1944, après plusieurs années de censure, la France se libère et l’information avec
Après l’armistice du 22 juin 1940 et l’occupation d’une partie de la France par les troupes allemandes, le gouvernement français, replié à Vichy, s’installe dans une politique de collaboration largement répercutée par la presse et les médias.
Si la plupart des quotidiens parisiens suivront le gouvernement jusqu’en province, les paroles et les écrits sont contrôlés, censurés, tant en zone nord par les Allemands qu’en zone sud par le gouvernement du maréchal Pétain. En zone nord, la presse est directement sous tutelle de la Propaganda-Abteilung (direction de la propagande), contrôlée par Joseph Goebbels (ministre allemand de la propagande). En zone sud, elle est soumise à la pression toujours plus forte du secrétariat général à l’Information et tire essentiellement ses informations de l’Office français d’information.
Censurée, limitée à la source dans le choix de ses informations et uniformisée, la presse se plie aux diverses recommandations et injonctions des institutions de contrôle.
« 90 % de la presse française va collaborer »« Pendant la Seconde Guerre mondiale, 90 % de la presse va collaborer, rares sont les titres qui vont se saborder comme le Canard enchaîné par exemple », explique Pascal Roblin, président du Centre de la presse, association installée au Châtelet et à Maisonnais, dans le sud du Cher, auteur de La Seconde Guerre mondiale sous le regard de la presse, de Munich à Nuremberg (éditions De Borée).
« Je suis partout est l’un des pires journaux collaborationniste : antisémite, anti francs-maçons, anticommuniste. À la libération, les responsables du journal seront jugés et condamnés. L’un d’entre eux, Robert Brasillach sera même fusillé. »
En marge de cette presse autorisée, une presse clandestine apparaît et se met progressivement en place. Contrepoids de choc au langage officiel, son action ne va cesser de s’amplifier. « C’est le cas de l’Humanité (déjà clandestin depuis 1939, NDLR), Libération, Le Franc-Tireur, Défense de la France… L’ensemble de ces journaux clandestins seront distribués gratuitement sous le manteau. Les auteurs encourent de gros risques : camp de concentration ou encore de la torture », explique Pascal Roblin.
En 1944, la presse clandestine atteint son apogée et ses plus forts tirages, dépassant les deux millions d’exemplaires, avec une centaine de journaux et 400 à 500 organes régionaux ou locaux, dont certains comme Défense de la France pouvant tirer à 450.000 exemplaires. Ses lecteurs sont alors aussi nombreux que ceux de la presse de Vichy.
Une nouvelle presse pour chasser l’ancienneAoût 1944, les Alliées marchent vers Paris où les combats font encore rage. Dans ce tumulte, l’après-guerre s’organise déjà.
Les journaux parus sous l’occupation cessent de paraître et une nouvelle presse issue de la Résistance voit le jour sous l’impulsion du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), adopté en 1944 sous le nom « Les jours heureux ». Ce projet annonçait notamment, « la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression, la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères, la liberté d’association, de réunion et de manifestation ».
Ce programme est la principale source d’inspiration des ordonnances de 1944. Les principes qu’elles énoncent visaient à organiser un nouveau système médiatique garantissant la liberté d’expression et un pluralisme de la presse.
L’apparition de nouveaux titresLes ordonnances du 22 juin et du 30 septembre 1944 interdisent, par exemple, tous les quotidiens d’information parus après le 25 juin 1940 pour la zone nord, et ceux parus quinze jours après l’invasion allemande du 11 novembre 1942 pour la zone sud. Ce qui conduit à la disparition de 188 des 206 quotidiens que comptait la France d’avant-guerre.
On assiste alors à une floraison de titres pour remplacer une presse considérée comme collaborationniste. Les titres des journaux, qui naissent ou reparaissent alors, manifestent explicitement leur aspiration à l’émancipation et au renouveau : Vichy libre, Le Villefranchois libéré, La Résistance du Var libéré, Midi libre, La Vendée libre, La Charente libre, Le Libre Poitou…
Le Populaire du Centre, quotidien régional de Haute-Vienne, est fondé en 1905. Interdit en 1941, le journal « revient » le 7 février 1941 sous le nouveau titre l’Appel du centre. Il est de nouveau stoppé au moment de la libération de Limoges le 21 août 1944. Le Populaire du Centre reparaît le 25 août 1944. C’est aussi le cas de La Montagne, à Clermont-Ferrand, qui est autorisé à reparaître.
