A Londres, un cercle de passionnés fait revivre les chefs-d'oeuvre du cinéma muet
Toutes les trois semaines environ, le Kennington Bioscope organise des projections au Musée du cinéma de Londres, exhumant des films rares qui n'ont, pour certains, pas été vus depuis plusieurs décennies.
Diffusés dans la pénombre d'une chapelle devant quelques dizaines de spectateurs, ils sont accompagnés par un pianiste qui improvise au fil des images, comme il était courant de le faire au début du 20e siècle.
Le trésor du jour est l'un des sept courts-métrages de la série policière britannique "Kate à trois doigts", diffusée entre 1910 et 1912.
C'est dans ce même bâtiment que le jeune Charlie Chaplin, légende du cinéma muet, avait été envoyé enfant dans ce qui était à l'époque un hospice pour les plus démunis, dans le quartier de Kennington situé dans le sud de Londres.
"C'est une coïncidence incroyable", s'émerveille Alex Kirstukas, 32 ans.
Cet Américain, doctorant en cinéma, affectionne les films muets depuis son enfance, car ceux-ci permettent de plonger dans "un autre monde, un autre type de narration, avec une variété et une imagination incroyables".
Le bâtiment regorge de reliques de plus d'un siècle d'histoire du cinéma, des projecteurs aux affiches d'époque.
"Il y a un charme étrange et un caractère unique dans cet lieu", ajoute-t-il.
Joyaux perdus
Michelle Facey, membre du comité du Kennington Bioscope, dit avoir été d'abord attirée par le "glamour" des stars du muet, avant de saisir l'influence qu'ont eu ces films, "qui innovaient tout le temps", sur l'histoire du cinéma.
"Dans 'Le Procès' d'Orson Welles (1962), vous avez une vue aérienne d'un immense espace avec des bureaux. Quand j'ai vu 'La Foule' de King Vidor (1928), il y avait ce même plan (...) C'est passionnant de découvrir un tel parallèle", dit-elle à l'AFP.
L'ère du cinéma muet a duré du milieu des années 1880 au début des années 1930, s'achevant peu après la sortie du film "Le Chanteur de jazz" (1927), souvent considéré comme le premier du cinéma parlant et marquant une révolution pour cette industrie.
Dans le court-métrage diffusé ce jour-là, "Kate dérobe le cadeau de mariage", la voleuse et son gang creusent un tunnel à travers une cheminée pour s'introduire dans une maison.
Ce personnage irrévérencieux est interprété par l'actrice française Ivy Martinek, qui a joué dans des dizaines de films muets réalisés par la Société cinématographique britannique et coloniale (1908-1924).
Il s'agit du seul des sept courts-métrages de la série "Kate à trois doigts" qui a survécu au temps, parmi la faible proportions de films muets qui sont parvenus jusqu'au 21e siècle.
Ivy Martinek et les autres stars de l'époque restent des figures "méconnues" souligne auprès de l'AFP Ian Christie, professeur d'histoire du cinéma et des médias à l'université Birkbeck de Londres.
Au Royaume-Uni, les films sortis entre 1906 et le début des années 1920 sont particulièrement difficiles à trouver, ajoute-t-il, ce qui rend d'autant plus important le travail de groupes comme le Kennington Bioscope pour dénicher et montrer des joyaux perdus.
Pour y parvenir, ses membres arpentent archives poussiéreuses et collections privées.
Un travail colossal, qui mène parfois à des découvertes exceptionnelles: "Il y a peu, je croyais encore que je ne verrais jamais apparaître un jour 'Kate à trois doigts'", confie Ian Christie.