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Ventes de livres : les grands gagnants et les perdants de 2024 (avec les vrais chiffres)

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C’est devenu une tradition de Noël, guettée par les auteurs comme par les éditeurs avec presque autant d'empressement que la dinde : L’Express dresse le bilan des ventes de livres de l’année qui s’achève, entre succès inattendus, valeurs sûres, grosses déceptions et déclin d’anciennes gloires. Précisons d’emblée qu’il s’agit d’un inventaire arithmétique, non exhaustif, qui n’engage en rien la qualité des ouvrages (au service Livres, nous avons adoré certains flops et détesté des gros succès), mais qui dit tout des engouements du public comme du poids des jurys littéraires ou des stratégies marketing. Signalons aussi que nous nous sommes concentrés sur la littérature et les essais en grand format. Les chiffres de notre partenaire Edistat ont été arrêtés à la première semaine de décembre, alors que les achats de Noël vont encore doper les ventes (le mois de décembre représentant à lui seul près de 15 % du chiffre d’affaires annuel des librairies).

Les succès

Lauréat du Goncourt, l'écrivain franco-algérien a déjà vendu plus de 260 000 exemplaire de son "Houris" chez Gallimard.

Albin Michel, le roi de l’année

Les surprises de l’année et les grands noms, côté fiction, mais aussi les rescapés du côté des essais en souffrance… La maison de la rue Huygens est partout. L’incroyable carton de l’historien de l’art, directeur de la Fondation Hartung-Bergman, Thomas Schlesser avec Les Yeux de Mona, gratifié de quelque 300 000 ventes ? Le Barman du Ritz, formidable long-seller de Philippe Collin, le journaliste féru d’histoire de France Inter, vendu à plus 200 000 exemplaires ? Et encore Valérie Perrin (Tata), Mélissa Da Costa (Tenir debout), Amélie Nothomb (L’Impossible Retour), Stephen King (Holly), au-dessus des 100 000 exemplaires ? Tous publiés par Albin Michel ! Ses chiffres sont moins glorieux, bien sûr, du côté de la non-fiction, mais restent plus qu’honorables, avec Yuval Noah Harari (Nexus), Daniel Cohen (Une brève histoire de l’économie) ou Nathan Devers (Penser contre soi-même). Bref, une année faste qui devrait permettre de compenser les pertes des Mémoires de l’ex-chancelière allemande, Angela Merkel, Liberté, publiés le 26 novembre, qui auraient été achetés quelque 350 000 euros et connaissent un démarrage très calme.

Mélancolie algérienne

Dès le mois de juin, il était annoncé que le prix Goncourt 2024 serait décerné à Kamel Daoud pour Houris, roman courageux sur la guerre civile algérienne des années 1990, qui était très clairement l’événement de la rentrée Gallimard. Tout s’est passé comme prévu. Parmi les quatre finalistes, Hélène Gaudy n’a pas fait le poids – son roman Archipels (L’Olivier) en est aujourd’hui à 4 000 exemplaires vendus. Houris, lui, en est déjà à plus de 260 000 exemplaires. La consécration du chroniqueur vedette du Point a été hélas assombrie par une polémique et par l’interdiction de son livre en Algérie. Surtout, son ami Boualem Sansal, publié lui aussi chez Gallimard, a été emprisonné par une dictature algérienne s’en prenant à ses écrivains francophones.

La droite dure (et Fayard et Bolloré)

Une autobiographie à moins de 30 ans peut apparaître prématurée. Mais, à défaut de Matignon, Jordan Bardella aura cette année décroché un best-seller. Tiré à plus de 150 000 exemplaires, Ce que je cherche a déjà trouvé plus de 140 000 acheteurs, avec une part conséquente des ventes qui se sont faites en grandes surfaces. Repris en main par Lise Boëll, Fayard est devenu la vitrine idéologique du groupe Hachette, propriété de Vincent Bolloré. L’un des auteurs fétiches de l’éditrice, Philippe de Villiers, est lui aussi tout proche du score du président du RN, avec là encore une importante promotion des médias appartenant à Bolloré (deux couvertures du JDNews sur le Vendéen en peu de temps…). Toujours chez Fayard, Journal de guerre. C’est l’Occident qu’on assassine, de Gilles-William Goldnadel, habitué de CNews, atteint les 55 000 exemplaires.

