ChatGPT : une révolution plus importante que celle de l'imprimerie, par Nicolas Bouzou
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Chronique Bouzou
La possibilité offerte au public d’utiliser ChatGPT aura eu l’immense mérite de placer l’intelligence artificielle (IA) au cœur de nos débats. Enfin on en parle, fût-ce de façon brouillonne. La configuration du débat public, très clivé, nous somme de choisir notre camp : soit du côté des Jean-Noël Barrot, notre ministre délégué chargé de la Transition numérique (ah les intitulés de postes ministériels…) qui considère ChatGPT comme un "perroquet approximatif", soit du côté des Laurent Alexandre qui y voient un changement économique, social et civilisationnel majeur. Parmi ces deux extrêmes, il me semble que le second est le plus proche de la réalité.
ChatGPT est une application d’intelligence artificielle dite générative. Cela signifie qu’elle génère des textes ou des répliques lors d’une conversation avec des humains. D’autres applications peuvent générer des images, des vidéos ou des musiques. ChatGPT est un avatar parmi d’autres de la troisième révolution industrielle, celle qui voit converger les technologies du numérique, de l’intelligence artificielle, des robots et des biotechnologies. Remis dans cette perspective, ChatGPT est une application parmi d’autres, la plupart n’existant pas encore. L’avenir est plein de surprises.
A notre ministre Jean-Noël Barrot, qu’on a connu mieux inspiré qu’au moment de cette saillie ornithologique, on fera remarquer que, non seulement son jugement est sévère, mais surtout ChatGPT sera 100 000 ou 1 million de fois plus puissant dans dix ans, l’intelligence artificielle apprenant de façon exponentielle grâce aux datas qu’on lui fournit et à sa propre expérience. C’est à cet effort de prospective qu’il faut s’astreindre pour prendre les bonnes décisions de politiques publiques.
Une réflexion plus large sur ChatGPT
Fin février, Henry Kissinger (le diplomate), Eric Schmidt (l’ancien PDG de Google) et le professeur d’informatique Daniel Huttenlocher ont publié dans le Wall Street Journal un papier trop peu commenté en Europe. Leur diagnostic est le suivant. Les conséquences des applications d’IA générative vont au-delà de la "destruction créatrice" schumpeterienne classique. Nous avons évidemment raison de nous interroger sur ce que ces applications changent en matière d’emplois et de façon de travailler. Mais notre réflexion doit être bien plus large. D’abord, écrivent les trois experts, ChatGPT change notre rapport à la connaissance, plus que l’imprimerie. On connaît en principe l’identité de l’auteur d’un livre et on doit pouvoir se faire une idée même imprécise de ses compétences. En revanche, quelle est la véracité des propos générés par une IA ? Voilà une bonne question à discuter en cours de philosophie.
Ensuite, l’IA générative pose la question du pouvoir technologique et économique. Car le secteur de l’intelligence artificielle est fortement capitalistique. Cela signifie que ces marchés sont naturellement oligopolistiques. Ceux qui investissent le plus, le plus tôt et le mieux seront les géants de l’IA générative, c’est-à-dire qu’ils détiendront un pouvoir technologique et économique majeur. Aujourd’hui, ce sont évidemment des organisations américaines et chinoises qui dominent. Enfin, la réflexion géopolitique doit englober les problématiques de l’IA générative. Regardez la présence des trolls russes sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en particulier. Imaginez ce que serait l’influence russe si une IA générative pouvait développer une argumentation crédible (bien que fausse) sur le fait que les sanctions économiques occidentales n’affectent pas la Russie mais in fine surtout l’Occident lui-même. La puissance géopolitique passe par la maîtrise de l’IA.
ChatGPT doit aussi constituer l’occasion de porter un regard critique sur notre débat public et sur l’état de l’opinion. Sans aucun mépris pour personne, on peut quand même considérer que la crise d’hystérie nationale autour d’une réforme des retraites indispensable et minimaliste est un peu à côté de la plaque alors même que la sous-estimation des changements technologiques menace la France d’un déclassement implacable. Que la loi soit vite promulguée afin que l’on reparle de choses importantes et intéressantes.