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Lyrique: Stravinsky dans la pente fatale d’Olivier Py

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Une mise en scène carrément hideuse !


Naturalisé Américain depuis 1945, le compositeur de L’Oiseau de feu (1910), de Petrouchka  (1911) et du Sacre du printemps (1913) s’est établi à Los Angeles. En 1951, année de la création de l’opéra The Rake’s Progress à la Fenice de Venise, Stravinsky (1882-1971) n’est plus de toute première jeunesse.  Dans la mouvance de ce qu’il est convenu d’appeler le « retour à l’ordre », le vieux Russe blanc orthodoxe natif de la septentrionale Oranienbaum, politiquement marqué à droite dans l’entre-deux guerres, a fait retour de longue date vers le courant néo-classique, s’incorporant tout autant dans l’esthétique baroque que le style italo-mozartien, dans un syncrétisme qui régénère non sans génie les archétypes de la tradition lyrique.  

Dans un des textes du programme qui accompagne l’actuelle reprise de The Rake’s Progress à l’Opéra-Bastille dans cette première mise en scène d’Olivier Py pour l’Opéra de Paris, millésimée 2008, le philosophe Jean-Marc Mouillie rappelle qu’en 1951, le jeune Pierre Boulez confiait à son ami John Cage la profonde détestation qu’il portait à cette partition : Stravinski, encore un effort pour être tout à fait moderne !

© Guergana Damianova – OnP

The Rake’s Progress : ce titre étrange mérite d’être explicité. Littéralement, « le progrès du râteau ». Mais comme l’explique Mouillie, Progress signifie plutôt, en langue anglaise classique, « pente fatale ». Et un Rake, c’est un « roué », un « débauché sans principe ».

En 1947, Igor Stravinsky, féru d’art plastique, découvre sur les cimaises de l’Art Institute de Chicago une suite de huit tableaux de William Hogarth (1697-1764) peints vers 1733-1734. Ils décrivent la carrière d’un libertin (ces toiles truculentes sont fort heureusement reproduites dans la brochure-programme de l’opéra). C’est le point de départ de la composition. Pour le livret, Stravinsky fait appel au célèbre poète W.H. Auden (1907-1973), lequel ne tarde pas à y associer son  ex-amant et mélomane Chester Kallman. La transposition s’enrichit de personnages décalés, tel ce grotesque Méphisto et cette repoussante femme à barbe baptisée Baba la Turque…

Dans ce joyau iconoclaste sous sa facture à dessein mélodiquement conventionnelle, à savoir sciemment référencée aux modèles anciens, on comprend bien que ce n’est pas le pastiche qui a pu attirer Olivier Py ; mais la force incoercible du désir charnel, l’attrait du péché, l’ambivalence sexuelle, le combat entre le bien et le mal, la rédemption…  Le problème, dans cette mise en scène, c’est qu’au lieu de fournir une lecture limpide (c’est-à-dire éclairante pour le spectateur) de cet opéra composite (qui croise le mythe de Faust et de Don Juan et culmine dans la folie et dans la mort), celle-ci, au prix d’une extrême laideur sur le plan visuel, se contente de percoler les sempiternelles obsessions et le goût pour la trivialité propres au scénographe. De là que travestissements, orgies, paillettes, numéros de cabaret, excentricités en string, se débondent dans un décor de poutres, de parois et d’encastrements de métal noirs, de néons flashy et de costumes luisants, sans compter la vidéo dont l’usage, en l’espace de 15 ans, a beaucoup vieilli, –  le tout carrément hideux, accessoires inclus.

N’était la baguette quelque peu aseptisée de la cheffe scandinave Susanna Mälkki – on aurait souhaité qu’elle dévale plus suavement la pente néo-classique – le casting des chanteurs pourrait sauver la mise : dans le rôle de l’héritier libertin et mégalo Tom Rakewell excelle vraiment le ténor américain Ben Bliss (entendu déjà l’an passé en Don Ottavio dans Don Giovanni à la Bastille) ;  le baryton-basse écossais Iain Paterson incarne superbement le diabolique Nick Shadow ; si la mezzo Jamie Barton manque parfois de coffre en Baba la Turque, la très belle soprano Golda Schultz, surtout, campe cette figure de l’amour vrai qui prend ici les traits de la bien-nommée Anne Trulove, avec charisme et infiniment de délicatesse vocale. Son alter ego Trulove est porté avec élégance par Clive Bayley, basse émérite qu’on avait pu encore admirer tout récemment à Paris dans l’opéra contemporain The Exterminating Angel.  


The Rake’s Progress. Opéra en trois actes d’Igor Stravinski. Avec Ben Bliss, Iain Paterson, Clive Bayley, Gloria Schultz, Jamie Barton…
Direction : Suzanna Mälkki. Mise en scène : Olivier Py.  Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.
Palais Garnier, les 4, 10, 12, 17, 23 décembre à 19h30. Le 8 décembre à 14h30
Durée : 3h05

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