Les polardeux à la fête

Bon an mal an, ils sont toujours là. Tandis que les astres d’antan vacillent, Joël Dicker, Guillaume Musso, Franck Thilliez, Bernard Minier and Co. font mieux que résister. Avec, dans l’ordre d’apparition, 420 000 exemplaires pour Un animal sauvage (Rosie & Wolfe), 390 000 pour Quelqu’un d’autre (Calmann-Lévy), 180 000 pour Norferville (Fleuve éditions), 134 000 pour Les Effacées (XO). Excusez du peu ! Autant de thrillers, de polars ou de romans à frissons qui franchissent allègrement la barre des 100 000 ou même des 300 000. Nul doute, le noir continue de briller.

La manne de la romance

C’est un monde parallèle qui fructifie loin des micmacs du microcosme germanopratin. Les prix, Télérama, P.O.L ou France Inter n’existent pas pour Morgane Moncomble, Sarah Rivens, Chloé Wallerand ou Laura Swan. La première a vendu 490 000 exemplaires de sa saga Seasons, la deuxième 290 000 exemplaires du premier tome de Lakestone, la troisième 65 000 exemplaires du dernier tome de The Devil’s Sons, et la quatrième 82 000 exemplaires du second tome de Troublemaker. Ces fauteuses de troubles, qui s’invitent toutes les semaines dans notre palmarès des meilleures ventes sont publiées chez Hugo Roman, Hachette Lab ou Plumes du Web – elles n’adressent pas leurs manuscrits aux éditions de Minuit. Ce phénomène va-t-il continuer de s’amplifier ou au contraire se tasser, voire s’essouffler ? A suivre en 2025. En attendant le verdict, des maisons plus classiques tentent de surfer sur cette vague. Le Seuil a lancé le label Verso et la nouvelle collection de romance d’Albin Michel, baptisée Nox, sortira en janvier ses deux premières nouveautés.

Bienvenue dans la blanche

Le pari est gagné. En publiant son "premier" roman historique, à la rentrée littéraire, Olivier Norek, ancien flic de terrain et auteur phare du polar français (Surtensions, Surface, Dans les brumes de Capelans…), tentait "un coup" à la Pennac ou à la Lemaitre, soit passer du noir au blanc avec les félicitations du jury. Justement, ses Guerriers de l’hiver (Michel Lafon) et ses 450 pages sur une guerre oubliée, celle déclenchée par l’empire de Staline contre la Finlande, fin novembre 1939, ont été couchés sur la première liste de nombre de prix, dont le Goncourt et le Giono. Quant aux lecteurs, ils ne sont pas moins de 134 000 à avoir accouru. Un franchissement de frontière qui n’est pas sans rappeler celui de Sandrine Collette, qui, elle aussi, s’est affranchie du suspense de ses premiers textes (Des nœuds d’acier, Six fourmis blanches, Il reste la poussière…) pour aborder avec succès le roman d’atmosphère. Madelaine avant l’aube (Lattès), tout juste auréolé du Goncourt des lycéens, a franchi la barre des 70 000 et devrait connaître un joli avenir.

Le scalpel et la plume

Qui l’avait vu venir ? Philippe Boxho est un médecin légiste liégeois de 59 ans qui ressemble physiquement à un mélange de Philippe Manœuvre et de Laurent Voulzy. Les interviews qu’il accorde à Legend font des millions de vues sur YouTube. Publié dans la petite maison belge Kennes, il cartonne avec ses livres où il raconte dans une langue sémillante ses autopsies les plus burlesques. Après Les morts ont la parole et Entretien avec un cadavre (plus de 215 000 exemplaires chacun), il confirme son succès avec La Mort en face, qui a déjà dépassé les 115 000 ventes. Les rentrées littéraires ressemblant souvent à des massacres, il n’est au fond pas illogique que cet habitué des scènes de crime ait réussi à éviter les balles perdues et à tirer son épingle du jeu.

