Pourquoi des communes de l'Allier ne s'opposent plus à la nuit ?
Hérisson (Allier), son château médiéval, son église romane Saint-Pierre de Châteloy, ses bâtisses anciennes… Et son ciel étoilé ! La commune de l’Allier a en effet conservé en mai dernier sa quatrième étoile décernée par le convoité label « Villes et villages étoilés ».
Elle reste la seule du département à posséder un tel niveau de distinction (19 communes ont obtenu ou gardées quatre étoiles en France et une seule cinq). Une récompense qui vient valider les engagements pris par la collectivité depuis plusieurs années pour lutter contre la pollution lumineuse.
Éteindre l'éclairage pour protéger la biodiversité nocturneL’éclairage public y est notamment coupé en quasi-totalité de 22 heures à 7 heures l’hiver (et à partir de 23 heures l’été). Surtout, Hérisson, cité touristique qui jouit d’un important patrimoine bâti, a fait le choix courageux de ne plus éclairer le château et l’église du village. Notamment parce que ces sites se trouvent au cœur d’un site classé “Natura 2000” remarquable pour ses populations de chauve-souris.
Nous abritons une importante colonie de Murins à oreilles échancrées et des Murins de Daubenton nichent le long de la rivière Aumance. Ces espèces sont plutôt rares. Et l’éclairage restreint permet de les protéger
Josette Dourbias (adjointe au maire de Hérisson en charge de l’environnement)
Mais lutter contre la pollution lumineuse est profitable pour d’autres animaux et plantes. Comme le constate Camille Gesnin, écologue de 28 ans récemment installée à Hérisson. « Éteindre l’éclairage public est bénéfique pour de nombreuses espèces. Les insectes sont souvent piégés par la lumière. Des études montrent même que certains arbres sont affectés par l’éclairage en ville », explique-t-elle.
La commune de Hérisson (Allier) n'éclaire plus son château pour ne pas perturber les chauve-souris © Florian Salesse
Sorties nocturnes pour observer les oiseaux à HérissonLes oiseaux sont particulièrement concernés par le sujet. « Les rapaces nocturnes qui sortent pour se nourrir sont dérangés par la lumière, poursuit Camille Gesnin. Cela peut avoir un impact important sur la réussite de leur chasse. » Et donc sur leur présence localement.
À Hérisson, où l’environnement nocturne est préservé, Camille Gesnin compte justement organiser au mois de juillet des sorties en groupe pour écouter Chouettes effraies, hulottes, Chevêches d’Athéna ou encore Petits, Moyens ou Grands ducs.
Maintenant que le couvre-feu est levé nous pourrons nous poster dans des endroits calmes une heure ou deux pour diffuser des chants d’oiseaux et attendre leurs réponses
Camille Gesnin (écologue)
La Chevêche d'Athéna est perturbée par la pollution lumineuse. Ici un spécimen dans la réserve naturelle du val d'Allier © Agence Moulins. Le ciel étoilé, un atout touristiqueÉteindre la lumière contribuerait donc à préserver un patrimoine naturel précieux. Mais aussi et peut-être avant tout le ciel étoilé. « Les lumières des villes se reflètent dans l’atmosphère ce qui peut rendre difficile l’observation de la voûte céleste, témoigne Joël Mattely, président du Cercle d’astronomie de la région de Montluçon (CARM), association qui dispose de l’observatoire des Réaux, sur les hauteurs de l’agglomération.
Au nord ouest, côté ville, il est inutile de faire des observations. Nous évitons aussi le secteur de l’usine Adisséo de Commentry, qui arrose le ciel de lumière
Joël Mattely (président du Cercle d’astronomie de la région de Montluçon)
Retrouver les étoiles : l’enjeu est loin d’être anecdotique, pour Michel Deromme, administrateur de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN) qui délivre le label « Villes et villages étoilés ». Car, outre la biodiversité, le sujet concerne plus largement notre cadre de vie.
Les communes labellisées "Villes et villages étoilés" peuvent mettre en avant leur qualité de nuit, la possibilité de dormir la fenêtre ouverte sans être perturbé par une lumière blafarde. C’est aussi un argument touristique
Michel Deromme (administrateur de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne -ANPCEN)
La lumière artificielle des villes génère des halos lumineux qui nuisent à l'observation des étoiles. Ici, le centre-ville de Montluçon © Florian Salesse De nombreuses communes de l'Allier coupent la lumièreL’argent demeure cependant la première des motivations des collectivités qui optent pour l’extinction des feux. À l’image de la commune de Mazirat (285 habitants) qui coupera la majorité de ses lampadaires de 21 h 30 à 6 h 30 dès le mois de juillet.
« C’est pour nous le moyen le plus efficace de faire des économies. Nous aimerions par la suite passer au tout LED, éclairage basse consommation. Ce qui ne peut se faire que progressivement, car cela représente un budget très important pour nous », témoigne la maire, Magalie Jarraud.
Mazirat ou Hérison sont loin d'être des cas isolés. « La plupart des communes rurales coupent leur éclairage au moins une partie de la nuit. En ville, les extinctions concernent surtout certains quartiers, informe Yves Morel, directeur du pôle “réseau” du SDE 03 (Syndicat départemental de l’Énergie de l’Allier), structure qui gère les lumières de la quasi-totalité des municipalités du département.
En coupant l’éclairage public, une petite commune peut réaliser jusqu’à 60 % d’économies sur ce poste
Yves Morel (Syndicat départemental de l'Énergie de l'Allier)
Convaincre les populations des bienfaits de l'extinction des feuxDe plus en plus de collectivités bourbonnaises s’engagent donc dans une plus grande “sobriété lumineuse”. Mais le premier des défis demeure de convaincre les populations du bienfait de ces actions.
Comme le confie Pascale Lescurat, maire de Domérat, commune qui vient de recevoir sa troisième étoile de la part de l’ANPCEN :
Cela fait plusieurs années que les lumières sont éteintes de minuit à 5 heures. Au début, certains se plaignaient, avaient peur de la délinquance. Or les vols et les agressions ont surtout lieu la journée. Il faut encore faire de la pédagogie, défend l’élue. Bien que les gens soient de plus en plus sensibles à cela
Pascale Lescurat (maire de Domérat)
Les Bourbonnais auraient-ils moins peur du noir ?
Plusieurs communes étoilées dans l’Allier. Les résultats de l’édition 2019-2020 du label « Villes et villages étoilés » ont été dévoilés en mai dernier. Des collectivités qui ont reçu ou conservé entre une et cinq étoiles, en fonction de leurs niveaux d’engagement. Cinq sont situées dans l’Allier : Hérisson conserve sa quatrième étoile. Domérat passe de deux à trois étoiles. Avermes, Montaigu-le-Blin et Saint-Hilaire conservent leurs deux étoiles. Bègues, Commentry, Ébreuil, Theneuille et Vaux perdent en revanche leurs labellisations. Les communes labellisées le sont pour cinq ans. Les candidates remplissent un dossier en indiquant les actions qu’elles mènent pour protéger le ciel nocturne (extinction de l’éclairage public, installation de lampadaires plus respectueux de la biodiversité, sensibilisation des habitants à la lutte contre la pollution lumineuse, protection de l’environnement nocturne...).
Texte : François Delotte
Photos : Florian Salesse, agence La Montagne de Moulins