Un cadeau de dernière minute pour Noël ? Ces dix livres qui feront plaisir à coup sûr
Le Dernier Combat
Par Craig Johnson, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides
Gallmeister, 416 P., 24,90 euros
Maniant l’ironie plus aisément que le revolver, le shérif Walt Longmire s’est inscrit depuis une vingtaine d’années dans le paysage du polar rural américain, versant grands espaces de l’Ouest. Chargé de faire régner l’ordre dans une bourgade du Wyoming de 25 âmes, il est ici reconduit pour une seizième aventure, dans laquelle on retrouve son fameux sens de la répartie, si drolatique que les (nombreux) dialogues justifient à eux seuls la lecture, des seconds rôles hauts en couleurs, tels Vic, adjointe et compagne de Longmire forte en caractère, ou le placide barman indien Henry Standing Bear, surnommé La Nation Cheyenne. Quant à l’intrigue, elle raconte une version du passé de cette région américaine un peu plus nuancée que l’historiographie officielle.
Tout commence par un appel de la Maison des Vétérans du Wyoming, au sein de laquelle un certain Charley Lee Stillwater vient de passer l’arme à gauche. Longmire retrouve dans la chambre de l’ancien soldat une étude d’un célèbre tableau présumé disparu, La Dernière Bataille de John Custer, ainsi qu’une boîte à chaussures contenant 1 million de dollars en petites coupures. Voilà bientôt notre shérif sur la piste de trafiquants d’œuvres d’art, dont un "comte sans compte" (faussaire désargenté), ses troubles assistants et quelques oligarques russes. L’occasion, au passage, d’égratigner l’une des légendes de l’Ouest, celle du lieutenant-colonel Custer, davantage "maniacodépressif perfide et irrationnel" que héros. La jubilation avec laquelle Craig Johnson se joue des codes du polar est de plus en plus évidente au fil de la série, à l’image d’une poursuite finale menée à grand renfort de fauteuils roulants ! Bertrand Bouard
Le Rêve de Marc Aurèle
Par Frédéric Lenoir.
Flammarion, 288 p., 20,90 €.
Le plus étonnant, c’est que Frédéric Lenoir, philosophe à la tête de plus d’une soixantaine de livres (L’Âme du monde, La Guérison du monde, etc.), n’en avait jamais consacré, jusqu’à aujourd’hui, à "L’empereur philosophe qui nous aide à vivre", comme indiqué dans le sous-titre de son ouvrage. Oubli réparé donc avec cette biographie claire et pédagogique. Marc Aurèle (121-180), lui, n’aura écrit qu’un seul livre, Pensées pour moi-même, brèves sentences jetées sur le papier lors des dix années de sa vie de militaire résumant la quintessence de la doctrine stoïcienne et trouvées le soir de sa mort. Agir avec justice, penser avec rectitude et accepter avec sérénité ce qui ne dépend pas de nous, telles sont les règles fondamentales de l’homme de bien selon la pensée stoïcienne. Que Marc Aurèle s’efforçât d’appliquer tout au long de son règne de dix-neuf ans commencé en 161, un règne qui fut unanimement salué par les historiens de l’Antiquité.
Pour autant, Frédéric Lenoir ne tombe dans l’hagiographie, qui met aussi en exergue les quelques critiques possibles de l’empereur romain comme sa trop grande faiblesse envers l’adultère de sa femme, Faustine, ou les cruautés de son fils ; de même, sa politique inflexible à l’égard des chrétiens et des juifs et son conservatisme en ce qui concerne les femmes et les esclaves font dire à l’auteur que Marc Aurèle était plus un réformateur qu’un révolutionnaire. Reste que, conclut l'auteur, son message, parlant de l’ambivalence du cœur humain, est à jamais universel et intemporel. Marianne Payot
L’avion, Poutine, l’Amérique… et moi
Par Marc Dugain
Albin Michel, 352 P., 22,90 €.
Après avoir relaté la vie de son père dans La Volonté (2021), Marc Dugain expose cette fois-ci une bonne partie de la sienne, même si lui seul connaît le degré de véracité du récit. L’histoire est romanesque au possible et commence dans le New York des années 1980. Le narrateur tente de se faire une place au soleil dans le monde de la finance, avec l’idée de passer ensuite à autre chose. Laquelle ? Il n’en a aucune idée. Il se dévoue d’autant plus à la banque qui l’emploie que son couple est en lambeaux : sa femme s’abîme dans une dépression mortifère et il s’agit pour lui et ses deux enfants de ne pas couler avec elle. Lors de la décennie suivante, notre homme est en Russie, à proposer des plans de financement à des oligarques, ce qui intéresse vivement les services secrets occidentaux. L’écriture d’un premier roman sur un grand-père défiguré lors de la Première Guerre mondiale, en deux semaines dans une maison perdue en Norvège, et son succès (La Chambre des officiers, 1999) lui autorisent une bifurcation salvatrice.