Gaël Faye, le patient

L’exercice n’était pas facile. Il y avait la fameuse épreuve du deuxième roman ; on vous y attend, ou pas, au tournant. Surtout lorsque le premier a connu un succès retentissant comme Petit Pays (Grasset) de Gaël Faye, Goncourt des lycéens 2016, écoulé à près de 1,6 million d’exemplaires, tous formats confondus. Peu avant la sortie de Jacaranda, le 14 août, on entendait quelques grincheux susurrer, "Faye ne se renouvelle pas, c’est encore sur le Rwanda". Pas de quoi effrayer les fans de la première heure qui se sont jetés en nombre sur le roman du rappeur franco-rwandais, le propulsant aux alentours de 250 000 exemplaires, bien aidé, aussi, par le prix Renaudot. Huit ans. Gaël Faye aura mis huit ans pour écrire ce récit enlevé sur les trois décennies écoulées depuis le génocide des Tutsis. Comme un bon conseil aux primo-romanciers : ne pas se précipiter pour publier son deuxième opus, au risque qu’il demeure le second.

Les nouveaux Jean d’O

Ils ne portent pas de cravate tricot bleu marine et n’ont pas l’accent du faubourg Saint-Germain d’antan mais, chacun à leur manière, ils se partagent le fauteuil vacant de Jean d’Ormesson. Académicien et incarnation moderne de l’honnête homme, Jean-Christophe Rufin a toujours autant de succès – avec D’or et de jungle (Calmann-Lévy), il a vendu 90 000 exemplaires. Jean d’O, c’était aussi Le Figaro, où Sylvain Tesson a son rond de serviette. Le baroudeur préféré de la bourgeoisie française ne se démode pas, avec 185 000 exemplaires pour Avec les fées (Ed. des Equateurs). Jean d’O, c’était enfin ce sourire qui faisait craquer la ménagère. Le séduisant Miguel Bonnefoy a repris le flambeau. Avec Le Rêve du jaguar (Rivages) il a fait le doublé grand prix du roman de l’Académie française/prix Femina, et arrive à 80 000 exemplaires. Bonnefoy est un écrivain de charme (comme il y a des chanteurs de charme). Dans ce créneau, n’oublions pas l’inoxydable David Foenkinos – 125 000 exemplaires de La Vie heureuse, chez Gallimard, ancienne maison d’édition de Jean d’O.

Les déceptions

Les "Vingt mois à Matignon" de l'ancienne Première ministre ont séduit moins de 5000 acheteurs.

Les politiques

A part le phénomène Bardella, les politiques font grise mine en librairie. Ce qui nous porte (Seuil), de Sandrine Rousseau, n’atteint même pas la barre des 1 000. L’ex-Première ministre Elisabeth Borne fait un bide avec ses Vingt mois à Matignon (Flammarion) qui n’ont intéressé que 4 700 acheteurs. Retraçant dans Itinéraire (Les Liens qui libèrent) son parcours politique, François Ruffin dépasse à peine les 7 200. Même François Hollande, président redevenu simple député, s’est normalisé dans l’édition avec 7 800 exemplaires du Défi de gouverner (Perrin). Jean-Michel Blanquer et Roselyne Bachelot, des anciens à la parole plus libre, s’en sortent mieux avec La Citadelle (Albin Michel, 16 000) et Sacrés monstres ! (Plon, 25 500).

Ces prix mal récompensés

Il est des lauréats de cette rentrée littéraire qui n’ont pas (ou plus) l’heur d’attirer l’attention. Le prix Deux Magots de Jean-Pierre Montal pour La Face Nord (Séguier), un roman d’amour qui nous a enthousiasmés, ne s’est pour le moment écoulé qu’à 1 800 exemplaires - reste la dote de 7 700 euros (non imposée), pas si mal ! Quant au Prix Wepler-Fondation La Poste, Thomas Clerc, auteur de Paris musée du XXIe siècle. Le dix-huitième arrondissement (Editions de Minuit), il ne s’est vendu qu’à 4 600 exemplaires, soit un peu moins que le prix littéraire des Ecrivains de Marine, Arnaud de La Grange, qui publie La Promesse du large (Gallimard, 4 900 exemplaires) et que la lauréate du Talent Cultura, la journaliste Stéphanie Perez, pour La Ballerine de Kiev (Récamier, 6 000 exemplaires).

