Dorothée Gilbert a failli ne jamais être étoile de l'Opéra
D'abord, la fermeture prolongée de l'Opéra vous attriste-t-elle ?Je pense que la culture en général vit un moment assez difficile. Néanmoins, des vies ne sont pas en jeu. C'est triste de ne pas danser, bien sûr, mais il y a des choses bien pires qui se passent ailleurs. Le plus important, ce sera de retrouver au plus vite le chemin de la scène et des spectacles car l'art fait du bien aux gens. Durant cette période, c'est donc important de continuer de partager des moments entre les artistes et le public. C'est pour cette raison que j'ai fait des vidéos sur Instagram depuis le confinement.
Privée de scène, vous n'avez pas peur de vous "rouiller" ?Elle rit. Des cours ont été mis en place via Zoom afin de s'entrainer tous les jours. C'est sûr que danser sur 2m2 n'a rien à voir que de la faire sur une scène... Il va falloir un peu de temps pour se réhabituer, notamment au niveau du cardio.
Votre livre est-il d'abord le guide pour réussir sa vie, quelles que soient les difficultés ?Je le pense. Le cheminement du travail du danseur, comme tout autre artiste, est comme une quête de la perfection. Mais la perfection n'existe pas. On suit un chemin vers le toujours mieux, qui est sans fin. L'étoile sert donc de guide vers l'endroit où l'on doit aller, une sorte de quête.
Vous étiez une enfant turbulente à l'école et vous avez raté votre première entrée à l'Opéra. Finalement, l'échec précéde la réussite ?Les échecs ont été très importants pour moi. Si je n'avais pas raté ma première entrée à l'école de danse de l'Opéra, je n'aurais pas travaillé comme une folle. Cet acharnement ne m'a jamais quitté. C'est ce qui m'a permis d'arriver là où je suis. Si j'avais été acceptée la première fois, je n'en serais peut-être pas là aujourd'hui. Les échecs sont importants pour se remettre en question, travailler encore plus et se prouver que l'on est capable d'atteindre progressivement ses objectifs, sur plusieurs années. C'est capital dans une société où tout va vite.
"J'avais envie de prouver qu'ils s'étaient trompés en me recalant de l'Opéra"
Dorothée GilberT
L'échec peut aussi être démobilisateur ?C'est une question de caractère. Je suis, peut-être, tétue et très impatiente. Et je pense que j'avais envie de prouver qu'ils s'étaient trompés en me recalant de l'Opéra. Ce n'était pas une revanche mais une façon de leur prouver qu'ils pouvaient compter sur moi.
Danseuse étoile, c'est un rêve d'enfant ?Le déclic a eu lieu à l'âge de 10 ans, lors d'un spectacle avec mes parents, le ballet "Gisèle" au Capitole de Toulouse. Ce fut une révélation, d'autant que mes parents n'étaient pas du tout issu du milieu chorégraphique. C'est à ce spectacle que j'ai compris que l'on pouvait faire de la danse son métier. Pour moi, la danse, c'était un petit truc de petites filles du mercredi après-midi. Je n'avais pas compris tout ce qu'il y avait derrière, que l'on pouvait raconter des histoires, danser avec un orchestre, porter de beaux costumes.
Qu'ont répondu vos parents lorsque vous leur avez fait part de votre ambition ?Ils m'ont répondu d'accord à condition d'entrer dans la meilleure école de danse. Ils m'ont toujours soutenu dans mes choix à conditions qu'ils soient toujours au top.
Danser, c'est une joie et une souffrance ?C'est, bien sûr, d'abord une joie, des moments magiques indescriptibles avec des mots. C'est l'apothéose de tout un travail acharné. C'est aussi une hygiène de vie. Quand on est passionné, il n'y a pas de souffrance car on sait que danser fait partie d'un tout. Il n'y a pas de sacrifices à partir du moment où l'on est passionné.
"Il y a effectivement un rapport de souffrance mais sur la balance ce sont les moments magiques qui l'emportent sur tout le reste."
Le rapport est très fort avec le corps. N'en êtes vous pas esclave ?C'est plutôt mon corps qui est mon esclave ! Je le connais dans les moindres détails, je l'apprivoise, je le façonne, je luis fais mal. Il y a effectivement un rapport de souffrance mais sur la balance ce sont les moments magiques qui l'emportent sur tout le reste. On reste toutefois tributaire de notre corps. Car si l'on se blesse, on ne pourra pas continuer, même si la tête le veut encore. Cela peut être difficile à accepter. Si le musicien se fait une entorse, il pourra continuer de jouer.
