Le conseil d'Etat annule la coupure temporaire de l'antenne de Mazeyrat-d'Allier (Haute-Loire), soupçonnée de nuire à la santé d'un élevage
Le Conseil d'État a annulé, mercredi 17 août, la décision du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ordonnant la désactivation provisoire de l'antenne relais de Mazeyrat-d'Allier, soupçonnée par le GAEC de Coupet de nuire à la santé de son troupeau.
« Ce jugement, j’en espérais beaucoup. J’y croyais. On nous avait donné quasiment deux fois raisons. On a deux cents bêtes, cinquante sont mortes. Aujourd’hui, tout le monde sait que cela vient de l’antenne… Je suis dépité. » Frédéric Salgues, éleveur à Mazeyrat-d'Allier au sein du GAEC de Coupet, affiche un ton agacé et désespéré à la fois. Ce mercredi 17 août, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance prise le 23 mai dernier par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, sur laquelle il fondait de grands espoirs.
Un délibéré rendu six jours avant la coupureL'ordonnance exigeait la désactivation temporaire (deux mois durant), avant le 23 août, de l’antenne relais de se trouvant à proximité du GAEC. Elle devait permettre à un expert judiciaire de vérifier si ce relais 3G/4G installé dans le cadre du New Deal mobile et activé en juillet 2021 pouvait nuire à la santé du troupeau de l’élevage bovin se trouvant à une centaine de mètres. Les exploitants ont en effet remarqué, depuis juillet 2021, des changements notables dans le comportement de leurs bêtes, qui se laissent dépérir : refus de s’alimenter, état corporel changeant, baisse de production de lait… Aujourd’hui, plus d’un an après la mise en service de l’antenne relais, une cinquantaine (vaches, veaux, génisses) sont mortes sur un troupeau de près de deux cents têtes.Frederic Salgues. Photo R Brunel
Les 2, 3 et 7 juin derniers, peu de temps après la décision du tribunal administratif, les quatre opérateurs exploitant l’antenne (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free) et le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique avaient déposé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, aux fins de contestation de l’ordonnance du 23 mai. Ce mercredi 17 août, ce dernier leur a en partie donné raison.
Le péril grave "pas établi"« L’antenne ne sera pas coupée, expliquait ce jeudi l’avocat du Gaec, Me Romain Gourdou. Le Conseil d’État invalide l’ordonnance. Il argumente en expliquant que la procédure de référé "mesures-utiles" n’était pas la bonne et qu’elle ne pouvait pas s’opposer à une décision administrative. » Il est ici question de la décision de 2018 de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) tenant les quatre opérateurs téléphoniques à « fournir des services de radiotéléphonie mobile et d’accès mobile à très haut débit […] sur certains territoires peu ou non couverts par de tels services », dont certains points du territoire de Mazeyrat-d’Allier définis dans un arrêté interministériel de 2019.
Dans son délibéré, le Conseil d’État insiste sur la notion de « prévention d'un péril grave » qui pourrait justifier l’ordonnance : « Si le GAEC fait état d’un taux de mortalité important dans son cheptel, il ne l’établit pas, un tel péril grave n’étant pas non plus caractérisé par les conséquences économiques de la baisse de la production laitière et de sa qualité. »
Pour Me Gourdou, le choix du Conseil d’État n’est pas une surprise : « Il suffit pour cela de voir la rapidité avec laquelle il a pris sa décision. Le rapporteur public était contre nous. L’État est contre nous. Le ministre de l’Economie a formé un pourvoi. Il s’agit plus d’une décision d’opportunité qu’autre chose. Le Conseil est allé vers l’État, vers les opérateurs. Les répercutions sont étudiées... »
Et l’avocat d’insister sur la décision du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand : « Il avait dit aux parties adverses "pourquoi vous ne voulez pas le savoir ?" »
Savoir si l’antenne avait un impact amenait deux possibilités : soit il n'y en a pas et là l’agriculteur aurait dit « j’ai tort » et c’est tout. Soit il y en a un et, pour le coup, la question se pose de reprendre toutes les antennes, avec le risque que le monde rural s’élève contre celles-ci. Pour moi, on préfère sacrifier le GAEC...
L’avocat des exploitants ne désespère pas : « On n’est pas sans recours. On continue. Il faut que l’expertise progresse. Elle ira au bout. Simplement, couper l’antenne, c’est la mesure qui aurait tout démontré en un temps record. »
Besoin de comprendreClaude Font, président de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA43), collectif ayant montré à de nombreuses reprises son soutien au GAEC du Coupet, navigue entre « incompréhension et dégoût. On n’a pas de position contre les antennes. On voulait juste comprendre ce qui se passait. On comptait en cela sur la décision du tribunal administratif. Là, le pouvoir a fait fi de toute cohérence. On ne peut pas savoir ce qu’il se passe. Au niveau syndical, je ne sais pas quelle décision on va prendre. J’ai fait appel à la FNSEA, je suis en attente de conseil. Ce soir, je pense aux éleveurs, aux bêtes... »
Les agriculteurs vont continuer d’être impactés, vont rester dans leur misère du quotidien et tout le monde s’en fout.
Me Romain Gourdou constate, quant à lui, que Frédéric Salgues est « désespéré. Il voit la souffrance de ses animaux et il ne gagne plus d’argent. » Un désespoir laissant aussi place à la colère, notamment contre les parlementaires de Haute-Loire et le président de Région : « Ils disent qu’on est dans le plus beau pays du monde. Mais ils laissent crever des bêtes et des gens », se désole l'éleveur, incrédule : « On nous a dit que couper l’antenne nuirait aux appels d’urgence. C’est une antenne 3G/4G. Les appels d’urgence, ce n’est pas la 3G. Et ils passaient bien avant... » La décision du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance du tribunal administratif est tombée comme un couperet :
J’étais serein. Il ne fallait pas l’être. Ce qui prime, ce sont les intérêts nationaux. Personne n’est capable de couper cette antenne. Alors on laisse mourir les vaches et on laisse mourir une famille.
Pierre Hébrard