Même les prix les plus prestigieux n’occasionnent pas systématiquement des ventes astronomiques : ainsi de Julia Deck (prix Médicis) et son Ann d’Angleterre (Seuil, 8 200 exemplaires) et de Thibault de Montaigu (prix Interallié) et son Cœur (Albin Michel, 13 800 exemplaires). Rien de déshonorant mais les couronnés pouvaient escompter, à juste titre, de meilleurs scores. Et puis il y a le prix Décembre d’Abdellah Taïa pour Le Bastion des larmes (Julliard), écoulé à 10 500 exemplaires. Mais là, la dotation de 15 000 euros remise par la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent permet d’oublier, on l’imagine, les lecteurs manquants.

Et que dire des essayistes lauréats ? L’Invisible Madame Orwell (Héloïse d’Ormesson) de l’Australienne Anna Funder, prix du Meilleur livre étranger catégorie essai, ne s’est écoulé qu’à 1 150 exemplaires, tandis que le Femina essai de Paul Audi pour Tenir tête (Stock) affiche 1 500 exemplaires au compteur et Echec et mat au paradis (Actes Sud) de Sébastien Lapaque, Renaudot essai, 3 400 exemplaires.

La littérature étrangère

Si l’on fait abstraction de la "romance" ou de l’inusable Stephen King, 2024 confirme la mauvaise passe de la littérature étrangère. Des ventes moroses d’autant plus inquiétantes que les romans venus d’ailleurs nécessitent pour les éditeurs des coûts supplémentaires avec les achats des droits et la traduction, alors même que les auteurs non francophones ne sont pas invités à la télévision ou la radio pour la promotion. Un grand nom de la littérature anglophone comme le regretté Russell Banks (Actes Sud) n’a séduit que 12 300 acheteurs pour son ultime roman, Le Royaume enchanté. Au Seuil, le pavé de John Irving, Les Fantômes de l’Hotel Jerome, en est à plus de 10 500 depuis un mois. A L’Olivier, Richard Ford doit se contenter d'un peu plus de 3 000 exemplaires de son Paradis des fous. Saluons quand même la confirmation de Nathan Hill et son Bien-être (Gallimard), comme celle du Long Island de Colm Toibin (Grasset), deux des coups de coeur de L’Express à la rentrée et qui dépassent les 19 000 exemplaires. Toujours chez Grasset, la récente Prix Nobel sud-coréenne Han Kang connaît un joli succès avec 33 000 exemplaires de ses Impossibles adieux.

Primés périmés ?

Les écrivains rêvant des plus grands prix devraient méditer cette leçon : avoir été fêté chez Drouant n’empêche pas l’obsolescence programmée. Star des années 1980 (prix Goncourt en 1985), Yann Queffélec en a fait les frais avec La Méduse noire (Calmann-Lévy) écoulé à 5 500 exemplaires. Les lendemains déchantent encore plus pour les prix Renaudot Yann Moix (2013) et Simon Liberati (2022), qui culminent à 1 500 et 1 300 exemplaires pour Visa (Grasset) et La Hyène du Capitole (Stock). Il n’y a pas loin dudit Capitole à la roche Tarpéienne…

Le graphomane Michel Onfray

Le philosophe à la centaine de livres (et dizaine d’éditeurs…) semble victime de sa surproduction. Cette année, le tome 2 de son Puissance et décadence (Plon) ne s’est vendu qu’à 5 000 exemplaires, et le tome 4 de sa Nef des fous (Bouquins) à 4 000. Chez Albin Michel, son journal hédoniste La foudre gouverne le monde fait mieux avec 11 000 exemplaires. Sinon, en 2024, Michel Onfray a aussi publié un journal de son périple au Japon, Inframince (Ed. du Plenitre, 1 200 exemplaires), et a vu ses récits de voyage compilés par la collection Bouquins (300 exemplaires). Loin, très loin, du million atteint avec sa charge contre Sigmund Freud, parue en 2010. Le crépuscule d’une idole ?




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