L’écrivain Alexis Legayet continue de brocarder gaiement ce monde calamiteux…
… mais tellement grotesque qu’il en devient parfois risible.
Alexis Legayet a déjà écrit une dizaine de « fictions romanesques à tendance loufoïde » – j’ai eu le plaisir d’encenser plusieurs d’entre elles dans ces colonnes. Il ajoute à sa collection deux nouvelles farces (1) ridiculisant ce monde désolant, dégénéré et paradoxalement imbu de lui-même. La verve ironique d’Alexis Legayet étant une arme de destruction subtile de la bêtise, il serait dommage de s’en priver.
Une satire grinçante du monde littéraire
Dans L’œil du cyclope, Alexis Legayet décrit, avec son humour habituel, la vie de Corentin Duchaussoy, un écrivain amateur ayant soif de reconnaissance et, surtout, le monde cruel de l’édition : les auteurs éliminés d’office – « t’es pas une femme, t’es blanc, complètement inconnu, t’appartiens à aucune minorité – si t’étais gay ou trans, j’dis pas, mais là, non vraiment… Pour Chalimard et compagnie, il faut plus y compter », affirme une protagoniste qui sait de quoi elle parle – les comités de lecture dont le travail a été mâché par une nuée d’étudiants payés avec un lance-pierre pour lire des tombereaux d’ouvrages insignifiants, les petites boîtes qui rackettent les auteurs qu’ils publient en leur vendant d’abord une centaine de… leur propre livre, les compérages médiatiques et les copinages copulatoires. Mais Corentin Duchaussoy est prêt à tout pour être publié et connaître le succès. À tout ? À tout. L’énigmatique Angelica Dias, « attachée de presse, coach.euse éditive » et fine connaisseuse des arcanes des cénacles littéraires, va d’ailleurs l’aider à surmonter les épreuves et, mieux encore, à surpasser ses dernières réticences d’honnête homme. Ce ne sera pas gratuit. Je vous laisse découvrir jusqu’où Corentin sera prêt à aller pour être publié puis remporter un célèbre prix littéraire – mais je préviens : c’est du brutal !
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Dans Histoire de merde, Alexis Legayet écharpe à nouveau (2) ceux qui, se réclamant de l’écologie, pourrissent l’existence de leurs compatriotes. Lorsqu’il s’agit de décrire la vie de ces créatures tout à la fois opportunistes et hébétées, l’écriture ironique de l’auteur fait merveille. Son « héros », Marin Venius, conseiller municipal écologiste de la ville de Poissy, est un concentré de bêtise écologique et de naïveté idéologique – pour « sauver la planète », il est prêt à tout : critiquer le nucléaire et les énergies fossiles, désapprouver les voyages lointains de sa touriste d’épouse, lutter « contre le capitalisme et la consommation écocidaire ». Mouchard dans l’âme, il est heureux d’avoir contribué à la création de patrouilles municipales chargées de contrôler le tri des poubelles de ses concitoyens. Fidèle à ses convictions, il ne possède que deux paires de chaussures. Malheureusement, par un beau matin de printemps, tandis qu’il se rend à la mairie chaussé de la plus belle d’entre elles, des sneakers blancs qui « lui avaient coûté un bras », voilà-t-y pas que son pied droit s’enfonce dans une matière spongieuse, marronnasse et fétide. Ulcéré, Marin Venius déclare alors une guerre totale aux crottes de chien. Mais un ennemi sournois, invisible, lui rend la vie difficile en déposant toutes les nuits des étrons dans son minuscule carré de jardin et sur l’itinéraire qui le mène à la mairie. Un truc à devenir fou. D’ailleurs…
Écologie punitive et absurdités vertes en pleine lumière
Alexis Legayet nous venge des écolos qui, dans la vraie vie, nous empoisonnent l’existence, en brossant les portraits drolatiques de Bénédicte Fontaine, la maire de Poissy, ex-militante de l’association Filles de la Terre, d’Enzo Biglot, un activiste vert qui a lu Foucault et affirme que « l’éclairage public, c’est le panoptique, la société de surveillance », et, donc, de Marin Venius, l’inventeur des Toutounet, installations disséminées dans toute la ville pour forcer les propriétaires de chiens à ramasser les excréments de leur animal domestique. Aucun n’est foncièrement méchant, mais tous sont bêtes à manger du foin. L’esprit totalitaire qui anime ces cucurbitacées révèle surtout des désordres psychiatriques qui vont du simple dérèglement compulsif à l’obsession paranoïde en passant par les troubles bileux qui touchent particulièrement les jeunes gens auto-diagnostiqués éco-anxieux ou climato-dépressifs. Comme Marin, ces derniers finissent le plus souvent par se jeter dans les bras d’adroits carriéristes de l’environnement, de chefs de tribus zadistes ou de pseudo-philosophes aux allures de gourous les incitant à devenir des « éléments fluides et circulants » et à « rejoindre le grand Pan ». Un des mentors de Marin Venius semble avoir fait siennes, à sa manière, les théories de Donna Haraway. Cette philosophe écolo-butlérienne, fort appréciée des universitaires wokes de Paris VIII et de la Sorbonne, considère que l’avenir radieux de l’humanité confrontée aux « désastres climatiques » est « l’Humain putréfié, décomposé en humus et compostant avec toutes les autres espèces » afin de créer un nouveau substrat « impur et révolutionnaire », substrat dont le rôle sera de« troubler les catégories de pensées occidentales » et de déstabiliser un monde obsolète parce que « trop blanc, trop masculin, trop hétérosexuel et trop humain », selon cette illuminée. Donna Haraway, dont le destin est de faire le bonheur des futurs paléontologues en devenant le plus gros coprolithe découvert sur Terre, est convaincue que « vivre dans la boue, devenir des Enfants du Compost dans le fourmillement de la vie symbiotique » est l’horizon indépassable du post-humain qu’elle appelle de ses vœux. Sous la férule d’un « maître de sagesse » totalement azimuté, Marin Venius finira par gober des théories voisines, des élucubrations sur le « grand circulus de la Vie » aussi grotesques que celles d’Haraway.
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Rire au milieu du désastre. Rire de cette époque risible. « À la tautologie démesurée par laquelle s’exprime la société actuelle, il faut répondre par des tautologies parodiques ; à ses fictions par des fables et à ses fables par des fictions ; à son comique involontaire par un comique lucide », affirmait Philippe Muray en décrivant le seul projet esthétique qui avait grâce à ses yeux en ces temps d’effondrement : une littérature salvatrice et comique, salvatrice parce que volontairement comique, parodiant cette époque misérable, ridicule et malfaisante, en la citant le plus souvent possible, car « ce qu’elle a de pire ne peut littéralement pas s’inventer, c’est indicible autrement que dans sa langue : il faut la laisser en parler, lui ouvrir sans cesse des guillemets ; la mettre entre guillemets dans l’espoir qu’elle voie ce qu’elle dit et qu’elle entende ce qu’elle fait. » Imiter ironiquement cette époque arrogante pour la ridiculiser, c’est exactement la tâche littéraire qu’Alexis Legayet s’est assigné. Pour notre plus grand plaisir.
(1) Alexis Legayet, L’oeil du cyclope et Histoire de merde, 2025, Éditions La Mouette de Minerve.
(2) C’était déjà le cas dans Ainsi parlait Célestine, que j’ai recensé ici : https://www.causeur.fr/ainsi-parlait-celestine-ou-greta-manes-maya-257785
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