Ce cimetière mélangeant mémoire et créativité à visiter absolument en Haute-Loire
«On pourrait faire l’histoire de l’humanité avec ses tombeaux ». Les mots empruntés à Eugène Viollet-le-Duc résument le projet, unique, aujourd’hui mené à son terme, par une petite commune de Haute-Loire (d’à peine plus de 600 habitants). Ce projet est de faire revivre à travers un ancien cimetière, un lieu témoin du passé des hommes et des femmes.
À défaut d’embrasser l’histoire de l’humanité, le vieux cimetière du Brignon restauré avec soin, entretient le feu des siècles passés sur le plateau volcanique. Il y a tout juste un an, on visitait pour la première fois ce cimetière. Il n’était plus utilisé depuis les années vingt (un nouveau ayant été créé tout près d’ici). Le voici dès lors devenu une friche, pour ne pas dire un dépotoir. Des travaux y étaient donc entrepris. Il y a un an, les aménagements se poursuivaient encore.
« D’une promenade dans un cimetière on ressort plus fort »
La restauration a été merveilleusement orchestrée par la petite localité et son maire, Jérôme Bay, sans maître d’œuvre, mais avec la volonté d’honorer les défunts et leurs familles, également de mettre en valeur un patrimoine, en particulier l’église romane (dont le chroniqueur Médicis révélait l’existence dès 1164), d’offrir au visiteur un endroit pour méditer, face au splendide plateau du Mézenc avec en premier plan, la tour ronde et le château des Roys. Car oui, affirme Jérôme Bay : « Une promenade dans un cimetière n’a rien de macabre. On en ressort toujours plus fort ». Paris a le Père-Lachaise, du nom d’un prêtre confesseur de Louis XIV et Le Brignon, le Père-Aulanier. Au XVIIe siècle, l’abbé Aulanier, curé de la paroisse, avait tenu durant 50 ans un journal de bord. Il fait figure de personnalité locale. À droite, en entrant dans le cimetière, le visiteur pourra voir la modeste tombe de la famille Aulanier. La commune a donc baptisé le vieux cimetière du nom de son ardent homme d’Église.
Un lieu témoin de l’Histoire, disions-nous. Et faut-il ajouter, de création. L’artiste sculpteur Pierre Rousseau, habitant de la commune, a réalisé justement de « Grands témoins », des sculptures disséminées dans le cimetière, comme celles qu’il avait imaginées pour le prieuré de Chamalières-sur-Loire. Elles sont faites de pierre et de verre sécurit. Ces cinq totems offrent autant de haltes culturelles décrivant le paysage, avec la montagne, les gorges pittoresques de la Loire, l’église, l’histoire de l’abbé… Ils ont aussi leurs symboles, comme celui de la barque emmenant les âmes. Une allégorie souvent reprise dans les cimetières, lieu de l’égalité suprême…Le mystère de la pierre gravée : s’agit-il d’un prieur, d’un moine, ou bien d’un évêque.
De discrètes pastilles de cuivre ont été insérées dans les sculptures, en hommage au géologue et historien de la Haute-Loire, Jean-Noël Borget, trop tôt disparu (il y aura bientôt un an), ainsi l’a souhaité le sculpteur Pierre Rousseau. Juste avant sa disparition, Jean-Noël Borget était accueilli par le maire dans le cimetière afin d’en percer les mystères car il en reste encore tant à découvrir. Jérôme Bay a rédigé les textes au cœur des sculptures, qui s’accompagnent de leur tradition anglaise assurée par John Harris, lui aussi résidant dans la localité. Pourquoi aller chercher ailleurs les compétences dont on dispose sur place !
