Pourquoi le photovoltaïque rayonne-t-il de plus en plus en Creuse ?
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Les panneaux photovoltaïques fleurissent un peu partout dans la campagne et dans les villes creusoises. Le département peut s’enorgueillir d’être parmi les meilleurs élèves de Nouvelle Aquitaine dans la réalisation des objectifs fixés par la loi de Transition énergétique.
Le solaire attire toute la lumière dans le département. En cinq ans, le nombre d’installations raccordées a doublé pour atteindre le nombre de 2.214 à la fin du premier trimestre 2021. Moins conflictuel que l’éolien, plus facile à installer, assorti de subventions, notamment dans le domaine agricole, le photovoltaïque, pour les productions de moins de 100 kWh qui n’ont pas besoin de passer par un appel d’offres de l’État pour être raccordées (1), séduit de plus en plus.
« On reçoit une moyenne de 120 demandes de raccordement par mois en Creuse, les agents travaillent presque plus là-dessus que sur le réseau », sourit Frédéric Saint-Paul, directeur territorial d’Enedis.
« Les territoires sont tous en progression très forte sur le nombre de raccordements des énergies renouvelables. Et globalement, nous sommes un petit peu en avance en Creuse »
Particulièrement dans le secteur photovoltaïque. Et pour une raison simple. Le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le Sraddet (2) de Nouvelle-Aquitaine, comme celui des autres régions, vise un seul objectif : produire local pour couvrir la consommation locale. Et la Creuse, avec sa faible population a là un avantage certain.
@Mathieu Tijeras
« Quand on installe un parc photovoltaïque à Guéret, ça couvre tout de suite une part importante du territoire en termes de nombre d’habitants, détaille Frédéric Saint-Paul. Si vous avez la même installation à Bordeaux, ça n’a rien à voir. » D’où cette tête d’avance sur nos voisins.
Le watt-crête est l’unité mesurant la puissance, à fonctionnement optimal, des panneaux photovoltaiques. Un mégawatt-crête (MWc) correspond à un million de watts-crête.Le mégawatt/heure (MWh) correspond à la quantité d’énergie produite en une heure par un mégawatt. Un mégawatt/heure correspond à 1.000 kilowatts/heure, un gigawatt/heure correspond à 1.000 mégawatts/heure.
Ce sont évidemment les collectivités qui portent la part la plus importante de la production photovoltaïque, suivies des projets agrivoltaïques (ci-dessous) puis des installations chez les particuliers. « Une installation comme celle de l’Agglo du Grand Guéret, de 14,7 MWh, représente par exemple 147 hangars agricoles équipés de panneaux photovoltaïques de 100 KWh », détaille Frédéric Saint-Paul. À titre de comparaison, un particulier disposera lui, d’une puissance de 3 kWh sur sa toiture.
« Les collectivités ont beaucoup moins de projets que le domaine privé mais en termes de puissance installée, c’est la force publique qui l’emporte. »
Elina, une société d'économie mixte engagée aux côtés du territoire et de sa transition énergétiqueD’autant que le territoire creusois a, depuis mars 2020, un outil précieux à sa disposition : Elina, un syndicat d’économie mixte porté par les syndicats départementaux des énergies de Creuse et de Haute-Vienne (3). Son rôle est d’accompagner ces territoires dans leur transition énergétique, d’apporter un capital à des porteurs de projets pour mettre en œuvre et faciliter des installations de production d’énergie renouvelable.
Sur la trentaine de projets en cours, une vingtaine concerne le photovoltaïque dont celui de l’Agglo du Grand Guéret (ci-dessous). Les bénéfices de la revente d’énergie à Enedis reviennent ensuite aux SDEC qui les réinvestissent dans l’électrification du territoire. Ceux de la location des terrains, à leur propriétaire.
@ Bruno Barlier
« Nous sommes appelés à investir sur des projets d’énergies renouvelables partout où on nous le demande », explique Armand Mballa, directeur général d’Elina, sur des projets de collectivités comme sur des projets privés.
