Maïté, Orwell et l’anti-France
Nous avons eu peur, à Causeur, en recevant le dernier article de notre chroniqueur mal embouché. « L’anti-France », cela sentait bon le complot judéo-maçonnique des années 1900, Charles Maurras, Léon Daudet et autres thuriféraires d’extrême-droite. Mais en le lisant, finalement…
Bien sûr, l’expression « anti-France » remonte aux grandes années de l’affaire Dreyfus. L’anti-France, c’étaient, pour la droite nationale, les dreyfusards, tous agents de l’étranger (en l’espèce, la Prusse), habités de sentiments anti-patriotiques — ce qui, quelques années avant la Grande Guerre, signifiait davantage qu’en nos temps de paix et de concorde universelle…
Mais notre contemporanéité se caractérise par l’inversion de toutes les valeurs. Nous vivons ce moment orwellien où « l’ignorance, c’est la force », « la liberté, c’est l’esclavage » et le Hamas est une organisation pacifiste. Ou pourquoi pas l’État islamique tant qu’on y est, que Jean-Luc Mélenchon donnait dernièrement le sentiment de défendre dans sa critique acerbe des frappes françaises sur la Syrie. Ce moment où les vieilles lubies antisémites de l’extrême-droite sont ramassées dans le caniveau par la gauche et le Camp du Bien.
À noter que le socialisme des origines n’était pas forcément dreyfusard. Jean-Numa Ducange, dans Marianne, a tout récemment expliqué que Jules Guesde et ses partisans, acharnés à combattre les bourgeois et les militaires, n’avaient aucune sympathie pour Dreyfus, officier qui jamais ne renia le corps qui l’avait formé. Quant à l’assimilation des Juifs et des bourgeois — et plus spécifiquement des banquiers —, il suffit de lire L’Argent pour connaître le sentiment de Zola sur la « race maudite », bien loin des opinions qu’on lui a forgées dans la légende républicaine après J’accuse. La gauche qui soutient mordicus le Hamas et accable Boualem Sansal parce qu’il déplaît aux Algériens manipulés par le régime, dont les immigrés sont les électeurs potentiels de Mélenchonet de ses épigones, est la même que celle qui méprisait Dreyfus.
L’anti-France, aujourd’hui, rassemble ceux qui luttent contre la République. Contre l’État. Contre la civilisation. Woke, blacks blocs, féministes de dernière dégénération, gauchistes professionnels en quête d’un nouveau prolétariat sur lequel marcher pour arriver au pouvoir, trotskistes d’hier et d’aujourd’hui, lambertistes de la première et de la dernière heure.
Et tant d’autres…
Dans un grand mouvement à 180°, la gauche est passée de l’autre côté, et la droite en quête de respectabilité en serait presque à revendiquer des idées de gauche.
La mort de Maïté, icône des années 1970-1980, m’a amené à redéfinir l’anti-France culinaire. La France, c’est le bœuf en daube ou le bourguignon, ce n’est pas la salade de quinoa. La France, c’est le cassoulet, les pieds-paquets ou la marmite dieppoise, ce n’est pas le surimi pour menus anorexiques. La France, c’est la poule au pot, le lapin chasseur et le civet de lièvre. Pas le steak de soja. Dans Le Tour de France d’Astérix (1965 — soixante ans déjà), le petit Gaulois fait le tour de l’Hexagone pour récolter les spécialités bien de chez nous, bêtises de Cambrai, saucisson de Lyon (on ne disait pas encore « Jésus », à l’époque), bouillabaisse et autres spécialités.
Ni couscous, ni kebab, ni pizza.
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Mais je suis un Moderne, et je ne crache pas sur un couscous mitonné au Fémina (1, rue du Musée, à Marseille) ni sur une pizza sortie du four de la Mère Buonavista (10, avenue du Prado, Marseille aussi). Nous avons au cours de notre histoire cousu au tissu français des mœurs exotiques arrivées d’Espagne, d’Italie ou du Maghreb — tant que les immigrés de ces pays se fondaient dans la culture nationale. Mes appétits ne sont pas forcément franco-français.
Mais ils ne sont pas anti-Français. La France est omnivore, elle n’est pas végane. Elle aime les barbecues, elle n’aime pas Sardine Ruisseau. Elle a inventé jadis les banquets républicains, où, comme le souligne Pierre Birnbaum dans La République et le cochon (2013), les Juifs en quête d’intégration savaient manger les cochonnailles offertes à l’appétit national. Parce qu’ils distinguaient, eux, ce qu’ils devaient à la nation et ce qu’ils devaient à leur dieu.
La France a des racines paysannes, elle est puissamment périphérique, comme dit Christophe Guilluy, elle existe surtout au-delà des boulevards des Maréchaux. L’anti-France vote en deçà du périphérique : seuls des agents de l’internationalisme prolétarien et de la boboïtude, escroqueries majeures, auraient l’idée d’élire Aymeric Caron, Sofia Chikirou, Rodrigo Arenas, ou Danièle Obono.
Mais nous savons depuis lurette qu’elle est bien finie, l’époque où l’on prétendait qu’« il n’est bon bec que de Paris ». La vraie France est ailleurs, dans ces campagnes dont les panneaux de signalisation ont été rendus illisibles par ceux qui refusent le Mercosur et leur mort programmée.
Il est urgent de rétablir la vérité sur les valeurs que défendent les uns et les autres. D’un côté la vérité, de l’autre les illusions d’optique. Je me suis attelé à la tâche immense de rendre la vue aux aveugles et des neurones aux décervelés. Je leur souhaite une bonne année, pourvu qu’ils consentent à chausser des lunettes.
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