La scène permet d'oublier la douleur ?
C'est vrai quand on a un rhume, une gastro, des petits bobos. Mais l'adrénaline n'est pas suffisamment forte pour passer au dessus de la douleur d'une blessure. Après, tout dépend de son intensité. Si vous avez une déchirure au mollet, impossible de danser !
Louis Chédid : "C’est beau de revenir à l’essentiel"
Comment se déroule la vie à l'Opéra ? Y-a-t-il des rivalités, des coups bas, une concurrence sans pitié ?
Cela fait partie des clichés de la danse classique, comme la fille anorexique ou la mère qui fait un transfert sur son enfant en le poussant à l'Opéra. L'Opéra est comme n'importe quelle autre entreprise. Des gens s'entendent bien, d'autres moins, des groupes se forment. Il y a des gens jaloux, comme partout ailleurs ! On est loin de ces scènes où l'on se pousse dans l'escalier pour avoir le rôle ou du verre dans les chaussons ... tout ça, c'est dans les films !
Vous avez déclaré "La vie sentimentale d'une dansue est très compliquée". Avez-vous sacrifié votre ambitions artistiques aux dépens de vos amours ?
C'est surtout pendant l'adolescence où ce fut plus compliquée. Mes parents sont montés de Toulouse, ma région natale, pour pas que je sois interne. On ne connaissait personne. A l'école de danse, la plupart des garçons n'étaient pas portés sur la question ou pas sur les filles ! Je n'avais pas de copains pendant l'adolescence, alors que c'est lâge où l'on veut plaire, on veut se rassurer. Après, j'ai trouvé un équilibre, une vie sociale en parallèle à la vie de danseuse.
Votre mari, James Bort, est photographe. C'est le mariage parfait de l'artistique ?
On se nourrit chacun dans notre art, il y a plein d'échanges, de partages. C'est chouette. Et puis, c'est un être idéal qui vit aussi de son art. Il peut comprendre ma passion. De plus, avec lui, je m'ouvre sur un autre univers.
Vous avez fait des photos de mode en totale liberté. Est-ce une façon de casser l'image un peu stricte et classique de l'étoile de l'Opéra ?
J'adore danser mais c'est important de faire d'autres choses. J'ai tourné dans un court mtrage réalisé par mon mari. J'aimerais bien faire du cinéma, mais je ne sais pas si on m'attend... Si j'avais une proposition, je ne dirais pas non. Le livre m'a aussi permis de toucher à autre chose.
Vous qui avez tout dansé, quel est votre ballet favori ?
Gisèle. C'est le ballet qui m'a donné envie de devenir danseuse et c'est celui que j'ai le plus repris. Je l'ai dansé plein de fois. Comme une deuxième peau. Je pourrais le faire sans répéter !
Comment voyez-vous votre vie après l'Opéra ?
Je ne sais pas trop. Ce qui est sûr, c'est que j'aurais envie de plein de choses. J'essaye de construire plein d'univers artistiques. J'ignore si j'arrêterai totalement de danser. Mais je ne me vois pas être professeur ou répétiteur à l'Opéra. J'aime danser mais ce qui gravite autour ne m'intéresse pas.
Votre fille de 6 ans veut-elle marcher sur vos traces ?
Je ne pense pas... et tant mieux ! Je ne veux pas qu'elle fasse de la danse pour faire comme moi. Je ne crois pas qu'elle choisera cette voie.
Etoile(s) (Le Cherche midi). Prix : 29 €.
Olivier Bohin
Livre de chevet. "Un Stephen King. J'aime bien me faire peur, me déconnecter, entrer dans un univers. Musique. "Pas du classique. Sur Spotify, jemets des thèmes aléatoires et j'écoute de tout, jamais la même chose. Cela donne les Beatles, Clara Luciani... ou Michaël Jackson. Ma fille l'adore ! Le dimanche. "C'est la journée de la famille. Je prends du temps avec mes proches, mes amies. Ce sont les mêmes depuis toujours. La notoriété n'a rien changé. j'ai gardé des amitiés de 30 ans, celles que j'ai noué à l'école de danse. J'ai peu d'amies, mais nous avons des liens très forts. Comme des soeurs. Si j'avais un problème, elles seraient là pour moi à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit."
25 septembre 1983 : Naissance à Toulouse.
1995 : Entre à l'école de danse de l'Opéra.
1996 : Ballet Gisèle, Onéguine, La Bayadère, Le lac des cygnes,...
2007 : Nommée danseuse étoile à l'Opéra.