle à l’équilibre de nombreux territoires de plaine et de montagne. Que seraient la beauté et l’identité de l’Auvergne sans ses vaches et ses fromages ? Moi, j’entends défendre le patrimoine agricole de la France car c’est son patrimoine économique et culturel. Le signal de Lactalis n’est pas bon mais on ne peut pas éteindre la lumière.Photo Cheick Saidou/Ministère de l'Agriculture
De nombreuses voix commencent à s’élever dans le monde agricole sur le non respect des promesses faites par le précédent gouvernement, dont la LOA (Loi d’orientation agricole) à la suite des blocages de début d’année...
Il est évident que la dissolution a arrêté un certain nombre de processus en cours. J’ai été très claire. Je veux mener la LOA au bout. Ce n’est pas la loi du siècle mais elle contient des éléments très attendus par les agriculteurs. Ils attendent tout ce qui touche à la transmission des exploitations, à la formation, à l’enseignement agricole, à l’entretien des haies, aux risques juridiques, etc. Nous devons reprendre la LOA sans tarder. J’aurai également un conseiller qui sera dédié à la simplification. Il est inadmissible que nous surtransposions les normes européennes sans prendre en considération les conséquences économiques subies par les agriculteurs. Derrière, il y a un vrai risque de décrochage en termes de compétitivité de nos filières. Je ne peux pas me résoudre que faute de productions française on s’approvisionne de plus en plus à l’étranger avec des normes différentes.
Au sujet des normes et de la préservation du modèle français, quelle est votre position sur les accords de libre-échange internationaux comme le Mercosur ?
Nous avons un modèle singulier en matière agricole. Notre élevage, en particulier, est à taille humaine, extensif et doit être défendu car il incarne, à mes yeux, profondément l’avenir. J’appartiens à un groupe politique qui s’est toujours opposé au Mercosur. Je n’ai pas changé d’avis. Tous les accords internationaux ne sont pas mauvais. Mais celui-là est clairement préjudiciable à notre élevage. Dans les accords internationaux, il existe un point tout à fait capital. Nous devons mettre en place des clauses miroirs et des contrôles aux frontières. On ne peut pas exiger de nos éleveurs des conditions de production qui ne seraient pas imposées à ceux dont on importe les produits. C’est les condamner à une concurrence absolument déloyale.
Dans les dix ans qui viennent, 50 % des agriculteurs français vont partir à la retraite. Comment réussir le défi du renouvellement des générations ?
Le renouvellement des générations est un enjeu crucial pour la pérennité de notre agriculture à taille humaine et de l’équilibre de nos territoires. C’est même une question existentielle. C’est pour cela que dès la première semaine j’ai reçu les Jeunes Agriculteurs (JA) pour leur dire que la transmission des exploitations entre générations était une priorité. Il faut tout faire pour renforcer l’attractivité du secteur. La question de la crise, des accords internationaux convergent toutes vers l’attractivité de notre agriculture.
Propos recueillis par Dominique Diogon