Avis aux râleurs contre le budget Pays de la Loire : faites comme Edwy Plenel et Mediapart !
Le quotidien Libération et l’ensemble des secteurs sport, culture, médias et autres milieux associatifs subventionnés par les pouvoirs publics sont en pleine crise de nerfs. Figurez-vous que la présidente de la région Pays de la Loire, Christelle Morançais, du parti centriste Horizons, a décidé de faire des économies. Du jamais vu de chez jamais vu sur la planète France ! Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, il arrive qu’on en parle – le plus souvent avec force trémolos vertueux – mais le passage à l’acte reste inconnu chez nous à ce jour.
Eh bien, voilà qui est chose faite ! Vendredi 20 décembre dernier, le Conseil régional a concrétisé l’impensable par 64 voix pour, 25 contre et 3 abstentions. Par rapport au budget total de 2024 qui se montait à 2 047 millions d’euros, il a voté une hausse des dépenses d’investissement de 10 millions d’euros et, point de friction, une baisse des dépenses de fonctionnement de… 82 millions d’euros pour 2025. Je parie que vous vous attendiez à plus, ou que vous ne pensiez pas que le budget régional puisse être si élevé. Sachant qu’en plus, la dette de la région grimpera de 287 millions d’euros en 2025 pour atteindre 2 300 millions d’euros.
Infographie Ouest France sur l’évolution du budget de la région Pays de la Loire
Résumons : le budget total de la région Pays de la Loire va passer de 2,04 milliards d’euros en 2024 à 1,98 milliard d’euros en 2025, soit une baisse de 3 % (un peu plus si l’on tient compte de l’inflation). Bien sûr, un certain nombre de subventions à tel ou tel festival, telle ou telle association, vont être diminuées en conséquence, tout comme il est prévu que les effectifs des fonctionnaires territoriaux soient réduits de 100 personnes d’ici 2028 (fin de la mandature) par le biais du non-remplacement d’agents partant en retraite.
Dans le contexte extrêmement tendu de nos finances publiques, on pourrait raisonnablement penser que cette évolution va dans le bon sens, avec pour seul inconvénient de ne pas aller assez loin. Mais du côté de Libération et consorts, c’est l’occasion de remonter bruyamment sur les barricades et de ressortir tous les habituels poncifs larmoyants sur la glorieuse exception française qui doit être préservée à tout prix, qu’elle soit culturelle, médiatique, sportive, agricole, et que sais-je encore.
À gauche, Christelle Morançais (AFP) – À droite, Une de Libé du 21 décembre 2024
Et de dénoncer le “massacre à la création” qui serait en cours dans les Pays de la Loire, et d’accuser Christelle Morançais de sortir son révolver quand elle entend le mot culture, favorisant ainsi dans sa région une atmosphère populiste à la limite de l’extrême droite. Car curieusement, pour Libération et consorts, il est complètement normal que des entités médiatiques et culturelles qui professent naturellement haut et fort leur volonté d’indépendance irréductible et de subversion libératrice soient intégralement ou pour le moins partiellement… subventionnées par l’État ! Il faudra nous expliquer le raisonnement.
Avoir l’assurance de recevoir sa subvention annuelle n’est ni un facteur de créativité ni une garantie d’excellence. Si l’on ne peut vivre sans ladite subvention, la cause n’est pas à chercher du côté de la malignité fasciste des pouvoirs publics, mais peut-être plutôt du côté des améliorations qu’on pourrait apporter à son spectacle, son média, etc. Notons du reste que concomitamment à tout ce raffut sur le budget des Pays de la Loire, la Cour des comptes épinglait sévèrement l’un des dispositifs publics phares du soutien et de l’accès à la culture, le “pass Culture” : notamment, public cible non atteint, effet d’aubaine pour des publics déjà acquis, gouvernance à revoir et effet de guichet dispendieux.
De plus, baisser les subventions de telle ou telle entité ne signifie nullement que l’entité en question doive inévitablement disparaître. Cela signifie qu’elle va devoir chercher elle-même ses financements auprès des publics et des mécènes qui s’intéressent à ce qu’elle fait, pas auprès d’un ensemble de contribuables qui pour certains n’achèteraient jamais ses prestations. Plus facile à dire qu’à faire ? Sans doute, car il faut en permanence se remettre en question, améliorer ses services, innover. Le lot de toute entreprise, finalement.
