L’écrivain Luc de Goustine raconte Marcelle Delpastre, poète et fermière corrézienne « injustement méconnue »
Deux natures cohabitaient en Marcelle Delpastre disparue voilà 25 ans. La fermière et l’écrivain. Si elle n’a pas fait école, son œuvre poétique « franco-occitane » n’a rien perdu de sa force incroyable. L’éditeur et écrivain Luc de Goustine évoque un « immense talent ».
Marcelle Delpastre a disparu il y a 25 ans. Le 6 février. Une quinzaine de jours auparavant, elle avait appelé son ami Luc de Goustine, l’écrivain et éditeur de Moustier-Ventadour.La Marcelle, comme on l’appelait, lui annonçait devoir quitter sa ferme de Germont, un village de Chamberet. Sa santé ne permettait pas qu’elle y restât. Son païs, sa terre et ses mystères, sa ferme et ses cahiers d’écriture, Marcelle Delpastre les quitta sans doute par le haut, par assomption : « Elle était profondément croyante. Ses écrits sur le pain eucharistique sont magnifiques, mais il y avait quelque chose de païen chez elle, il n’y a que les imbéciles pour trouver cela contradictoire ».
"Si un talent comme Delpastre était issu du sérail parisien, sa reconnaissance serait immense".
Luc de Goustine, écrivain, éditeur
Païen, pays, paysan… « Elle était de la classe paysanne, poursuit Luc de Goustine, elle vivait très modestement de sa ferme mais elle portait en elle un héritage, la culture occitane, une langue. Son amour de la poésie vient de ses études mais elle a senti très vite que sa langue occitane était susceptible de porter des œuvres. Sans doute avait-elle une sensibilité particulière mais elle avait en plus le don, un don exceptionnel pour dire et transmettre ».
Germont, le centre du mondeCertes, Marcelle Delpastre avait reçu une bonne éducation à Limoges et suivi les cours des Arts décoratifs mais, selon Luc de Goustine, rien ne lui était plus étranger que l’ornementation, le « faire joli », « d’ailleurs elle repoussait avec horreur le terme de poétesse, elle était poète point, comme elle était fermière ».Fermière le jour, écrivain la nuit ? « Non, c’est un raccourci trop facile, elle passait d’un monde à l’autre, elle notait les idées, les phrases ou les vers qui lui venaient sur un cahier d’écolier. En fait, c’est incroyable : son environnement matériel était simple et rustique mais son niveau de langage et ses intuitions étaient dignes des plus grands palais… Elle avait trouvé sa voix, (poétique) précisément en demeurant dans son cadre, elle écrivait avec un égal bonheur en français et en occitan ».
L'écrivain Luc de Goustine, ancien éditeur aux éditions du Seuil : "Il y a une faille culturelle entre Paris et la province" qui, selon lui, tient Marcelle Delpastre dans un relatif oubli.
« Elle était poète comme elle était fermière »Son cadre, ses paysages, périmètre sacré, c’était Germont. « Ma vie c’est d’être là et d’écrire », disait-elle. De là, de Germont, elle faisait œuvre d’ethnographe, observant bêtes et gens, outils et usages, arbres et pâturages, cherchant ce qui les liait, chantant ce qu’il y avait de beau et d’humble dans cette vie de peu. Mais son chant poétique, d’ailleurs ni triste, ni gai, se faisait parfois peu amène pour son pays : « Je parle d’un pays mort, qui ne sait plus s’il vit encore/d’un pays mort dans ses ronces, dans la rouille de ses rigoles/d’un pays qui s’oublie lui-même ».Poésie, textes en prose, contes, mémoires… Luc de Goustine déplore « que son œuvre reste à ce jour, singulièrement sous-estimé et injustement méconnu ».
Jan Dau Melhau, l'ami et l'éditeurMarcelle Delpastre n’était pas toujours commode. « Mais j’en atteste, si un talent comme Delpastre était issu du sérail parisien, sa reconnaissance serait immense, affirme Luc de Goustine, elle n’a jamais cédé aux opportunismes, alors je retiens d’elle sa totale liberté ».Sa reconnaissance en Limousin, puis en Occitanie, Marcelle Delpastre la doit à la revue Limouzi qui a publié ses premiers écrits. Dans le même temps, le journal ami, Le Populaire du centre lui offrait régulièrement une rubrique. Mais c’est au chanteur troubadour et éditeur limousin, Jan Dau Melhau, figure de la culture occitane, que l’on doit la publication de l’ensemble de son œuvre aux éditions Lo chamin de Sent Jaume. Jan Dau Melhau qui, depuis la disparition de Marcelle Delpastre, aura inlassablement travaillé à l’établir dans une juste postérité.Bernard Pivot l’avait invité dans son émission Bouillon de culture. France Culture lui a consacré plusieurs émissions. Les éditions Payot ont publié les traductions en français de ses œuvres. Pour découvrir ses livres, « il faut faire comme elle, il faut y aller au flair, résume Luc de Goustine, ouvrir, feuilleter et dire “ah oui, c’est ça”, elle nous apprend le second regard, celui que l’on doit avoir sur le fond et la vérité des choses ».
Arnaud Besnard