Le récit importe déjà en ce qu’il fournit la clef de l’œuvre de Dugain, protéiforme, disparate au premier abord, et finalement tenue par une obsession : "L’indignation devant le mensonge d’Etat". Celle qui le conduit à s’intéresser au drame du sous-marin Koursk et à l’accident du Boeing de la Malaysia Airlines, relatés ici. Mais d’un écrivain qui contemple son existence, on attend aphorismes, métaphores et commentaires sur l’ordre du monde, et Marc Dugain fait à cet égard montre d’une lucidité lumineuse. Sur l’Amérique, et le jour où elle rompit avec la démocratie, c’est-à-dire celui de l’assassinat de JFK. Sur Poutine, "plus proche d’un chef de Cosa Nostra que d’un despote classique, à la différence près […] qu’un parrain ne dispose pas d’un arsenal nucléaire". Idem sur le capitalisme, le marxisme, l’ère numérique, l’amour ou sur lui-même. La vision souvent irréfutable, constamment libre, d’un écrivain inclassable, qui ne s’était jamais destiné à l’être. B. B.
Shane MacGowan. Le Légendaire chanteur des Pogues
Par Richard Balls , trad. de l’anglais par Rémi Boiteux
La Table Ronde, 408 p., 26 €.
Quand on parle de rock irlandais, un homme prend de l’espace : Paul Hewson, dit Bono. Cela fait quarante ans que le leader de U2 remplit les stades et prend la pose avec les papes et les chefs d’État. Aura-t-il un jour le prix Nobel de la paix après lequel il court ? A ce drôle, les esthètes préfèrent un artiste dublinois moins mégalo, plus alcoolique et plus fêlé : Shane MacGowan, le leader des Pogues disparu l’année dernière. Avec ses chicots pourris, ce clochard céleste était moins photogénique que Bono sur les tapis rouges. Mais entre deux cuites il aura laissé une poignée de chansons splendides, Summer In Siam étant peut-être la plus mémorable.
Pour qui voudrait redécouvrir la vie et l’œuvre de ce personnage pittoresque de la pop du siècle dernier, on conseille cette bio de référence qui vient de sortir à la Table Ronde. Le journaliste Richard Balls ne vient pas de nulle part : il avait auparavant écrit un livre sur Ian Dury (l’auteur de Sex & Drugs & Rock & Roll). A rebours des théoriciens fastidieux à la Greil Marcus, il a mouillé le maillot : il a rencontré MacGowan et a même dormi chez lui – la gueule de bois devait être carabinée le lendemain matin. Après avoir interviewé tous les proches du chanteur, Balls livre un juste portrait de ce rockeur inclassable qui, dans sa jeunesse, avait voulu réconcilier le punk et la musique traditionnelle irlandaise, ses racines familiales et l’esprit No Future. S’il s’est autodétruit, cet homme touchant a construit une œuvre qui reste. A réécouter en lisant ce livre. Louis-Henri de La Rochefoucauld
Cucul
Par Camille Emmanuelle.
Seuil, coll. Verso, 256 p., 19,50 €.
Ne pas s’arrêter au titre Cucul (on a vu mieux), car ce roman est des plus délectables et fortement recommandable, aussi bien pour les adultes que pour les adolescents. Son auteure, la journaliste, scénariste et romancière Camille Emmanuelle, nous entraîne dans le monde "enchantée " de la romance. Non, ne fuyez pas, car c’est évidemment sur le mode parodique que l’auteure s’empare de ce genre fort prisé par les plus jeunes pour nous en expliquer les ressorts et les travers. Son héroïne, Marie, 32 ans, féministe et prof de français (au statut instable) dans un lycée catholique, a du mal à payer le loyer de son studio de Belleville. Aussi a-t-elle accepté d’écrire, sous pseudo et à la chaîne, pour les éditions Sensuelle des romances érotiques, suivant un process bien codé : rencontre, début de romance, conflit, mise en danger de la jeune héroïne et enfin happy end.
