Disparition de l'actrice Linda Manz à 58 ans
Vendredi 14 août, Linda Manz est décédée des suites d'un cancer du poumon. Elle était âgée de 58 ans. Mais la magie du cinéma fait qu'elle restera à nos yeux une éternelle adolescente. Adulte, nous ne retiendrons que son apparition en tant que mère dans Gummo (1997), premier long-métrage d'un certain cinéaste punk de 24 ans ayant lui-même commencé le cinéma adolescent. En seulement très peu de films (une dizaine de rôles en tout et pour tout, dont des apparitions à la télévision), l'actrice a su taper dans l'œil de grands cinéastes tels que Terrence Malick, Dennis Hopper et Harmony Korine.
Adolescente pour toujours
Le visage de Linda Manz était à lui seul inoubliable, androgyne, aussi sévère qu'enfantin lorsqu'il se fendait soudain d'un sourire. Mais c'est sa voix, bien grave pour une jeune fille, qui nous emportait dès l'ouverture dans Les Moissons du ciel (1978). Voix off en décalage de l'action, elle incarnait le point de vue de l'enfant qui nous raconte sans pathos la misère des Etats-Unis en 1916, puis l'histoire tragique de sa grande sœur (Brooke Adams) amoureuse d'un ouvrier (Richard Gere). Le chef-d’œuvre de Terrence Malick a gravé à jamais sur nos rétines la présence douce et forte de Linda, une enfant actrice hors normes.
Et punk !
Dennis Hopper n'a pas, lui non plus, manqué le coche. Deux ans après, aux alentours de ses 18 ans, Linda Manz incarne une adolescente rebelle de 15 ans dans Garçonne (plus connu sous son titre original, Out of the Blue) pour la troisième réalisation de l'acteur. L'histoire est loin d'être plus joyeuse : fille d'une héroïnomane et d'un père en prison pour avoir tué accidentellement des enfants, Cebe est une ado rebelle livrée à elle-même. Mais le père (Dennis Hopper lui-même) sort de prison et les retrouvailles ne vont pas être faciles. Le film, d'une grande sensibilité, a confirmé toute la puissance de jeu de Linda Manz qui semble avoir trouvé sa "maison" cinématographique dans cet univers punk.
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Traversée du désert
On ignore pourquoi de tels premiers rôles n'ont pas mené l'actrice à une carrière à la hauteur de son talent puisqu'elle a ensuite disparu des écrans. A-t-elle fait les frais de la malédiction des enfants acteur·ices qui tombent dans l'oubli une fois adultes ? Ou bien voulait-elle se retirer du cinéma ? De longues années plus tard, en 1997, le réalisateur Harmony Korine décide de faire appel à Linda Manz pour son premier long-métrage, Gummo. Dernier rôle significatif de l'actrice, elle est comme un poisson dans l'eau au milieu de tous ces acteurs amateurs (dont la débutante Chloë Sevigny), choisis pour leur présence naturelle incroyable, leurs physiques atypiques et la bizarrerie générale qu'ils dégagent.
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Derniers hommages
Dans l'œuvre de Korine, c'est elle, la maman, l'adulte dans ce monde d'enfants. Un bel hommage de la part du réalisateur, qui déclarait à l'époque dans Index Magazine : "Je l'ai toujours admirée. On avait ce sentiment, que j'aime beaucoup, qu'elle n'était même pas en train de jouer. La même sensation que lorsque j'ai vu Buster Keaton pour la première fois. Elle avait une certaine poésie, un éclat. Deux qualités pour brûler l'écran." Chloë Sevigny, devenue célèbre depuis, la désigne comme son actrice préférée selon The Hollywood Reporter. Natasha Lyonne, actrice dans Orange is the New Black et créatrice de Poupée russe, était elle aussi une fan : "Le monde dans son ensemble ne fait pas toujours sens pour moi, mais il y a des aires de sécurité. Linda Manz dans Out of the Blue est l'une d'entre elles."
Nous ne sommes donc pas les seuls que la grande Linda Manz laisse inconsolables... Derrière elle, survivent son mari, l'opérateur caméra Bobby Guthrie, deux fils, et trois petits enfants. Une levée de fonds a été créée sur internet pour financer ses funérailles.
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