« L’objectif prioritaire est d’amener les collectivités comme les particuliers à consommer le moins possible d’énergies fossiles et davantage d’énergies renouvelables. »
La SEM est ainsi partie prenante d’un projet privé agrivoltaïque de 27 hectares, à l’initiative du propriétaire des terrains, agriculteur, qui va voir le jour l’année prochaine à Aubusson. Le projet a été minutieusement étudié, la commune, la Com-com, les services extérieurs, la Chambre d’agriculture ont été consultés avant que la SEM n’accepte de le financer.
« Nous visons les zones industrielles, des zones délaissées, des terrains dégradés ou bien l’existant, pour ne pas avoir d’emprise sur d’autres terrains, notamment agricoles. Nous essayons de faire les choses de manière intelligentes », précise Armand Mballa.
Carte des projets en cours et des parcs photovoltaïques de la Creuse
Une part d'auto-consommation qui reste encore marginale en CreuseSi la production d’énergie photovoltaïque est en constante croissance, la part consommée par ceux qui la produisent reste marginale. En Limousin, on compte seulement deux collectivités qui consomment leur production d’énergie photovoltaïque : l’université de Tulle, dont le projet photovoltaïque est en cours de construction et l’Ehpad Marcel-Faure, à Limoges, inauguré il y a moins d’un mois.
En Creuse, pour l’instant, rien de la sorte, « juste quelques particuliers qui consomment partiellement ce qu’ils produisent et réinjectent le surplus sur le réseau », note Enedis.
Mais l’autoconsommation pourrait bien se développer, car le législateur réfléchit à supprimer les frais d’utilisation du réseau (environ 30 % de la facture) aux utilisateurs autonomes qui n’en auraient plus du tout besoin. Mais le revers de la médaille, c’est que ce sont ces frais d’utilisation du réseau qui permettent de l’entretenir. « Ce sera autant d’argent en moins à investir sur les réseaux », note Frédéric Saint-Paul.
Impossible de dire vraiment quelle est la part d’énergies renouvelables que consomment les Creusois. Enedis table sur une moyenne de 38,3 % à la fin 2020. « Dans la réalité c’est beaucoup moins », tempère Frédéric Saint-Paul, pour la simple raison que « les énergies renouvelables ne produisent pas toujours quand on en a besoin ».
« En été par exemple, quand le photovoltaïque produit le plus, on l’injecte dans le réseau, on le paye à ceux qui le produisent et à côté de ça, il part à la poubelle parce qu’il n’y a pas de consommation derrière. »
Un gaspillage auquel Enedis avoue qu’il faut vite remédier. « Ce n’est pas l’idée que je me fais de la transition énergétique. D’où l’importance de trouver des solutions techniques pour faire du stockage d’électricité. »
(1) Un décret doit sortir ce début de mois qui étendra cette limite de 100 KWh à 500 kWh sans qu’il y ait besoin de répondre à l’appel d’offres de l’État.(2) Le Sraddet permet de déterminer les quantités d’énergies renouvelables que les Régions veulent mettre en œuvre sur leur territoire. Il a été signé par Alain Rousset et approuvé par la préfète de Région le 27 mars 2020.(*) s ont complété le tour de table par la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit agricole, le crédit mutuel et une autre société qui produit de l’énergie dans la Vienne, Sergies.
2.250sites de production d’énergies renouvelables raccordées au réseau en Creuse ont été recensés à la fin du premier trimestre 2021 contre 800 en 2012. Parmi eux, on compte 2.214 installations photovoltaïques, le reste concerne de la production en bioénergie, en hydraulique, en cogénération, en éolien10hectares de panneaux photovoltaïques correspondent à la production d’une éolienne qui fonctionne de manière optimum210mégawatts/heure sont actuellement installés en Creuse. En 2015, le département comptait 118 MWh installés pour tout type de production d’énergie renouvelable dont 88 MWh concernaient du solaire, 94 MWh de l’éolien et 43 MWh de l’hydraulique.38,3 %c’est la moyenne de la part de consommation d’énergies renouvelables des Creusois fin 2020. Où en est le déploiement des postes sources dans le département ?
Reste un problème de taille qui pourrait freiner les envies de photovoltaïque sur le territoire : la saturation des postes sources qui permettent de raccorder les installations au réseau de transport d’énergie.
En Creuse, on en compte quatorze, dix-neuf avec ceux qui se trouvent à la frontière des départements limitrophes. « Sur le poste source de Boussac par exemple, nous avons des énergies renouvelables qui viennent du Cher. Dès lors que ces postes sont à la frontière de deux départements, ils servent aux deux », précise Frédéric Saint-Paul.