Mais voilà qu’on lui demande de passer à la dark romance, qui fait un malheur chez les concurrents, bref de "rendre glamour la violence conjugale et les violences sexuelles". Furieuse, elle tue (étouffé avec un roulé-saucisse) son héros de papier, le très riche et élégant James Cooper. Qu’elle voit apparaître dès le lendemain chez elle ! Le beau James en chair et en os ! Les ennuis commencent. Et qui pourrait la croire ? Pa son ex-futur petit ami, José, c’est sûr… Et l’on sourit devant ce méli-mélo drolatique de fiction-réalité, propice à la réflexion. M. P.
L’Ombre de Paris
Par Robert J. Lloyd, trad. de l’anglais par Paul Simon Bouffartigue
Sonatine, 592 P., 24,50 €.
La paranoïa va bon train dans les rues de Londres en cette année 1679. La monarchie a été restaurée depuis un certain temps (à la suite de la République de Cromwell), mais les catholiques sont surveillés de près, notamment par Lord Danby, trésorier de la reine Marie II et intrigant hors pair. C’est dans ce contexte qu’il confie une mission à Harry Hunt, un scientifique qui vient de tourner le dos à la Société Royale, après qu’une de ses expériences visant à produire de l’électricité en pressant des os a tourné court. Hunt est envoyé dans le Norfolk, afin d’enquêter sur un cadavre récemment découvert dans des terres marécageuses : le corps est de petite taille, celui d’un nain probablement, et son crâne a visiblement été fracassé par un boulet de canon. Bien des personnages s’intéressent à cette affaire, à commencer par la belle Hortense de Mancini, nièce de Mazarin, qui confie à Hunt que cette mort est certainement à relier avec la disparition d’un mythique bijou jadis en sa possession, le Sancy, qu’elle le charge de retrouver.
On peut se risquer à avancer que Robert J. Lloyd, qui signe ici la deuxième aventure d’Harry Hunt, nourrit quelque amour pour l’œuvre de Jules Verne, et notamment son goût pour les inventions scientifiques ; Hunt aura fort à faire, ici, avec une diabolique machine capable de répandre un poison mortel. Le lecteur voyage au fil des pages, des palais londoniens à la prison de la Bastille, et croise quelques personnages historiques tels que le redoutable préfet de police de Paris Gabriel Nicolas de La Reynie. Même si l’écriture ne possède pas le souffle des grands auteurs du genre, ce polar historique compense par l’originalité de l’univers et son indéniable érudition. B. B.
Bronstein dans le Bronx
Par Robert Littell, trad. de l’anglais par Cécile Arnaud.
Flammarion, 238 p., 21 €.
C’est le nombre de jours, soit dix semaines et quarante-huit heures, que Lev Davidovitch Bronstein, plus connu sous le nom de Léon Trotski, a passé à New York en 1917, du 13 janvier au 27 mars. Depuis son évasion d’une prison sibérienne, dix ans auparavant, il a vécu en exil à Londres, à Vienne, à Genève, à Paris, et le voilà avec sa compagne, Natalia Sedova, et leurs deux fils à New York, très exactement dans le Bronx, où l’ami bolchevik Nikolaï Boukharine lui a trouvé un appartement. C’est à propos de ce séjour que le journaliste et écrivain américain Robert Littell a décidé de broder malicieusement en nous proposant un portrait du Trotski de 38 ans dont le but, nous dit-il, est "d’allumer la mèche de la révolution mondiale en Amérique", rien de moins !
Littell s’en explique en préambule : s’il est obsédé par Trotski, c’est que son propre père, Léon Litzky, avait voulu changer de nom, trouvant que le sien ressemblait par trop à celui de "l’infâme révolutionnaire russe", dirigeant à 26 ans du tout premier soviet du monde en 1905. Il imagine donc Trotski (et sa conscience) tenter de convaincre la gauche américaine d’envisager la dictature du prolétariat, seule issue possible qu’il faut atteindre par tous les moyens. On le suit, sourire aux lèvres, dans ses pérégrinations et ses plaidoiries (hautes en couleurs). Jusqu’à ce que la révolution éclate en Russie et que le tsar abdique. Il lui faut alors rentrer au pays illico et pour cela trouver de l’argent et obtenir des visas… On sourit, on s’instruit, de bout en bout de ce Bronstein dans le Bronx. Merci monsieur Littell. M. P.
Vagabondages. Les Cartes rêvées de Nicolas Vial
Gallimard, 128 p., 35 €.
Il est des vocations qui tiennent à un "rien". Celle de Nicolas Vial, nous raconte son ami Philibert Humm dans la préface de ce beau livre, provient de quelques cuirassés en plomb trouvés à l’âge de 7 ans dans une malle en bois dénichée dans le grenier familial. Il passera bientôt sa vie à peindre vedettes, frégates et croiseurs, après avoir suivi des cours aux Beaux-Arts de Paris et travaillé comme illustrateur pour la Compagnie Paquet. Aujourd’hui intronisé "peintre officiel de la Marine", Nicolas Vial navigue moins qu’il ne laisse son imagination se débrider sur toutes les mers du monde. Et sur toutes les cartes : ainsi s’est-il amusé à faire voguer un trois-mâts sur une gravure de la campagne d’Egypte repérée récemment dans ce même grenier.
