Néonicotinoïdes : entre les pro et anti, deux camps irréconciliables ?
Des centaines de tracteurs roulant de la porte de Versailles jusqu’aux abords de la Tour Eiffel à Paris. Ce mercredi 8 février plusieurs milliers d’agriculteurs ont manifesté dans les rues de Paris pour protester contre l’interdiction des néonicotinoïdes, une famille d’insecticides qualifiée de "tueurs d’abeilles", utilisés dans la culture de la betterave sucrière.
Depuis quand sont-ils interdits ?
Le 23 janvier, le ministre de l’Agriculture a annoncé que ces produits ne seraient pas réautorisés en France. Il répondait à un arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne qui estimait que "les Etats membres ne peuvent déroger aux interdictions" dans le cas des semences traitées aux néonicotinoïdes.
Ces substances sont en théorie interdites dans l’Union européenne (UE) depuis 2018, mais elles avaient été autorisées en France pour une durée de trois ans dans une loi de décembre 2020. Cette loi rendait également possible d’autoriser, jusqu’au 1er juillet 2023, un usage limité à une durée maximale de cent vingt jours par an.
Quels sont les arguments pour l’utilisation des néonicotinoïdes ?
Les principaux défenseurs de ces produits en sont les utilisateurs : les agriculteurs cultivant la betterave sucrière. Dans ce secteur, la France joue un rôle majeur. 23 700 betteraviers permettent à l’Hexagone de se classer comme le premier producteur européen de sucre de betterave et le deuxième mondial, derrière la Russie.
Il y a donc un enjeu majeur selon ces agriculteurs à continuer à utiliser cet insecticide car il permet, en étant appliqué préventivement sur les semences de betteraves, de les prémunir de la jaunisse, propagée par des pucerons. En 2020, une importante partie des plantations avait été ravagée par cette maladie, avec comme conséquence un tiers de la récolte détruite et 280 millions d’euros de pertes.
Pour les agriculteurs de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), il n’existe "pas d’alternative", à l’heure actuelle pour prévenir cette maladie destructrice. Pour le président CGB, Franck Sander, il n’y a d’ailleurs pas de risque de ce pesticide pour les pollinisateurs, comme l’abeille, car "la betterave ne fleurit pas". Enfin, pour la FNSEA, c’est "la souveraineté alimentaire", "affichée comme priorité gouvernementale", qui est en jeu. Le syndicat appelle l’exécutif à "passer du discours aux actes".
Quels sont les arguments pour l’interdiction ?
Le principal argument est celui de l’impact de ces pesticides sur les insectes, voire plus généralement sur l’environnement. L’impact sur les abeilles est particulièrement important. Des études ont ainsi montré que les populations d’abeille ont diminué, le produit chimique affectant leur système immunitaire, et perturbant leur croissance, ainsi que leur reproduction.
C’est tout l’équilibre environnemental qui pourrait être perturbé par l’utilisation des néonicotinoïdes, dénoncent leurs détracteurs. Dans un entretien à France Info, François Veillerette, porte-parole de l’association de défense de l’environnement Générations Futures, estimait ainsi que dans certains endroits des pertes de 50 % à 70 % de présence d’insectes avaient été observées, ce qui "a un impact sur les oiseaux". Pour Philippe Grandcolas, chercheur du CNRS au sein de l’Institut Écologie et Environnement, "l'empoisonnement des pollinisateurs ne se fait pas uniquement via les betteraves traitées donc peu importe qu’elles ne fleurissent pas ! Mais aussi via les autres plantes contaminées par les sols pollués pour plusieurs années".
Enfin, pour ces opposants aux néonicotinoïdes, des solutions alternatives existent. En 2021, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail avait identifié 22 alternatives, parmi lesquelles l’utilisation de l’huile de paraffine, pour abaisser le niveau des populations des pucerons, et le recours à deux pesticides de synthèse utilisables en pulvérisation.