Stéphane Troussel : "Je dis à Bernard Cazeneuve et Benoît Hamon : revenez à la maison !"
L’heure n’est pas (encore) aux règlements de comptes au PS mais le congrès approche à grand pas. Après des élections européennes et des législatives surprises qui ont profité à la maison rose, hier décimée, beaucoup de socialistes cherchent la recette pour reprendre à Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis les clefs du camion à gauche, sans pour autant revenir sur l’union des gauches en vogue depuis 2022. Pour Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis, cadre du PS de longue date, un changement d’époque est en train de s’opérer pour la gauche. Le PS peut en être le moteur avant 2027, à condition de mettre les ego de côté et de travailler au programme dont il tisse quelques grands axes.
L’Express : François Hollande veut "une nouvelle figure pour le PS". Le congrès socialiste, qui doit se tenir lieu début 2025, a-t-il de fait démarré ?
Stéphane Troussel : François Hollande veut reprendre le cours interrompu de son quinquennat. C’est son droit. Mais ce n’est pas mon sujet. Nous entrons dans une nouvelle période, le PS redevient le lieu du débat à gauche. Beaucoup, on les voit, se disent aujourd’hui qu’il y a un intérêt à diriger le PS quand il y a sept ans, il était dans les limbes et isolé. C’est autour du Parti socialiste que l’avenir de la gauche est en train de se jouer. Une nouvelle période démarre mais il faut que tous soient responsables face au risque de l’émiettement de la gauche. La fragmentation et les réunions aux quatre coins de la France, ça ne construit ni projet ni leader. Il faut une autre réponse, de rassemblement, un nouveau PS, une formation sociale et écologiste.
Mais avec qui ? Beaucoup d’initiatives poussent ci et là, de Glucksmann à Bouamrane…
Avec tous. Ce rééquilibrage à gauche, avec le PS comme moteur, est l’aboutissement du travail entamé depuis 2017 qui a replacé le PS au cœur de la gauche, sans ambiguïté. L’enjeu est désormais de faire cause commune. Tous ceux qui sont partis doivent revenir s’ils veulent aider le socialisme et donc la gauche à l’emporter. C’est pour cela que je dis à Benoît Hamon et Bernard Cazeneuve : revenez à la maison ! Le congrès du PS, quand il aura lieu, devra être un congrès de la refondation. Il leur sera ouvert, à eux et à tous ceux qui veulent un projet commun, aux déçus du mélenchonisme comme aux déçus du macronisme. Mais il est nécessaire de faire cesser les ego pour que cette grande formation socialiste redevienne désirable et gagne le cœur des gens.
Avec 13,8 % aux dernières européennes pour le candidat socialiste Raphaël Glucksmann, peut-on vraiment dire que c’est une renaissance du PS ?
Le combat européen que Raphaël a porté, les causes qu’il a défendues avec acharnement sont tout à son honneur… Il a fait une très belle campagne. Mais le score réalisé est celui de Yannick Jadot en 2019. Nous sommes restés à la porte des bourgs et des tours. Il y a encore du chemin à parcourir. Sauf à vouloir échouer sciemment, il est vital que les différentes gauches se regroupent autour d’une plateforme commune. Le succès du Front républicain au second tour des élections législatives n’a été possible que parce que la gauche a été forte et unie au premier tour, et parce qu’elle l’avait initié contre l’avis des autres.
Il n’empêche : 11 millions d’électeurs ont voté pour le RN et ses alliés au premier tour. Ce n’est pas une victoire pour la gauche, si ?
C’est notre plus grand défi : la marée montante et continue de l’extrême droite. Nous sommes à la croisée des chemins… En 2027, il y aura soit la fuite en avant vers l’union des droites et de l’extrême droite, soit une gauche qui aura su inventer un nouveau modèle pour changer la vie des gens et maîtriser notre destin. Le Front républicain n’est pas une ligne politique mais un réflexe démocratique. Penser l’inverse est une erreur politique. Penser aussi qu’il suffit d’une position modérée pour l’emporter face à l’extrême droite en est une autre. Il faut de la radicalité, mais de la radicalité socialiste. Le projet avant le casting. Le travail programmatique avant la course des petits chevaux. Nous passons trop de temps à réagir aux propos des camarades comme nous passons trop de temps à surenchérir aux thématiques imposées dans le débat public par CNews et l’extrême droite.
Tout le monde à gauche veut l’union, mais chacun à sa sauce. N’est-ce pas là un jeu de postures ?
Le meilleur moyen de faire l’union qui gagne, c’est autour des sujets de fond. Je n’ai aucun problème à discuter avec les déçus du macronisme et du mélenchonisme sur ce qui doit ou aurait dû être fait. Mais ça ne se fait pas qu’avec eux, cela doit se faire avec la société civile mobilisée, des syndicats aux ONG, qu’on a trop tendance, à gauche, à laisser orphelins d’une élection à une autre. Ils ont des choses à dire, pour nous aider à trouver un débouché politique, pour construire un projet. Il faut se mettre au travail pour construire un projet qui dit la nécessité de reconstruire la capacité productive de la France, qui lutte contre cette désertification de la puissance publique qui déclasse nos territoires, de la France des tours à celle des bourgs.
Un projet de politique énergétique nouvelle, un projet qui porte aussi une grande réforme fiscale et bancaire. Un nouveau pacte de justice sociale. Il faut imaginer un nouveau cap européen, où doivent s’imposer une planification industrielle et des politiques de convergence sociale. C’est la fin de cette chimère d’un pays sans usine, où la libre concurrence non faussée serait reine. C’est tout un projet présidentiel que nous avons à construire, à gauche, de Hamon à Cazeneuve, des socialistes aux insoumis, mais pour réussir il faut avant tout refuser de se vautrer dans les postures.
Vous semblez oublier Jean-Luc Mélenchon qui, avec sa faconde, son programme – quoi qu’on en dise – préparé et travaillé depuis plusieurs années, avec deux présidentielles à 7 millions de voix ou plus, aura son mot à dire. Or, il est un repoussoir pour beaucoup à gauche…
J’ai autre chose à faire que de regarder le nombril et le twitter de Jean-Luc Mélenchon. Il aurait pu être mais il n’est plus celui qui peut faire gagner la gauche et battre l’extrême droite. Le sujet est donc ailleurs. Certes, il faut reconnaître aux insoumis d’avoir maintenu la gauche à flot en 2017 et en 2022 mais on ne peut plus se permettre de rester à la porte du second tour de la présidentielle. C’est une nouvelle période qui s’ouvre, avec un PS qui se réaffirme. Il y a presque autant de députés socialistes que de députés insoumis, c’est bien la preuve d’un rééquilibrage. Je ne dis pas cela comme un prétexte à la désunion mais parce que c’est le seul moyen de rendre la gauche majoritaire. Je sais que le peuple de gauche n’a rien oublié de nos erreurs passées, mais je sais aussi qu’il veut gagner et construire autre chose.
Mais quid des différences de valeurs et de principes qui se sont exprimés entre les insoumis et les socialistes ces deux dernières années, de l’affaire Quatennens au 7 octobre ?
François Mitterrand et Lionel Jospin ne se gênaient pas pour dire ses quatre vérités à Georges Marchais. Il faut refuser les outrances et les dérives de Jean-Luc Mélenchon. Il faut faire sans lui. On assume la confrontation quand elle doit avoir lieu. Mais je ne crois pas que Mélenchon soit l’alpha et l’oméga de la gauche insoumise. Il y a des gens qui pensent différemment, qui portent l’union et des valeurs en commun avec nous. Il faut parler et faire avec eux.