Les difficultés de la justice expliquées par des magistrates du tribunal de Moulins (Allier)
Les organisations syndicales du tribunal judiciaire de Moulins accueillent le public dans le cadre de journées portes ouvertes, qui ont commencé mercredi 30 juin, jeudi 1er juillet et continuent ce lundi 5 juillet (lors d'une audience civile à 14 heures salle Tinland, au palais d'Ansac situé 16 rue Diderot).
Arrêter de caricaturer la justiceL’occasion pour Floriane Blanchard et Elsa Chenu, juges d’application des peines, respectivement secrétaire de la section locale de l’Union syndicale des magistrats et déléguée régionale adjointe, d’expliquer comment fonctionne la justice malgré un manque de moyens et de temps.Pourquoi sensibiliser le public ? « La justice fait l’objet d’attaques régulières, fondées sur les choses fausses, simplifiées, voire simplistes. Les situations qu’on juge ne se résument pas à 140 signes sur Twitter. Les choses sont plus compliquées que dans un commentaire sur Facebook. À qui cela profite-t-il de caricaturer la justice, de la mettre plus bas que terre ? Certainement pas au citoyen.
Retrouver une capacité d'analyseComment rétablir la confiance ? « Les audiences sont ouvertes au public. Il suffit de pousser la porte pour découvrir comment la justice est rendue. Les situations humaines sont complexes. Il faut absolument retrouver une capacité d’analyse, revenir à une réflexion sereine, lutter contre cette simplification. Avant de critiquer, nous disons : "renseignez-vous vraiment". »
D’où vient, à votre avis, l’incompréhension du public concernant certaines décisions ? « On nous demande d’appliquer la loi, qui impose des aménagements de peine. Il faut savoir qu’aux deux tiers de sa peine, la situation d’un détenu est examinée avec une possibilité (sauf s’il existe un risque de récidive) de sortie de prison. Avec la crise sanitaire, on nous a demandé de "vider les prisons", mais le mois suivant, on nous reprochait de ne pas avoir suffisamment incarcéré. On s'interroge. Nous sommes là pour appliquer la loi et nous ne remettrons pas cela en cause. C'est vrai, il y a parfois des vides juridiques. Mais pourquoi serait-ce notre faute ? »
La loi, c’est vous. Nous, on ne fait que l’appliquer.
Les procès d’assises, avec un jury populaire, sont un bon moyen de permettre au citoyen de comprendre la justice ? « Oui, cela permet de discuter avec les jurés. Ils viennent souvent avec des idées préconçues, avec l’image de magistrats dans une tour d’ivoire. Mais lors de ces procès, ils participent à l’acte de juger, ils se rendent compte de la difficulté, de la complexité d’une affaire. Nous rappelons les grands principes qui fondent notre justice : la présomption d’innocence, la nécessité de preuves pour condamner (un indice ne suffit pas), le débat contradictoire... La plupart des jurés sont très étonnés de nos conditions de travail. »
Un idéal malmené par le manque de moyensQuelles sont, justement, vos conditions de travail ? « Nous manquons de temps et de moyens. Nos logiciels ne sont pas à jour, obsolètes. Nous en sommes toujours à la préhistoire de l’informatique. Nous sommes submergés de taches. Avec des audiences correctionnelles qui durent parfois jusqu'à 23 heures, on ne peut pas dire que la justice est bien rendue. On peut y laisser notre santé, notre vie familiale. C'est au point que de jeunes magistrats n’envisagent pas terminer leur vie dans ce métier. Notre idéal se trouve malmené par la réalité de nos conditions d’exercice. »
Pascal Larcher
Union syndicale des magistrats.L'USM est le syndicat majoritaire au sein de la magistrature. Apolitique, il pratique « un syndicalisme d’information ». La section locale moulinoise compte six adhérents sur un total de quatorze magistrats.