Mais à ce propos, j’ai une bonne nouvelle pour les “grands brûlés” du budget des Pays de la Loire. Et s’ils s’inspiraient de Mediapart ?
Je choisis cet exemple à dessein : sa proximité idéologique avec eux devrait logiquement les rassurer. Fondé en 2008 par le célèbre journaliste moustachu Edwy Plenel, ce média en ligne réalise depuis plus de dix ans des résultats à faire pâlir d’envie les entreprises les plus florissantes. Cela ne l’empêche nullement de défendre à longueur d’articles des positions politiques d’extrême-gauche qui n’ont que peu de rapport avec la façon fort avisée dont il gère son entreprise.
Il est vrai qu’à ses débuts, Mediapart a reçu une subvention étatique de 200 000 euros. Il est vrai également que Plenel n’a pas hésité à appliquer une TVA de 2,1 % à une époque où ce taux était limité à la presse papier, au lieu des 20 % prévus pour la presse en ligne. Comme je l’écrivais il y a quelques années, la lutte finale n’empêche manifestement pas la lutte fiscale… Mais disons que tout ceci est de l’histoire ancienne.
Mais depuis plusieurs années, Mediapart affirme ne recevoir aucune subvention publique ni aucune aide privée susceptible de compromettre son indépendance. Résultat, Plenel pouvait ouvrir son compte-rendu d’activité 2021 par un triomphant « L’indépendance est rentable », et il enchaînait (en écriture inclusive, mais à ses frais) sur la croissance des abonnements, des effectifs, du chiffre d’affaires (21,3 millions d’euros), composé à 98 % des abonnements des lecteurs, et du bénéfice net (4 millions d’euros), soit presque 20 % du chiffre d’affaires !
Rebelote en 2023. Le rapport d’activité s’intitule “2008-2024 : Seize ans d’indépendance” et se décline dans le slogan choc “Seuls nos lecteurs et lectrices peuvent nous acheter !” On ne peut mieux dire !
Le chiffre d’affaires 2023 est monté à 22,4 millions d’euros, le nombre d’abonnements est reparti à la hausse après le petit creux de la période Covid qui a affecté toute la presse, et le résultat net s’est établi à 2,3 millions d’euros, soit 10 % du chiffre d’affaires. De plus, la dette contractée pour renforcer l’indépendance du média a été intégralement remboursée en 2023 (voir les graphiques ci-dessous).
Mediapart – Rapport d’activité 2023
Selon la vulgate gauchiste que Plenel diffuse volontiers dans ses publications, rien n’est plus suspect qu’un bénéfice, surtout lorsqu’il représente 10 % du chiffre d’affaires (et même près de 20 % les très bonnes années). Chacun sait qu’il ne peut avoir été obtenu qu’au détriment des travailleurs et des pauvres consommateurs obligés de se saigner aux quatre veines pour accéder aux douces lectures de Mediapart, tandis que les capitalistes du journal se gavent de profit.
Mais l’Edwy Plenel chef d’entreprise a une autre vision des choses. En 2021, il expliquait que :
“Loin de se faire au détriment de son développement, cette remarquable profitabilité de Mediapart s’est accompagnée de nombreux développements en 2021.”
En 2023, Caroline Fouteau, qui lui a succédé comme présidente et directrice de la publication, enfonce le clou :
“Notre ambition est intacte : pousser toujours plus loin les potentialités de notre modèle d’indépendance économique, seul à même de garantir notre totale indépendance éditoriale.”
Tout ceci s’accompagnant de l’enrichissement constant de l’offre faite aux lecteurs : application mobile, renforcement des équipes, podcasts, newsletters, collection commune avec les éditions du Seuil.
N’y aurait-il pas là comme une leçon utile pour les secteurs de la culture et des médias ? On peut ne pas aimer le parti pris idéologique de Mediapart. Il n’empêche que son modèle économique bien vivant est la preuve qu’il est possible de faire émerger une offre attractive et suffisamment rentable afin de rester indépendante.