«Antoine Arnault et le foot, c’est un mariage naturel»
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe: la famille Arnault a racheté le Paris FC ! Deuxième club de la capitale, le Paris FC est actuellement leader de la Ligue 2. Aura-t-on demain un grand derby parisien entre, d’un côté, le PSG propriété du fonds souverain qatari, et, de l’autre, le PFC détenu par la plus grande fortune française? Daniel Riolo, le journaliste football de RMC qui n’a pas sa langue dans sa poche, en parle avec nous.
Causeur. Ce rachat du Paris FC par la famille Arnault en association avec Red Bull (85% des parts pour les Arnault à terme, et 15% pour le conglomérat de la boisson énergisante autrichienne) réunit deux de vos obsessions afteriennes[1]. Vous avez souvent affirmé que la France n’était pas un vrai pays de foot comme l’Angleterre ou l’Espagne, parce que ses grandes fortunes n’investissaient pas dedans. Vous avez aussi fréquemment regretté que nos voisins aient de grands derbys de villes (Manchester, Madrid, Milan ou encore Londres) et pas nous. J’imagine que l’arrivée des Arnault dans le foot français vous enthousiasme ?
Daniel Riolo. Oui, mais restons calmes ! Cela fait plusieurs années que le football francilien se développait. Le Paris FC faisait déjà bonne figure en Ligue 2, depuis près d’une dizaine d’années. Et le club a loupé de peu la montée en première division à différentes reprises. Au moment où nous nous parlons, ils sont d’ailleurs déjà en tête du championnat. Pierre Ferracci a bien travaillé, c’est un club sain qui est racheté. Par ailleurs, le Red Star, l’équipe de Saint-Ouen (93), est aussi en Ligue 2. Ce club n’est pas au même niveau, mais il est dans le ventre mou de la Ligue 2 et n’est pas menacé par une relégation.
Reste que dans l’imaginaire collectif, on demande depuis longtemps un autre gros club dans la capitale. Les grands derbys milanais ou madrilènes font partie de la mythologie du football. Il est donc logique d’en rêver aussi pour Paris, surtout avec la famille qui débarque et les moyens dont elle dispose ! Sur le papier, quand la plus grande fortune française et peut-être mondiale arrive dans le foot, on se dit que le Paris FC va rapidement grandir et que la capitale française rejoindra la norme européenne. Mais nous en sommes encore loin. Pour l’heure, c’est une promesse.
De fait, le travail qui s’annonce est important. J’ai trouvé intéressantes les déclarations qui ont filtré dans la presse sur la philosophie qui préside à ce rachat. Pendant deux saisons, Pierre Ferracci restera à la tête du club, avant qu’Antoine Arnault ne prenne la présidence. C’est bien : ils attendent, ils sont patients, ils ne vont pas d’entrée de jeu déverser une tonne d’oseille mais miser sur la jeunesse, construire des fondations solides pour espérer arriver au plus haut niveau. De plus, l’association avec Red Bull permettra de bénéficier de l’expérience sportive de ce groupe, de son savoir-faire qui ne peut qu’être bénéfique. Red Bull a su monter entièrement des clubs qui ont réussi, je pense notamment au RB Leipzig. En plus d’une façon de jouer, c’est aussi une façon de bien éduquer les jeunes joueurs du centre en leur donnant des fondamentaux sportifs et des valeurs humaines. Ils ont dû être séduits par ces aspects. Je note d’ailleurs que le Paris FC n’est que la deuxième participation minoritaire de Red Bull, après Leeds.
Vous les voyez donc miser sur le vivier francilien et la formation ?
Oui. Aujourd’hui, le PSG a tout pour lui, c’est là que sont les stars. Dans un premier temps, le PFC doit donc construire une aventure familiale en formant des jeunes. Cela ne signifie pas qu’ils ne feront pas rapidement des beaux transferts aussi, mais ils vont jouer sur deux tableaux. Par ailleurs, ils ne pourront pas fonctionner sur l’ancienne mode du trading de joueurs, l’arrêt Diarra vient de mettre un terme à cette pratique (voir vidéo ci-dessous NDLR). Un jour, le Paris FC pourra peut-être rivaliser avec le PSG. Mais tout cela prendra quelques saisons. Cela étant, je ne vois pas la famille Arnault arriver en Ligue 1 pour jouer les seconds rôles. Ils ont de grandes ambitions et un projet global déjà bien établi qui s’affinera avec le temps.
