Transport scolaire : des milliers d’élèves pourraient être laissés au bord de la route à la rentrée par manque de chauffeurs
Ce n’est apparemment pas le comportement des élèves qui les fait fuir. Comme dans d’autres métiers de service, le rapport contraintes-revenu provoque une crise des vocations chez les conducteurs de cars scolaires. Les transporteurs s'inquiètent d’un manque de 7.000 à 8.000 chauffeurs à la rentrée 2022.
Lors de la rentrée 2021, aux États-Unis, une école du Delaware a proposé de rétribuer les parents qui accepteraient d’accompagner leurs enfants à l’école, tandis que dans la région de Pittsburgh, la rentrée 2021 a été retardée de deux semaines par manque de personnel et notamment de chauffeurs de « school bus ».
En septembre dernier, dans plusieurs régions de France, des élèves sont restés au bord de la route pour les mêmes raisons. Dans le pays de Dreux (Eure-et-Loir), les parents d’élèves, les élus et les transporteurs ont dû affronter une « fuite » de chauffeurs d’autocars scolaires vers les Yvelines voisines et une entreprise « mieux-disante ».
En Isère, il y a deux ans, une société de transports a recruté des chauffeurs… roumains et ne parlant pas français pour le transport scolaire, provoquant l’ire des parents d’élèves et un rappel à l’ordre des instances nationales de la profession.
Les professionnels alertent : à la rentrée prochaine, ce sera partout.
Le manque de main-d’œuvre est tel, que « les entreprises se piquent les chauffeurs entre elles », constate Renaud Lagrave, vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine en charge des mobilités. À Orléans, Khedidja Ait Assi, responsable des ressources humaines des Cars Dunois, ne ménage pas sa peine pour recruter et se prépare à une rentrée scolaire « très difficile » : Je participe à des informations avec Pôle emploi mais le public qu’on arrive à capter désormais est très éloigné de l’emploi (…) Notre métier est ouvert à tout le monde, à tout âge et il offre une réelle autonomie », défend-elle.
« On est prêts à former les gens, à les accompagner. La formation est financée. Un permis sec, ça représente 6.000 à 8.000 euros.
14 heures d’amplitude horaire et temps partiel
En 2020, le chômage partiel découlant de 57 jours de confinement a amené un certain nombre de chauffeurs d’autocar à reconsidérer leur situation : « On a eu des départs vers le transport de marchandises », constate la jeune DRH des Cars Dunois.
Traditionnellement, le transport scolaire convient à des agriculteurs, à des jeunes retraités qui y trouvent un complément de revenu, « mais même ces catégories ne sont plus attirées par une activité faiblement rémunératrice. On commence à 6 heures, on finit à 20 heures. Ça fait 14 heures d’amplitude horaire. Les heures d’attente ne sont payées qu’à 25 %, au mieux 50 % », décrit Kalid Oughzif, secrétaire national de la branche transport de voyageurs à Force ouvrière.
Le syndicaliste dénonce « une convention collective archaïque ».
« On dit que travailler dans un dépôt Amazon c’est pénible, mais, au moins, on finit sa journée 7 heures après l’avoir commencée et à la fin du mois, on a 1.200 ou 1.400 euros »
Dans les faits, les conducteurs d’autocars scolaires finissent leur premier service vers 9 heures et doivent repartir pour la tournée du soir à 16 heures. Difficile d’intercaler un autre job.
Résultats : les revenus tirés de cette activité s’échelonnent « entre 450 et 650 euros », situe Khalid Oughzif.
« Nous proposons aussi des temps pleins », rétorque Khedidja Ait Assi.
Le syndicaliste de FO voit une autre raison dans les démissions en chaîne : « Pour attirer du monde dans les formations, Pôle emploi parle des autocars de tourisme, sauf que c’est 5 à 15 % de l’activité. On ne parle pas des contraintes. Les gens se retrouvent à faire du transport scolaire à temps partiel et ils se découragent ».
L'enjeu : créer des temps pleins en coordonnant mieux les services de transportDe source syndicale, le transport scolaire occuperait de 35.000 à 40.000 personnes en France, dont la moitié à temps partiel. Le « déficit » de main-d’œuvre pour la rentrée 2022 est évalué à « 7.000 ou 8.000 postes » par la fédération nationale du transport de voyageurs.
L’Anateep (Association nationale des transports éducatifs de l’enseignement public) est une interface qui participe à l’organisation du transport scolaire sur le terrain, avec les élus et les professionnels.
Son directeur des études, Éric Breton, reconnaît qu’il est complexe de construire des circuits qui permettraient de donner « plus de travail » aux conducteurs : « Il y a des efforts de fait pour que les circuits des établissements secondaires et des écoles primaires soient décalés, mais dans les lycées, avec les enseignements de spécialités, les emplois du temps sont déjà un vrai casse-tête ».
Décaler le ramassage entre le secondaire et le primaire ?
L’Anattep suit de près les initiatives qui vont dans le bon sens : Certaines collectivités, comme le Grand Reims, ont réussi à mieux coordonner le ramassage avec le transport périscolaire, les sorties piscine par exemple ».
Un métier accessible dès 18 ansEn Nouvelle-Aquitaine, les services de Renaud Lagrave travaillent aussi à interconnecter les différents réseaux, « mais entre le transport interurbain et le transport scolaire, ça prendra du temps », reconnaît le vice-président.
C’était une revendication de la branche : l’âge minimum pour passer le permis « transports en commun » vient d’être abaissé à 18 ans, au lieu de 21 ans. Le nouveau levier pour séduire les jeunes, ce sera « la création d’un CAP. Pour la première fois, on accédera à la formation initiale. L’entrée dans le métier ne se fera plus seulement par une reconversion professionnelle », se réjouit Christophe Gazet, directeur des transports auvergnats Fontanon. Cette société, basées à Cournon (Puy-de-Dôme) et Arvant ( Haute-Loire), aimerait davantage « fidéliser » ses chauffeurs.
« Quand un contrat passe à une autre entreprise, les chauffeurs suivent, c’est bien pour la sécurité de l’emploi mais ça participe à ne pas créer de liens avec l’entreprise »
Pour Khalid Oughzif, le premier critère d’attractivité reste la feuille de paie : « Il y a dix ans, les employeurs payaient 5 à 10 % au-dessus du taux conventionnel. Aujourd’hui on est juste à ce seuil. Il n’y a aucune intention de leur part de mettre la main à la poche pour rendre le métier plus attractif. Les sociétés de transport maintiennent les rémunérations au plancher pour être concurrentielles sur les appels d’offre ».
En tant que chef d’entreprise, Christophe Gazet donne l’exemple des marchés passés par Auvergne Rhône-Alpes : « Seul le prix compte, c’est tiré vers le bas ». En Nouvelle-Aquitaine, Renaud Lagrave souligne les efforts de formation :
« Ces deux dernières années, la région Nouvelle-Aquitaine a déboursé 3,5 millions d’euros pour financer 550 titres professionnels de chauffeurs »
; mais pour ce gestionnaire de gauche, « la Région ne fait pas les salaires ». S’il est convaincu qu’il faut « revaloriser » ce métier, Renaud Lagrave renvoie à l’échelon national et fait allusion à l’absence de ministre des Transports dans le nouveau gouvernement : « On ne peut pas nous expliquer qu’il faut prendre les transports collectifs et constater qu’on est en manque de main-d’œuvre. Il n’y a personne pour s’en occuper. Je veux bien croire que l’objectif final, c'est de tout robotiser, mais on n’en est pas là ! ». Julien Rapegno