L’idée a fait son chemin. Après avoir posté sur Instagram quelques dessins sur cartes, il a reçu moult veilles cartes marines hors d’usage qu’il a enluminées à sa guise. La Corse reçoit la visite d’un rhinocéros, un brise-glace fend les icebergs de la mer Méditerranée, un pêcheur traditionnel malgache portant ses poissons éclipse l’Afrique, Napoléon se cabre à Waterloo, la mer de Chine se couvre de transatlantiques, chaque dessin étant accompagné d’un souvenir ou d’un commentaire de l’auteur… Le géographe en perd son latin, pour le plus grand plaisir du lecteur. M. P.
Petit Pudlo des bistrots 2024/2025
Par Gilles Pudlowski et Benjamin Berline.
Editions Les Pieds dans le Plat, 192 p., 9,90 €.
150, c’est le nombre de bistrots parisiens choisis et primés par le critique gastronomique Gilles Pudlowki dans son Petit Pudlo des Bistrots Guide 2024/2025. Avec, nouveauté de l’année, une vente en kiosques à 9 euros 90 (et sur Amazon) - notons aussi que le guide est offert (aux plus rapides) dans les établissements qu’il référence. Institutions, fleurons de la bistronomie et QG des voisins tapissent ainsi les 20 arrondissements de la capitale comme en témoigne la carte des adresses en fin de guide. Par ailleurs, Gilles Pudlowski et ses compères Benjamin Berline et Maurice Rougemont ont décerné 7 Trophées, dont ceux du Bistrot de l’année au patron Laurent Nègre de "La Grille Montorgueil" (50, Rue Montorgueil, Paris 2e), de la cheffe de l’année à Victoria Boller, à la tête d’"Aux Lyonnais" (32, Rue Saint-Marc, Paris 2e), de l’accueil et de la convivialité à Anne-Cécile Faye, aux manettes du "Sancerre Rive-Gauche" (20, Avenue Rapp, Paris 7e), des jeunes bistrotiers à Nicolas Gounse et Romain Gastel, tenanciers du Guersant (30 boulevard Gouvion-Saint-Cyr, Paris, 17e). Bon appétit ! M. P.
La Fille de l’autre
Par Caroline Thivel.
Plon, 240 p., 19 €.
IL y a trente ans, Antoine, professeur de grec émérite, père de Caroline, a fini par vendre la mèche : Marie, sa femme, avait eu un amant durant des années et Caroline ou sa sœur aînée, Béatrice, pourrait peut-être être la fille de cet amant. Cet homme n’était autre qu’Alain Borne, un avocat poète de Montélimar, ami d’Aragon et grand consommateur d’alcool et de femmes, mort dans un accident de voiture à l’âge de 47 ans en décembre 1962. La nouvelle fait l’effet d’une bombe pour Caroline, assistante au cinéma, et à la vie amoureuse tortueuse. "En m’annonçant ce soir-là qu’il n’était peut-être pas mon père, Antoine est devenu mon père", écrit Caroline, touché par la sincérité et le tact de cet homme si longtemps dénigré par leur mère qui l’appelait "Untel". Mais Caroline n’en reste pas là, bien sûr, elle cherche à en savoir plus sur ce "poète aux cent femmes", scrute ses photos, traque les ressemblances, questionne sa mère mais ne l’écoute pas, trop habituée à ses mensonges.
Reste qu’elle entame une longue enquête, qui piétine parfois, tout comme la lecture (mais n’est-ce pas le lot de toutes les enquêtes au long cours relatées en détail ?). Petit à petit les indices affluent : son neveu est le portrait craché d’Alain Borne, le psychiatre grenoblois de sa mère est formel sur la paternité du poète, tout comme Malou, la veuve de Jacques, l’ami fidèle d’Alain et confident de Marie, qui a gardé des tonnes de correspondance. Mais restons-en là. Pour savoir si Caroline et Béatrice sont sœurs, ou demi-sœurs, et quel est leur père, il vous faudra aller jusqu’au bout de cette quête qui parlera à bien des lecteurs. Ne sont-ils pas nombreux, en effet, à douter, eux aussi, à bon ou à mauvais escient, de l’identité de leur paternel ? M. P.