Dans la Creuse, rencontre avec Hélène Chaudeau, la sage-femme des endeuillés
Hélène Chaudeau n’est pas morbide. C’est même tout le contraire. Sa voix est joyeuse, souvent entrecoupée de sourires quand elle raconte ce qui l’a menée à devenir accompagnatrice funéraire.
« En 2015, j’ai perdu mon père. C’est toujours un moment compliqué mais c’est à ce moment-là qu’il m’a paru évident que la mort était un endroit délaissé dans notre vie. À l’école, on parle de la reproduction, mais on ne nous apprend pas à dire au revoir à quelqu’un, on ne nous informe pas sur nos droits funéraires. J’ai voulu pallier ce manque et comprendre comment, petit à petit, on avait délaissé tout cela, comment on avait passé la main aux pompes funèbres : les gens laissent cela simplement par méconnaissance alors qu’ils pourraient être acteurs de ce qui va se passer. Je ne dis pas que les pompes funèbres ne font pas leur travail. Certaines le font même très bien, mais il peut y avoir de la défiance. »
Les mortels ont des droits qu'ils ignorentCette ancienne archiviste audiovisuelle a d’ailleurs mis un pied dans les pompes funèbres, en 2019, après avoir suivi de premiers stages lors de sa reconversion entamée deux ans plus tôt. Elle participe alors à la création d’une association, Par la racine, « où on interroge notre rapport à la mort ». Elle a alors à peine quarante ans quand elle découvre ce monde à Orléans, sa ville d'origine. Puis, peu après, en montagne limousine où elle s’établit comme accompagnatrice funéraire.
Hélène Chaudeau souhaite d’abord informer. Sur nos droits en tant que mortels, ignorés bien souvent parce que finalement, moins on parle de la mort, mieux, on se porte.
« On peut être mal à l’aise avec des personnes des pompes funèbres qu’on ne trouve pas sympas. Mais comme on est dans un moment où l’on veut que tout aille vite, on peut accepter des choses que l’on ne veut pas. Mais non. C’est pour cela qu’il vaut mieux en parler avant, en dehors du moment de l’émotion. »
À propos de la crémation
S’appuyant sur la loi de la dispersion des cendres (consultable sur le site de l’Association française des informations funéraires), Hélène Chaudeau le répète souvent : « On a le droit de disperser les cendres où l’on veut, sauf dans un espace public. On peut par exemple le faire en pleine nature à condition d’en avertir la commune. Par contre, les cendres sont une dépouille à part entière : on n’a pas le droit de les partager ». L’accompagnatrice funéraire insiste également sur l’importance de bien réfléchir au lieu choisi : « Il faut prendre le temps de la réflexion. Il faut que ce soit un endroit confortable et qui fait sens ». Quant à la cérémonie, « elle ne se tient pas obligatoirement au cimetière ou au crématorium. Ça peut être dans le jardin du défunt par exemple. À partir du moment où la commune concernée donne son accord ».
On en parle pour ne pas avoir l’impression « d’avoir raté un au revoir. Par rapport à ça justement, il faut savoir qu’il n’est jamais trop tard. Je fais partie d’un groupe d’indépendants, Sens et funérailles, et on est parfois sollicités par des gens qui nous disent : “On a raté la cérémonie”. On l’a vu pendant la période du Covid. Un an plus tard, on peut faire un second au revoir même s’il n’y a plus le cercueil ou l’urne ».
Il faut prendre le temps d'y penser, d'en parlerDans son rôle d’accompagnatrice, Hélène Chaudeau ne se substitue pas pour autant aux pompes funèbres.
« Des gens peuvent m’appeler lors d’un décès pour qu’on voie ensemble tous les choix et préparer l’entretien avec les pompes funèbres. Je peux aussi les aider à organiser une veillée funéraire. On prend le temps avec la famille. On voit ce qui peut être fait en accord avec la vie du défunt, ce qui fera du bien à ses proches. De là pourra démarrer le deuil. »
Un accompagnement qui peut aussi se faire bien en amont. Avec des ateliers d’éducation aux droits des endeuillés. Avec aussi des séances de volontés essentielles destinées aux particuliers : « On prépare leurs obsèques ensemble sans qu’ils contractent un contrat obsèques. C’est un dossier qu’ils transmettront à leur famille ».
Enfin, Hélène Chaudeau aide aussi les communes dans la gestion de leur cimetière : « Les habitants doivent y être impliqués mais il faut aussi que ceux-ci comprennent que, depuis l’interdiction des phytosanitaires, certaines communes peuvent décider de laisser leur cimetière se végétaliser. C’est un endroit destiné à… durer, si je puis dire. Il faut que ce travail se fasse en commun. Il faut refaire de ces endroits des lieux qui puissent être dans une qualité de recueillement ».
C’est d’ailleurs tout l’objet du travail qu’elle mène actuellement sur les sépultures abandonnées à Gentioux et Faux-la-Montagne : « On sélectionne celles qui ne peuvent être remises à la vente. On va faire des procédures de reprise et, soit on les entretiendra pour des raisons patrimoniales, soit on en fera des espaces végétalisés. Pour y ramener de la biodiversité ». Un peu de vie en somme dans un lieu qui ne devrait pas être résumé à ses seules tombes endormies.
La mort n’est pas non plus un sujet facile à aborder en famille pour faire part de ses dernières volontés par exemple. « Je sais qu’il y a des gens qui, par superstition, ne veulent pas en parler. Mais pour ceux qui ont envie de préparer ce moment et dont les proches ne veulent pas en parler, je conseille de le faire quand même. Avec une lettre par exemple que vous mettrez dans un endroit commode à trouver par vos proches pour qu’ils en prennent connaissance au moment venu. Cela permet de respecter les volontés et le temps de chacun. »
Séverine Perrier