La vie secrète des mots
Xavier Alario, chercheur au CNRS, explore les arcanes du cerveau pour nous parler des mots et, par extension, du langage, de son acquisition, de sa production, de sa compréhension et de son intelligibilité. Dans L’Esprit des mots. Pour une nouvelle neuroscience du langage, il explore le substrat linguistique, biologique, psychologique et neurologique de ce qui nous permet, nous humains, de parler, lire et écrire, autant d’activités qui s’accompagnent de mouvements corporels, fussent-ils furtifs.
Verba etiam manent
Pour reprendre la définition succincte proposée par l’auteur, « l’utilisation du langage est un événement physique complexe qui repose sur une variété de phénomènes acoustiques, mécaniques, électriques et biologiques ». Pour que la vie secrète des mots s’épanouisse dans notre esprit, cela implique un certain nombre de choses : à savoir, leur connaissance, leur manipulation et leur mémorisation (grâce à l’association entre la morphologie des mots et leur contextualisation au quotidien) et un fonctionnement cérébral opérationnel (autrement dit, l’absence de pathologies et de troubles du langage comme l’aphasie qui surgit généralement à la suite d’un AVC). Verba etiam manent : donc point de parole possible si celle-ci ne reste pas en mémoire. Et le directeur de recherches au CNRS de préciser que rien n’est laissé au hasard dans la mécanique du cerveau : « Les mots sont stockés dans l’esprit en fonction de l’usage que l’on en fait ».
La géographie cérébrale
Si L’Esprit des mots s’avère parfois un peu technique à la lecture, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer l’architecture cognitive et d’expliquer les processus cognitifs à partir d’une copieuse littérature neuroscientifique, le livre n’en demeure pas moins très pédagogique dans sa démarche scientifique grâce à l’insertion de figures et schémas explicatifs. Le propos, qui de temps à autre ne manque pas d’humour (en jouant sur les mots avec un usage répété du calembour) et de ludisme (voir l’amorce du sixième chapitre), est par ailleurs lumineux. Les pages sur Paul Pierre Broca et Carl Wernicke, deux médecins anatomistes du XIXe siècle qui, les premiers, ont mis en lumière les aires du cerveau respectivement responsables de la production et de la compréhension du langage, sont essentielles pour comprendre qu’un bon nombre de recherches scientifiques portant sur les déficits, lésions, déperditions (liées à la dégénérescence de la matière grise ou blanche) et troubles cognitifs sont menées dans l’espoir d’éclairer les processus cérébraux neurotypiques.
L’architecture cognitive
L’imagerie médicale, notamment celle par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), contribue au développement des connaissances sur le cerveau et sa cartographie cognitive. Elle a permis de déterminer, entre autres, la capacité langagière. Cette dernière repose donc sur des opérations cérébrales complexes (repérage, décodage et découpage) que sous-tendent des mécanismes d’inhibition et d’activation, ainsi que des modèles probabilistes comme ceux inspirés du célèbre théorème de Thomas Bayes. En définitive, il apparaît que nous soyons naturellement câblés pour l’acquisition de connaissances verbales : « Le comportement et le cerveau des bébés semblent révéler une éminente disposition pour le langage. Cette disposition comprend des connaissances – ou une propension à acquérir des connaissances – qui pourraient être en partie innées ou en partie acquises au contact des stimuli verbaux ».
Le cerveau se plaît à procéder par catégorisation pour structurer l’engrangement du savoir et optimiser sa compréhension. Il en va de même pour la compréhension naturelle de la parole qui, pour Xavier Alario, « serait donc omnivore. Elle s’alimenterait à la fois de diverses catégories linguistiques et de la variabilité présente dans le signal ». Dans cette architecture cognitive, l’hémisphère gauche, celui qui est dominant pour le langage et qui traite les décodages les plus rapides, est de manière générale le plus sollicité.
L’auteur en vient à voir les mots comme des « entités biologiques naturelles » au terme d’une réflexion marquée par le bon sens qui s’interroge aussi sur le non-humain : ordinateurs et animaux.