Derrière Donald Trump, l'inquiétant déluge de messages anti-science de ses futurs ministres
Ce 22 avril 2022, Pete Hegseth n’est pas encore pressenti pour prendre les rênes du Pentagone. Quelques semaines avant la sortie de son livre Bataille pour l’esprit américain, qui dénonce "l’endoctrinement des élèves de la maternelle à la terminale", il coanime avec le chroniqueur texan Will Cain une émission sur Fox News consacrée au changement climatique. L’idée de ce show bien rodé n’est pas d’alerter les Américains sur les conséquences néfastes liées à la montée des températures. Au contraire, le but du programme consiste à se moquer des "bobards" racontés par les démocrates à ce sujet.
Sur l’écran géant installé derrière les présentateurs, de courtes vidéos de personnalités et des captures d’écran d’articles de presse se succèdent. Des contenus soigneusement choisis et présentés de manière caricaturale. Pas de place ici pour une analyse fine et détaillée des scientifiques du GIEC. En guise d’information, une citation annonçant la fin du monde dans neuf ans, un extrait d’article anticipant la montée du cannibalisme dans le futur en raison de la crise climatique, un autre faisant le lien, sans trop y croire, entre montée des températures et troubles cardiaques…
Pete Hegseth se lâche : le changement climatique est l’ennemi parfait. "Il est partout mais on ne le voit jamais. Et on devrait faire tout ce qui est en notre pouvoir pour s’attaquer à ce problème ? Quand il fait trop chaud, trop froid ou qu’il pleut trop, c’est la faute du climat. C’est même notre faute car - selon les démocrates - nous sommes des dieux qui contrôlons le climat".
Will Cain en rajoute lui aussi. Après avoir lancé une vidéo durant laquelle le prince Harry nous prévient que le monde est en feu, il rigole et se tape sur les cuisses "Ça ne tient pas debout, nous sommes au plus bas historique en ce qui concerne le nombre de victimes associées aux catastrophes comme les ouragans ou les inondations". L’argument est fallacieux mais qu’importe. L’idée est de faire passer la cause climatique pour une obsession infondée. Et de coller ainsi aux idées de Donald Trump, qui a visiblement fait du climatoscepticisme un critère important de recrutement pour sa nouvelle équipe.
Le "fanatisme des élites mondiales"
En 2019, dans une tribune publiée dans USA Today, le sénateur Marco Rubio - aujourd’hui proposé comme chef de la diplomatie - reconnaît que les températures montent, mais n’attribue pas le phénomène aux activités humaines et surtout, rejette "le fanatisme des élites mondiales et des gauchistes américains autour du changement climatique". Il cite une étude de l’Agence pour l’environnement sortie deux ans plus tôt, qui, selon lui, assure qu’un effort d’adaptation permettra de réduire les dégâts des intempéries de 90 % sur les côtes de la Floride. Il serait donc inutile de bâtir des digues de protection. Les propriétaires de maison n’auraient pas besoin non plus de déménager. Problème : un journaliste de CBS a lu - vraiment - l’étude, et les conclusions vont plutôt dans le sens inverse.
Une goutte de plus dans un océan de désinformation. Elon Musk, chargé par Donald Trump d’éliminer les lourdeurs de l’administration américaine, a publié à plusieurs reprises des messages soutenant que l’élevage n’avait pas d’impact sur le climat. "Tuer quelques vaches ne fera aucune différence", assure-t-il. Et dire que le propriétaire de Tesla bénéficiait autrefois de la sympathie des écolos, en raison de ses prouesses dans les véhicules électriques…
Autre cas d’école : Chris Wright, le candidat pressenti au poste de secrétaire à l’Energie, explique dans une vidéo postée sur LinkedIn l’année dernière que la crise climatique n’existe pas. Il n’y a donc pas besoin de s’atteler à la transition. Des propos qui ne surprennent guère venant de celui qui dirige Liberty Energy, une société proposant des services… de fracturation hydraulique.
La gouverneure du Dakota du Sud, Kristi Noem, proposée pour le ministère de la Sécurité intérieure et donc, chargée de superviser l’Agence fédérale de gestion des urgences liées aux catastrophes météorologiques, rejette elle aussi l’idée que l’homme est à l’origine de l’augmentation des températures. "À un journaliste qui lui demandait en mars 2022 si elle pensait que le climat était en train de changer, elle a répondu : "Je pense qu’il n’a pas été prouvé que ce que nous faisons affecte le climat"", relève le magazine Scientific American. Kristi Noem serait également le seul gouverneur à s’être retiré d’un programme du ministère de l’Energie, doté de 4 milliards de dollars, permettant aux États de distribuer à leurs habitants des remises sur leurs travaux de rénovation énergétique, poursuit la revue.
L’exploitation des hydrocarbures tient encore le haut du pavé
Au pays du gaz de schiste et du pétrole, la fin des passoires thermiques attendra bien quelques années de plus. Karoline Leavitt, la future porte-parole de l’équipe Trump, s’inscrit dans cette même vision du monde où l’exploitation des hydrocarbures tient encore le haut du pavé. "Je n’ai rien contre les énergies renouvelables, mais l’Inflation Reduction Act (NDLR : une loi mise en place par l’administration Biden permettant de subventionner massivement les technologies vertes) a siphonné beaucoup d’argent. Celui-ci aurait pu être employé de manière plus utile", expliquait-elle en 2022.
Une telle concentration de profils peu respectueux de l’environnement laisse nombre d’experts pantois. Donald Trump a déjà annoncé que les Etats-Unis sortiraient dès que possible de l’accord de Paris. Ira-t-il plus loin en s’affranchissant de la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et en détricotant l’IRA ? Les plus optimistes s’accrochent à l’idée que, sur ce sujet, Donald Trump pourrait faire preuve de pragmatisme. Après tout, les investissements déclenchés par l’IRA bénéficient en majorité à des territoires républicains. Mais comme le rappelle François Gemenne, professeur à HEC et auteur principal du 6e rapport du GIEC, le milliardaire ne fait pas toujours les bons choix en matière d’économie. "Lors de son premier mandat, de nombreux patrons lui avaient demandé de ne pas se retirer des accords de Paris. Il l’avait pourtant fait". Avant que Joe Biden n’annule cette décision.
Une chose semble sûre : sans la coopération des Etats-Unis, la transition énergétique aura du plomb dans l’aile. Les dégâts collatéraux apparaissent déjà. Javier Milei a demandé à ses diplomates de quitter la COP29, trois jours à peine après le début des négociations. Le président argentin aurait pris cette décision après un échange téléphonique avec Donald Trump. "Le risque est désormais de voir l’Argentine sortir de l’accord de Paris avant les Etats-Unis. Cela pourrait même faire tache d’huile auprès de pays comme le Venezuela, la Russie, la Hongrie et d’autres. Et comme il existe un délai de trois ans entre l’annonce de la sortie d’un pays et son départ effectif, les Etats-Unis ont le pouvoir de saboter les négociations des prochaines COP", note François Gemenne. Lors du premier mandat de Donald Trump, le monde avait réussi à limiter les dégâts sur le plan climatique. Cette fois-ci, la tâche s’annonce plus difficile.