40 ans de la féminisation de la gendarmerie : à Tulle, portrait croisé entre une retraitée de l'armée et une élève gendarme
Sur une photo en noir et blanc, Valérie Trufert sortait tout juste de l’école de gendarmerie de Montluçon ; sur une autre, qu’elle tend à Lauriane Labarre, élève gendarme, elle pose avec les effectifs du peloton de Montargis, dans le Loiret. "Ça n’a pas été facile de faire bouger les esprits, en tant que femme, on n’avait pas droit à l’erreur", confie la retraitée de la gendarmerie, qui habite dans les Monédières.
Seulement quatre ans après l’ouverture, d’abord sous quotas, des rangs aux femmes dans l’institution, Valérie Trufert s’engageait dans l’armée de Terre, service transmissions. En 1990, à 23 ans, elle quittait l’uniforme kaki pour la tenue bleue et intégrait l’école de gendarmerie de Montluçon. "Le côté militaire me plaisait, mais avec les relations avec les gens en plus", se souvient-elle.
Difficile de faire ses armes dans un milieu d’hommesSa première affectation tombe dans la compagnie de Lons-le-Saunier, dans le Jura. Et à l’époque, l’arrivée d’une femme en brigade était loin d’aller de soi. "On avait l’impression d’être totalement accessoire : il faut féminiser, donc on met des femmes ici et là. Mais nous n’avions même pas de vêtements adaptés et notre légitimité nous était déniée. Dans cette brigade à 7, j’entends encore mon chef s’exclamer : 'Et bien voilà, une femme et c’est le bordel !'"
À 56 ans aujourd’hui, retraitée de la gendarmerie depuis 2015, Valérie Trufert mesure la distance parcourue dans les esprits et l’évolution de l’institution. "Il a fallu s’imposer en tant que femme. Et les défis étaient de plusieurs ordres : prouver notre valeur auprès de notre hiérarchie, car par exemple mon commandant n’était pas d’accord pour avoir une femme dans ses effectifs ; vis-à-vis des collègues, qui pensaient qu’en plus de devoir assurer leur propre sécurité, il faudrait aussi protéger leur collègue femme - et ce, alors que je faisais des sports de combat et avais au moins autant d’arguments qu’eux - ; vis-à-vis de la population, qui voyait en moi une secrétaire", retrace l’ancienne gendarme.
À l’accueil de sa brigade, des personnes lui demandaient parfois de s’"adresser à un gendarme" : "Même en tenue, avec mon arme, certains ne voulaient pas me reconnaître dans mes fonctions." Avec le recul, Valérie Trufert mesure aujourd’hui l’évolution de l’institution. "La féminisation de la gendarmerie, ça permet d’apporter un plus, d’être complémentaire. Il n’y a pas de règle, mais dans certains cas, une victime préférera se livrer à une femme ; dans d’autres s’adresser à un homme. Mais finalement, je garde surtout de ces années la fierté d’avoir été utile, d’avoir servi les gens. Homme ou femme, peu importe. Demeure la fonction, celle d’apporter un service public. Ce n’est pas un métier, c’est une vocation."
Une vocation naturelle pour la jeune générationUne appréciation qui est aussi celle de la relève : "C’est avant tout le contact avec les gens et le sens du service public qui m’ont poussée à choisir ce métier. Être utile au quotidien, ça n’a pas de prix", confie l’élève gendarme Lauriane Labarre, qui à la fin du mois quittera définitivement l’école de gendarmerie de Tulle pour sa toute première affectation en brigade dans les Pyrénées-Atlantiques.
Pour cette jeune femme de 23 ans, la question du genre ne se pose plus aujourd’hui : "Il y a 20 ans, je n’aurais certainement pas tenu le même discours. Mais la gendarmerie est une famille qui a su évoluer, avec les postes ouverts sans distinction aujourd’hui aux hommes comme aux femmes. Et je ne me suis finalement jamais posé la question d’intégrer l’institution en tant que femme."
Déjà engagée comme réserviste, elle a pu mesurer l’apport précieux des personnels féminins sur le terrain. "Il m’est arrivé de calmer une situation où le ton montait sur un contrôle avec mes collègues masculins. On travaille en complémentarité et la notion de genre finalement ne compte pas." Combative, Lauriane Labarre s’est remise d’une grave blessure de sport au genou quand elle était adolescente pour réaliser ses projets d’enfant : "Devenir gendarme, j’y pense depuis que j’ai 10 ans. Je vais d’abord faire mes armes en brigade, la meilleure école pour toucher à tout et être au plus près des gens. Et après, mon objectif est de travailler sur le judiciaire en intégrant une brigade de recherches."
Julien Bachellerie