L'histoire de la famille de Jean-Damien Gauthier se tresse depuis 150 ans
« La famille est à Vertolaye depuis cinq générations, raconte Jean-Damien Gauthier, actuel responsable de l’entreprise. Mais on peut remonter plus loin. Les Gauthier étaient mouliniers en soie à Pélussin dans la Loire puis en Ardèche dans les années 1780. » Le moulinage de la soie, c’est l’assemblage des fils, « la première étape après la récolte », explique le chef d’entreprise. Vers 1850, la famille s’installe à La Forie, dans les locaux de l’actuelle usine de salaisons. « Mais les bâtiments se sont révélés trop secs, précise Jean-Damien. Pour le moulinage de la soie, il faut une certaine hygrométrie. » L’entreprise Gauthier est alors dirigée par deux frères, Jean-Claude et Hippolyte. Ceux-ci se séparent et c’est Hippolyte qui va faire construire l’usine de Vertolaye, face à l’école du village. Le bâtiment actuel n’a été racheté qu’en 1908.
La tresse arrive dans les années dix« Au départ, l’entreprise faisait toujours du moulinage, précise Jean-Damien. La tresse n’est arrivée que dans les années dix. » L’usine a conservé les deux activités jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Hippolyte n’a pas d’enfant, et c’est donc le fils de son frère qui va prendre la suite de l’entreprise. Tout d’abord en nom propre, Gauthier devient une SARL en 1929, et ce pour 99 ans. « Il y aura prorogation dans huit ans, annonce Jean-Damien. Il n’y a pas beaucoup d’affaires qui durent assez pour devoir faire ça ! »
Le grand-père de Jean-Damien, Jean-François Gauthier, arrive dans l’entreprise dans les années trente. Puis c’est Jean-Pierre, le père de l’actuel PDG, qui rentre dans l’affaire en revenant de la Guerre d’Algérie. Pour ce qui est de Jean-Damien, il n’y a pas eu de pression familiale. « On est trois enfants, précise-t-il, mais je suis le seul à être dans l’entreprise. » Ce n’était pourtant pas la première idée qu’avait le jeune homme après l’obtention du baccalauréat : « Je suis parti faire des études de biologie à Clermont-Ferrand, raconte-t-il, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que je voulais faire. J’ai passé un BTS Gestion après avoir réalisé que prendre la suite de mon père m’intéressait. J’avais alors une vingtaine d’années. »
Des étés à travailler dans l’entreprise familialeLe jeune homme avait bien sûr passé des étés à travailler dans l’entreprise familiale et réalisé que « ce n’était pas facile ». Il voyait aussi les difficultés, les ennuis qu’avaient ses parents. « Ça ne me faisait pas envie », confie-t-il. Pourtant, en 1997, Jean-Damien rejoint son père et connaît des débuts compliqués : « Avec la fin des quotas d’importation chinoise, nos clients sont allés se fournir en Asie », explique-t-il. Quand il débute sa carrière dans l’entreprise familiale, Jean-Damien apprend « sur le tas ». « Je venais tout seul le samedi. Et mon père m’a transmis son savoir-faire, c’était un vrai technicien. » Le jeune homme reprend les rênes de Gauthier Fils en 2001, au décès de son père.L’entreprise est depuis toujours tournée vers la tresse d’ornement. « Nos produits ont une vocation esthétique au sens large, explique Jean-Damien. L’important, c’est le toucher mais aussi la matière, la couleur. » La tresse et le croquet sont au centre des activités de l’usine de Vertolaye. Pour le croquet justement, ce sont encore les vieux métiers à tresser en bois qui sont utilisés.
« On a conservé l’outil de production historique. Quand j’ai commencé, on était monoproduit. Le croquet était très à la mode, on en produisait 60 mètres par jour. »
L’entreprise se diversifie ensuite avec le développement de l’impression, et touche des secteurs variés comme le packaging et la mercerie. Car cette dernière fait un retour en force suite au succès grandissant des loisirs créatifs. En 2011, Jean-Damien rachète l’entreprise ambertoise Promotress, qui fabrique principalement de l’élastique. « La production a un caractère plus technique, explique-t-il, avec la résistance à la rupture, les matières non inflammables. » Et ce dont on ne se rend pas compte, c’est qu’on utilise de la tresse tous les jours. « On fait de l’élastique pour l’automobile, détaille le chef d’entreprise, mais aussi pour les dossiers en carton, pour les fauteuils relaxs… La branche plasturgie est un nouveau métier, mais la tresse, je connais ça depuis toujours. »
Dans les ateliers, les métiers à tresser ne fonctionnent pas tous en permanence. « On a un métier par type de production, explique Jean-Damien. Ça nous permet de répondre rapidement aux commandes. Il faut de la réactivité et un parc muni d’une batterie de machines suffisante. » Une organisation qui induit qu’environ 40 % des métiers tournent à la fois. « Il faut savoir accepter que beaucoup de machines soient à l’arrêt en même temps », explique le chef d’entreprise. Et les ateliers, il les arpente tous les matins, c’est sa « manie » pour débuter la journée.
En 2013, Jean-Damien a racheté l’usine Tourlonias, qui fabrique de soufflets à Vertolaye depuis 1895.
« Nos familles étaient très amies, précise-t-il. Ma motivation pour ce rachat n’avait rien d’économique. Simplement, je ne voulais pas voir partir ça de notre village. »
Quand le PDG tire le bilan de ses quelques vingt années à la tête de l’entreprise familiale, il a une « petite fierté ». « On a vécu des périodes compliquées, mais on est toujours là. Et avec la crise sanitaire, on a plus bossé, on a fabriqué des élastiques pour les masques. » Jean-Damien salue d’ailleurs ses employés. « On a une équipe formidable. Pendant le premier confinement, on a travaillé le samedi, les jours fériés, tous, direction comme salariés. On a tous pris ça comme une nécessité sanitaire. » L’entreprise a ainsi produit 700.000 mètres d’élastique par semaine, et en a fourni gracieusement à des collectivités locales et des associations du territoire.
Si les enfants de Jean-Damien [la 6e génération, ndlr] sont encore bien jeunes, son fils de 13 ans a émis le souhait de « faire ingénieur textile pour reprendre l’usine de papa ». Une satisfaction pour Jean-Damien qui assure cependant : « Il n’y aura pas plus de pression de ma part qu’il n’y en a eu pour moi ».
Laurence Tournebize, notre correspondante locale
Un lourd poids. Sur l’ensemble de ses sociétés, Gauthier Fils emploie près d’une soixantaine de personnes. « On était une vingtaine en 2000, précise Jean-Damien, mais quand j’ai repris en 2001, il y avait un net regain de production, je sentais qu’il y avait quelque chose à faire ». Pour lui, reprendre l’entreprise familiale représentait un véritable challenge. « Je suis la 5e génération, j’avais un sacré poids sur les épaules. Je ne voulais pas être le dernier, et celui qui coule la boutique?! J’ai vu des confrères disparaître, et pourtant ils avaient de belles boîtes. »