Paris-Soir est un quotidien fondé à Paris en 1923 et dirigé à partir de 1930 par Jean Prouvost. Pendant l’Occupation, deux Paris-Soir coexistent : celui de Paris, titre qui soutient la collaboration, tandis qu’un autre paraît à Lyon en zone libre. En 1944, la direction du journal est écartée, et ses dirigeants sont arrêtés, marquant la fin du journal.
Le Franc-Tireur est un journal clandestin. Jean-Pierre Lévy est à l’origine de son lancement le 1er décembre 1941 en même temps que de l’organisation du mouvement clandestin du même nom en zone sud. Trente-neuf numéros clandestins parurent. Le journal parait jusqu’en 1957, où il est racheté par Cino Del Duca et paraîtra sous le nom de Paris-Journal, puis Paris Jour.
Les ordonnances de 1944 sur la presse Bien avant la libération, la Résistance affirme sa volonté de reconstruire une presse sur des bases économiques et déontologiques saines. Dans ce sens, la première ordonnance, du 6 mai 1944, prise par le gouvernement provisoire de la République française, réaffirme la liberté de la presse. Dès le lendemain de la libération de Paris est prise l’ordonnance du 26 août 1944 sur « l’organisation de la presse française ». Elle a pour objectif de sanctuariser la presse vis-à-vis des puissances de l’argent et de l’influence de l’État, tout en assurant l’indépendance des journaux et leur transparence, afin que la presse devienne « une maison de verre ».
Plus tard, l’ordonnance du 30 septembre 1944 fixe les modalités de la suspension des titres de presse qui ont commencé ou continué de paraître plus de quinze jours après l’Occupation, soit le 25 juin 1940 pour la zone nord et le 26 novembre 1942 pour la zone sud. Elle crée, à titre provisoire, l’Agence France-Presse, destinée à remplacer l’Office français d’information lié au gouvernement de Vichy.
Après la débâcle et l’armistice de 1940, les populations ont traversé un moment historique bouleversant : la fuite sur les routes de huit millions de personnes pour échapper à l’avance des armées allemandes. Les trois quarts des Parisiens se sont jetés sur les routes, y compris la presse qui doit alors revoir son organisation et trouver de nouveaux moyens d’impression.Propriété du journal La Montagne, la rotative HOE, dite « La Marseillaise », a été achetée à un journal marseillais en 1938. Elle tournera jusqu’en 1947.
Juin 1940, dans une panique générale, les grands quotidiens nationaux pour la plupart implantés à Paris décident de suivre le gouvernement français successivement de Tours à Bordeaux, en passant par Clermont-Ferrand, avant son installation à Vichy. Jusqu’en 1944, les rotatives de ces villes de province tourneront à plein régime.
C’est le cas du journal La Croix. Le quotidien catholique quitte la rue Bayard à Paris, le 11 juin 1940. On le retrouve imprimé à Bordeaux le 13 juin. Le 4 juillet, il est installé à Limoges où il va rester jusqu’au dernier numéro le 21 juin 1944. À Limoges, il est d’abord imprimé sur les presses du Courrier du Centre, puis à l’Imprimerie Lavauzelle.
Le Figaro imprime son dernier numéro à Paris au moment de la débâcle le 11 juin 1940. Après un passage par Bordeaux, on le retrouve fin juin-début juillet à Clermont-Ferrand, imprimé sur les presses de L’Avenir du Plateau central, à l’Imprimerie moderne, 13 rue du Port. À partir du 7 septembre 1940, Le Figaro paraît à Lyon sur les presses du Nouvelliste, 18 rue François-Dauphin. Il cesse ses parutions le 11 novembre 1942, après l’invasion de la zone sud par les troupes allemandes. Il est autorisé à reparaître à Paris le 23 août 1944, en pleine libération de la Capitale.
L’histoire est similaire pour Le Petit Parisien qui cesse d’être imprimé à Paris le 11 juin 1940. Le journal reprend le 17 juin, il est alors imprimé à Bordeaux jusqu’à fin juin. Il s’installe après à Aurillac, sur les presses du quotidien La Croix entre le 1er et le 27 juillet. Puis, il est imprimé sur les presses du Moniteur, 57 rue Blatin à Clermont-Ferrand (propriété de Pierre Laval). Le 8 octobre, le quotidien redevient parisien.
Textes : Baptiste Vlaj