Les sculptures sont faites dans un mélange d’arkose de Blavozy et de trachyte, roches sédimentaires et volcaniques. Ici, tout autour, le basalte est omniprésent. Il est rappelé sur l’un des totems « qu’au pays du feu volcanique », une vaste couche de laves sombres a recouvert les granits clairs voici deux millions d’années. Puis la Loire s’est frayé une vallée. Les Gardes du Devès qui émergent à la surface du plateau ont longtemps servi de lieu d’observation, d’où leur nom. Le basalte est la roche qui constitue le plateau volcanique du Brignon. On le retrouve dans la composition des dalles plus ou moins épaisses constituant certaines pierres tombales qu’il a fallu nettoyer et qui ont dû retrouver place à l’intérieur du cimetière où le temps avait semé un incroyable désordre.Un projet ayant reçu de nombreux soutiens.
Le basalte provenant du refroidissement d’une coulée de lave a servi à faire les croix où s’observent les petites cavités, une particularité de la roche volcanique (basalte bulleux). Il a servi encore de base, de support aux croix métalliques. Le mur du cimetière est lui-même un assemblage de petits blocs de basalte plus noir. Après avoir poussé la grille du petit cimetière et avant d’en parcourir les « chambées » en basalte elles aussi, d’emprunter un cheminement pour faciliter la découverte, une pierre attire l’attention. « Les grands cimetières sous la lune » gardent jalousement leurs mystères. Les plus modestes, comme au Brignon, cultivent les leurs.
L’énigme de la pierre sculptéeCette pierre présente à l’intérieur de l’église a désormais sa place à l’extérieur. Jérôme Bay parle d’une pierre « énigmatique ». Il la décrit ainsi : « Sur cette dalle basaltique aux bords brisés apparaît un personnage couché, revêtu d’une chasuble et portant un pallium (une étoffe, NDLR). Il est représenté les mains jointes sur le haut de la poitrine, avec une sorte de bâton, la tête recouverte d’un capuchon. Est-ce un prieur, un moine, un évêque ? La question reste en suspens. Pourtant, le bâton n’a rien d’une crosse. Des historiens évoquent une mystérieuse pierre datant du XVIIe siècle à l’effigie du prieur André Séjalon. » Les tombes révèlent les noms de famille du village.Le cimetière intimement lié à l'église romane
Daniel Veysseyre et l’association des Gardes aux vallées qu’il préside ont réalisé le travail d’identification de ces tombes. Parmi elles, celles de familles nombreuses, modestes, ou celle d’un vicomte. Toutes les pierres tombales ne correspondent pas forcément aux sépultures, car au fil des ans, tout a été mélangé. Un certain nombre de cœurs métalliques et émaillés ont été récupérés lors de la rénovation et exposés le long du presbytère. « Quarante noms de personnes ont été recueillis », indique Daniel Veysseyre. Le dernier défunt aurait été inhumé dans le cimetière en 1925, comme en atteste une plaque retrouvée sur place. Une autre pierre tombale, une des plus anciennes, interpelle avec ses croix jumelées et sa teinte rougeâtre. Elle a été taillée dans de la scorie soudée. Sur le mur d’enceinte, un compagnon a gravé son nom et la date de construction en 1660.
Le cimetière ressuscité du Brignon a gardé les traces des vies fauchées, de ces désormais inconnus, ces « vieux frères » comme les appelait Bernanos, « arrivés aux portes du royaume de Dieu ». En ce lieu, on a soif de savoir, de tout voir, avançant à tâtons comme dans une intrigue policière, quand bien même, à l’instar de l’auteur du Journal d’un curé de campagne, on sait bien « ce qu’a de vain ce retour vers le passé ». è Visite. À l’occasion du Téléthon dans la commune, une visite du vieux cimetière est organisée samedi 7 décembre à 14 heures. Le lieu est par ailleurs en libre accès depuis l’église du Brignon.
Philippe Suc
VisiteÀ l’occasion du Téléthon dans la commune, une visite du vieux cimetière est organisée samedi 7 décembre à 14 heures. Le lieu est par ailleurs en libre accès depuis l’église du Brignon.