@Mathieu Tijeras
Et ce nombre de postes est décidé pour dix ans par le S3REnR, le Schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables, co-construit par RTE et Enedis et piloté par la préfecture de région. Il prend en compte « les possibilités et les projets d’injection dans les dix années à venir » des Sdec et syndicats producteurs d’énergies renouvelables.
« C’est un schéma qui est validé à un moment donné avec des capacités d’énergies renouvelables qui ont été fixées pour notre territoire à ce même moment, avec des travaux qui sont effectués pour accepter ces énergies renouvelables. Sauf que les demandes de raccordement pleuvent »
Ce schéma a donc bien du mal à anticiper pleinement l’engouement pour les énergies vertes et du coup, à correspondre fidèlement aux réalités des demandes. D’où une saturation et un blocage des raccordements. En Creuse, on ne peut aujourd’hui plus injecter sur le réseau de transport.
Bientôt un méga-transformateur à Aubusson et deux postes sources à Mansat et Châtelus-le-Marcheix« Sur Aubusson, RTE (qui n’a pu être joint, N.D.L.R.) est en train de faire des travaux de renforcement d’une ligne qui devraient s’achever en 2022, et de poser un mega-transformateur sur la zone ce qui devrait libérer quelques capacités pour intégrer des énergies renouvelables sur le secteur, détaille le responsable territorial d’Enedis. En attendant, effectivement, toutes les personnes qui demandent à se raccorder, ne peuvent pas le faire… » La création de deux postes sources à Mansat-la-Courrière et Châtelus-le-Marcheix devraient là encore, fluidifier un peu la situation.
« L’exercice n’est pas simple, admet le directeur territorial d’Enedis. Ce qui serait terrible, ce serait qu’on engage des travaux colossaux et coûteux qui feraient augmenter la facture des clients de manière significative (*) et que derrière, personne ne se raccorde… ».
Pour apporter un peu de souplesse à l’exercice, une révision de ce schéma est possible tous les trois ans. Il a d’ailleurs été révisé à la fin de l’année dernière. « On voit les trains qui n’arrivent pas à l’heure, mais il y a plusieurs centaines de méga watts/heure qui ont été raccordés sur le territoire creusois », rappelle Frédéric Saint-Paul.
(*) Les investissements, notamment sur les postes sources sont financés par le Turp, le tarif d’utilisation du réseau public, un élément de la facture payé par les usagers.
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Une ombre plane sur le développement local de l'agrivoltaïqueDepuis 2010, la société Triangle énergie a installé près de 600 bâtiments agrivoltaïques en Creuse. Si la demande ne tarit pas, la mise en œuvre elle, ralentit.Hangar de stockage de fourrage, de matériel, stabulations, les bâtiments solaires proposés par Triangle énergie permettent aux agriculteurs de disposer d’un bâtiment flambant neuf, clé en main, quasi gratuitement. En échange de la mise à disposition de l’intérieur des bâtiments, l’agriculteur laisse leurs toits et la production d’énergie solaire aux tiers investisseurs qui ont financé l’opération.
« Il y a beaucoup de demandes, le besoin est là parce que les exploitants veulent renouveler leur parc immobilier vétuste à moindre coût », explique Antoine Emery responsable de la zone pour Triangle Énergie. Mais depuis février, les nouveaux projets creusois sont bloqués. La faute aux postes sources saturés (ci-dessus).
« On est un peu dans une impasse et aujourd’hui, c’est un gros problème pour l’agriculture creusoise. À Évaux-les-Bains, Boussac, Gouzon, Bonnat, dans tous ces secteurs, on ne peut plus faire de demandes de raccordement avant 5 à 8 ans. Et un investisseur n’attendra pas 5 à 8 ans sans une garantie de tarif de rachat et l’agriculteur non plus. Il a un besoin aujourd’hui. »
La crise des matières premières est venue amplifier les difficultés et freiner les installations.