Il se dit qu’Antoine Arnault a eu des vues sur d’autres clubs (on parle de Bordeaux, de Lille et même de Milan). Ce serait donc une idée qui trotte dans sa tête depuis longtemps. Les Jeux Olympiques, sur lesquels le groupe LVMH a beaucoup investi, auraient-ils précipité les choses ?
Oui. Le bruit courait depuis un moment. Les Arnault avaient Lille en vue parce qu’ils ont leurs attaches familiales dans la région. Je crois aussi savoir qu’ils sont proches d’Amiens, et que la famille aime le football : c’est pour eux traditionnel. Bordeaux, ça faisait aussi sens, avec le vin. Mais c’est un grand club qui a souffert ces dernières années à cause de mauvais investisseurs. La rumeur milanaise, je pense qu’elle n’était pas tout à fait fondée, même s’il y aurait eu aussi une certaine logique économique.
Vous savez, je crois que c’est finalement un mariage assez naturel que nous observons. Antoine Arnault est un vrai passionné de foot. On le voit très souvent au Parc des Princes pour les matchs du PSG. Il connait d’ailleurs bien la direction du PSG, avec laquelle il s’entend très bien. La famille Arnault est de manière générale sportive. Bernard Arnault est proche de Roger Federer, c’est un fan de tennis. Un des fils est un malade de Formule 1, d’où les liens avec Red Bull. Et puis Lionel Messi a figuré dans des pubs Vuitton, et Mbappé a été souvent aperçu avec eux. Je pense que c’est un achat passion. Acheter un club de football, c’est toujours par passion. Ce n’est pas ça qui va leur faire gagner de l’argent. D’ailleurs, c’est la famille qui achète le club et pas le groupe LVMH. Gagner des titres procure des émotions incomparables. Je crois que c’est ce qu’ils sont venus chercher. Paris c’est le glamour, le luxe. On aura donc deux clubs avec cette image.
Mais le Paris FC est-il un club populaire, est-il suivi par le public ?
C’est un club qui a une base de supporters réduite, et qui est encore en recherche d’identité. Même si la star Raï en est déjà un des ambassadeurs ! Ils jouent à Charléty (13e arrondissement) cette année, et seront à Jean Bouin (16e) l’an prochain en colocation avec le rugby. Il y a évidemment la place pour deux clubs à Paris, bien que cela ne se fasse évidemment pas en claquant des doigts. Le Paris Saint-Germain est le club de la capitale aujourd’hui, c’est lui qui a l’histoire. Au PFC d’écrire la sienne en obtenant des résultats. Il faut investir immédiatement. Je pense qu’ils vont recruter quelques bons profils dès le mercato d’hiver, pour tenter de sécuriser la montée en Ligue 1 l’an prochain…
Le football français est paradoxal : il y a une crise de la Ligue professionnelle de foot, même si dans le même temps de belles équipes de Ligue 1 arrivent à obtenir des résultats en Coupe d’Europe. Mais cet investissement du groupe Arnault démontre que le football français intéresse encore les investisseurs et est toujours porteur. Pourtant, on sent comme un désamour : le nouveau diffuseur DAZN ne parvient pas à décoller, les supporters ne s’abonnent plus…
Financièrement, le foot français ne vaut plus rien alors que les matchs du week-end sont magnifiques. Le niveau est formidable en comparaison avec ce que ce qu’on voyait il y a 10 ans. On est presque revenu au niveau du championnat de France si excitant des années 90… Et en Coupe d’Europe, nous ne sommes plus ridicules. Lille tape Barcelone, et Brest met des cartons.
Le paradoxe que vous évoquez s’explique par le mauvais travail de la Ligue. Labrune est un incompétent qui s’est brouillé avec Canal + et a fait miroiter le « milliard » aux présidents de clubs. Canal aurait bien mis les 700 millions sur la table, mais la chaîne ne veut plus traiter avec Labrune. Rappelez-vous : quand l’espagnol Mediapro est venu investir en France, on avait des stars au PSG et à Monaco, Neymar venait d’arriver. Tout cela a fait gonfler bien des têtes qui toutes ont rêvé de l’or des GAFAM et de toutes ces conneries de plateformes de streaming… Les hauts dirigeants du foot hexagonal sont soi-disant conseillés par des spécialistes des médias, mais leurs résultats sont catastrophiques. Il y a un vrai risque financier à terme puisque DAZN est une coquille vide qui va tomber. Dans ce contexte, espérons que l’arrivée d’industriels importants comme les Arnault inspire d’autres fortunes.
[1] Daniel Riolo est présent au micro de l’After foot, le soir sur l’antenne de RMC NDLR.
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