Grosse affluence à Aurillac pour le festival : "La BD touche un public toujours plus large"
Au cours de la dernière décénie, libraires et bibliothécaires ont noté un regain d’intérêt pour la bande dessinée. Marqués par le boum du 9e art, les auteurs s’adaptent… ou bien en sont-ils la cause ? Le Festival BD du bassin d’Aurillac, qui se déroule ce week-end, permet d’apporter des éléments d’explication sur ce marché florissant.
Le livre le plus lu de 2022 était une bande dessinée : Le monde sans fin. L’excellent album sur le nucléaire, signé Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, est symbolique d’une époque. « Si la BD touche un public toujours plus large, c’est parce qu’elle aborde de plus en plus de thématiques, et cette diversité date de plusieurs années déjà », analyse Élise Guichoux, qui a ouvert la première librairie spécialisée BD et mangas d’Aurillac en 2022, Le Phare de terre. « Toutes les générations sont concernées, constate-t-elle. L’autre jour, un homme âgé arrive en disant : “Allez, je ne veux pas mourir idiot, je n’ai jamais lu de mangas”. Il est revenu et en a lu plein d’autres. »
Dans les allées du Festival BD du bassin d’Aurillac, Anaëlle Missionnier, 15 ans, élève au lycée Émile-Duclaux, s’arrête à tous les stands ou presque. « Chez nous, il y a de grandes collections de bandes dessinées. J’ai toujours été au contact de BD, à commencer par les classiques, comme Astérix et Obélix ou Tintin, et j’ai toujours aimé lire. » Pour Fabien Dalmasso, c’est là l’une des raisons du succès. « Les gens de ma génération ont grandi dans la BD, dans les mangas, et aujourd’hui, adultes, ils connaissent et encouragent ces lectures. Certains que ça intéressait petit, comme moi, se sont mis eux-mêmes à dessiner, et à proposer des thèmes inédits, et très différents », analyse l’auteur de Reflets d’acide.
Et le public y a été réceptif. « Il n’y avait pas à proprement parler de demande, explique Hervé Lafon, bibliothécaire et responsable du rayon BD à la médiathèque du bassin d’Aurillac depuis douze ans. Les lecteurs ont simplement accroché. Aujourd’hui, ils raffolent des BD documentaires, comme L’Arabe du futur, de Riad Sattouf. » Un constat corroboré par Adeline Camguilhem, responsable du rayon BD à la librairie Point-Virgule. « Le support permet la vulgarisation de propos qui peuvent paraître opaques, par le dessin l’approche est simplifiée. »?
Les blogs BD ont fait le lit des auteurs starsNicolas Wild, auteur de nombreuses BD documentaires, estime que les retombées d’aujourd’hui sont le fruit d’un autre support. « Historiquement, on a le graphic novel américain, le manga protéiforme japonais ou coréen, et la bande dessinée franco-belge."
Entre 2005 et 2014, on a assisté à l’émergence des blogs BD : des dessinateurs racontaient leur vie sous forme de dessins qu’ils publiaient sur leur blog
"Les réseaux sociaux n’étaient pas encore démocratisés, et les blogs bénéficiaient donc d’une large audience. Cela a permis à des auteurs stars de la BD d’aujourd’hui, comme Pénélope Bagieu ou Boulet, qui avaient 400.000 lecteurs par jour, d’être publiés par la suite. » Il s’est d’ailleurs lui-même investi dans ce support virtuel, lors d’un voyage en Afghanistan, en 2005. « Cela permet aussi d’avoir immédiatement un retour de lecteurs ce qui, jusqu’alors, était impossible. » Les adaptations de romans en BD caracolent en tête des choix. « Si vous vous intéressez à beaucoup de sujets différents, reprend Hervé Lafon, la BD vous permet de comprendre très vite un contexte, une ambiance, une expression, grâce au dessin, là où les mots sont utilisés dans les romans. Ensuite, beaucoup de journalistes et d’écrivains se sont tournés vers ce support, emmenant avec eux leur lectorat. Je pense à Jancovici, mais pas seulement. Si auparavant, la BD était estampillée jeunesse, la tendance a résolument changé. »
Anna Modolo