Antoine Emery, responsable de zone chez Triangle énergie, aux côtés de Mr Gros, agriculteur au Pognagot, commune du Grand-Bourg, chez qui des hangars photovoltaïques ont été installés @ Bruno Barlier
Côté Enedis, on a engagé un travail avec RTE, la préfecture et la Chambre d’agriculture pour expérimenter une solution inédite de « flexibilité », qui est testée actuellement en Bretagne. « Ça nous permettrait de libérer un peu d’espace dans les endroits où ça coince, explique Frédéric Saint-Paul et de raccorder des installations photovoltaïques d’agriculteurs ou d’autres qui sont dans la file d’attente. Les travaux d’étude ne sont pas terminés donc je ne peux pas dire si on va faire renter 10 % de la file d’attente, toute la file d’attente et d’autres mais une réflexion est en cours. »
Cette flexibilité, qui n’aurait pas à attendre la révision du S3REnR consisterait à accepter de raccorder une installation conséquente, par exemple de 500 KWh, au réseau mais d’imposer en échange au producteur d’injecter son énergie seulement 360 jours dans l’année sur 365. Les cinq jours restants seraient consacrés aux contraintes sur le réseau.
Pour Antoine Emery, il y a urgence à trouver une solution avant que ce soit l’embouteillage. Ou le découragement. « Maintenant, on se rapproche tout de suite d’Enedis pour savoir si un poste source est disponible afin de ne pas donner de faux espoirs à nos clients. Comme ça, on est sûr d’avoir une solution de raccordement sûre au lieu de lancer des constructions de bâtiments et d’être bloqué derrière… ».
La plus grand champ photovoltaïque du département vient d'être inauguré à GuéretMise en service dès mars 2021, la centrale solaire du grand Guéret vient d'être inaugurée fin juin. Elle s’étend sur 17 hectares et a la capacité d’alimenter 3.250 habitants en électricité.
Des panneaux solaires à perte de vue, entrecoupée d’une allée d’arbres. Il y en a en tout 33.000 installés sur la zone industrielle Les Garguettes, à cheval sur les communes de Saint-Fiel et Guéret. D’une puissance de 14,7 mégawatts crête, le parc solaire sera en mesure de produire 16,2 gigawatts/heure d’électricité par an, soit la consommation de 11% de la population de l’Agglomération du Grand Guéret.La centrale photovoltaïque du Grand Guéret affiche 33.000 panneaux solaires @ Bruno Barlier
« C’est l’Agglo qui était demandeur du projet, personne n’est venu nous chercher », assure Jean-Bernard Damiens, alors vice-président en charge des énergies renouvelables et du développement durable en 2017. EDF Renouvelables a été retenu pour mener le projet, à hauteur de 9 millions d’euros. La société de projet, créée pour l’exploitation de la centrale solaire, est détenue par EDF Renouvelabbles, l’Agglomération du Grand Guéret et ELINA, société d’économie mixte regroupant les syndicats d’énergie de la Creuse et de la Haute-Vienne.
Vers un objectif de 100% d'énergies renouvelables« C’est une pierre d’un projet beaucoup plus grand », annonce Pierre Auger, actuel vice-président de l’agglomération en charge des énergies renouvelables, qui a repris le dossier.
« On a défini un objectif : générer autant d’électricité que ce que le territoire en consomme. Je pense qu’on peut y parvenir dès la fin de mandat en 2026 »
Il mentionne deux projets de ce type qui sont « dans les tuyaux », sans pouvoir en dire plus pour le moment.
Toujours est-il que l’Agglomération s’engage à réinvestir les ressources générées par le projet - 125.000 euros de loyer et plus de 200.000 euros de fiscalité - dans la transition énergétique. « Cela s’appelle un cercle vertueux », glisse Eric Correia, président de l’Agglomération du Grand Guéret.
Les promoteurs du projet ont tenu a le rendre acceptable auprès de la population, en la faisant participer au financement à hauteur de 200.000 euros, sous la forme d’un prêt rémunéré à 5,5% par an. Mais aussi du point de vue de la biodiversité, le parc évitant les zones humides et respectant les instructions du CPIE pour préserver les corridors écologiques. En bonus, l’entretien de la végétation sera assuré par le paturage d’ovins et l’installation de ruches est prévue.
Texte : Julie Ho Hoa & Tom JakubowiczPhotos : Bruno Barlier, Mathieu TijerasInfographie : Laurent Chazal