Quête d'approbation, "body positive" et filtres à gogo : il se passe quoi, sur les réseaux des ados ?
Il y a "des filles qui se montrent super belles". D’autres "qui vont parler de leurs défauts, leurs complexes".
Elona, élève en terminale à Toucy, dans l’Yonne, est la première à se lancer. À dire sans trop en dévoiler ce qui se cache dans les méandres de son fil Instagram. Largement influencé par ce qui défile le plus sous son pouce, toute la journée.
"On mange du contenu tout le temps", commente Victor. Lui, "filtre ou pas", fille "maquillée ou pas", tout ça, "je sais que c’est un sujet important, mais ça ne fait pas partie de ce qui m’intéresse". Et l’influence des réseaux sociaux sur sa perception de la réalité, "ça s’opère sans qu’on s’en rende vraiment compte".Photos Marion Boisjot Juste à côté, Martin. Il lance au débat la question de ces filtres qui rendent les cils plus longs et les joues plus creuses. "Il y en a des marrants, aussi. Mais le gros problème avec les filtres, c’est que ça va augmenter notre norme et on va oublier la réalité, le fait que ce n’est pas tout le temps parfait. On finit par viser quelque chose d’un peu inaccessible."
Les bras timides des débuts se lèvent finalement. Maxan répond aux filles du fond de la classe. Voir des "corps parfaits", "ça va plutôt me motiver, me pousser à l’atteindre. Chez les filles, je pense que ça met plus une pression". Et puis il y a les commentaires. Les critiques sous les vidéos qu’Elsa va lire. Qu’elle aimerait bien bannir.
"Je trouve que si on n’a pas tout ça, pas les réseaux, on est encore dans notre innocence"
Ils parlent des "plus jeunes" comme s’ils étaient déjà trop grands. Elona prend l’exemple de sa petite sœur. D’autres suivent. "J’ai aussi une petite sœur qui va rentrer en sixième et je remarque qu’elle a beaucoup de maquillage par rapport à moi alors que j’avais mis un peu de temps à avoir tout ça, réagit Elsa. Je me dis que les jeunes filles vont déjà penser qu’il faut se mettre du maquillage pour que les hommes soient séduits. En 6e, moi, je pensais pas au mascara, tout ça."
Approbation et bienveillanceOn est en cours de philo et le professeur Robin Vernois, jusque-là silencieux, pose la question de l’hypersexualisation. De ce fossé qui se creuse entre celles qui voient, utilisent, se comparent, imitent. Et celles qui n’y ont pas accès, comme sa fille à lui. "Pas pour être vieux jeu", juste pour comprendre. "Je trouve que si on n’a pas tout ça, pas les réseaux, on est encore dans notre innocence, répond la lycéenne. Ceux qui voient des choses qui ne sont pas de leur âge quittent leur monde d’enfant pour arriver dans celui des adultes, et être grand avant l’heure."
Une toute petite poignée d’années a beau les séparer des collégiens, Alexy renchérit : "Quand je vois des petits qui font la moitié de ma taille et qui utilisent tout ça déjà beaucoup plus, je me dis que ça va trop vite. Ça va peut-être paraître ridicule mais, avant, les filles prenaient un sac à main pour jouer et faire comme leur mère. Avec les réseaux, ça prend une autre dimension."
De mères en filles, trois générations de femmes libres
Quelques chaises plus loin, Eline, grande sœur, estime qu'"ils sont plus dépendants de toutes ces images, de la recherche de l’approbation des autres. Je généralise peut-être mon cas parce que je ne suis pas du tout réseaux sociaux. En tant que fille, j’ai l’impression que, même entre nous, on est moins tolérantes, moins bienveillantes. Et on ne peut pas demander aux hommes de faire des efforts vis-à-vis du sexisme, d’être bienveillants, si on n’est pas capables de le faire nous-mêmes."
Le rang d’en face, Astrid ira jusqu'à parler des complexes qui débarquent. Des problèmes "physiques, psychologiques". Et puis au milieu de tout ça, elle veut croire au "body positive". Celles qui "montrent leurs défauts", comme entamait Elona. "Les réseaux, ça aide à normaliser certaines choses." "C’est pas parce que je vois passer deux, trois trucs misogynes sur internet que je vais me dire que toutes les femmes que je vais rencontrer vont me faire à manger", réagit Alexy. Cliché tenace, dispersé aussi par Alexandre. Pour qui ces mouvements font "avancer plus vite" que la seule éducation reçue "par les parents et à l’école".
Alors aux visages lisses, Elona répond :
"Celles qui se montrent un peu trop parfaites, je me dis que ça cache quelque chose."
Caroline Girard