Madones, super-héros, anges, divinités exotiques… Qui a pénétré un jour le très baroque appartement de Gérald Bronner à Nancy pouvait se douter qu’il y avait là, dans sa ville natale et au milieu de cette décoration surchargée en amulettes et iconographies religieuses, sans doute un "rosebud", une clé existentielle remontant à l’enfance. Le sociologue est l’un des champions français du rationalisme. Professeur à Sorbonne Université, auteur de best-sellers sur les croyances collectives (La Démocratie des crédules, Apocalypse cognitive…), Gérald Bronner collectionne les honneurs en bon transfuge de classe. Il a dirigé une commission présidentielle sur le complotisme et les fake news. Mais dans Exorcisme, récit très personnel d’un "envoûtement" et d’un "désenvoûtement", le chroniqueur de L’Express révèle avoir lui-même, dans sa jeunesse durant les années 1980, été "un croyant fiévreux et presque fanatique".

Originaire d’une banlieue populaire de Nancy, le jeune Bronner flirte avec la petite délinquance, avant d’embrasser l’ésotérisme et les superstitions. Initié par un oncle, vieux garçon New Age qui lui fait découvrir Tolkien et les dieux égyptiens, l’adolescent bascule dans le paranormal en compagnie d’amis. "C’est un ensemble de coïncidences qui m’a, petit à petit, fait basculer dans des croyances radicales", se souvient-il. A l’époque, il découvre que le péristyle de l’ancienne collégiale Saint-Georges, attenante au palais des Ducs de Lorraine, comporte 22 statues de dieux grecs comme les 22 arcanes majeurs du tarot. Lui-même est né un 22, et habitait alors au n° 22. Le chiffre devient une obsession. "Quand vous voulez interroger le monde, le monde vous répond. Si vous cherchez le chiffre 3 ou 22, vous le trouverez."

Apocalypse à Nancy

Projection astrale, alchimie, tarot de Marseille, alphabet hébraïque, numérologie… La bande s’essaie à tout. Le futur académicien de médecine se croit ensorcelé, et tente de se guérir à coups de prières et de talismans peints sur des parchemins. Ses amis et lui se persuadent que Nancy jouera un rôle majeur dans la fin des temps. Malgré notre sympathie pour la ville, on ne peut s’empêcher de sourire, lui suggérant que Nancy n’a rien d’une Jérusalem lorraine. "Toute l’anthropologie religieuse montre que le moindre village se pense le centre du monde", répond-il. "Construite sur un marais, évoquant le plomb, et trouvant son aboutissement avec la place Stanislas, faite d’or, Nancy excitait notre imagination avec sa symbolique alchimique." Gérald Bronner cofonde le C.E.R.F., ou "Chercheurs En Réalisme Fantastique", qui réunira jusqu’à une soixantaine de personnes. Le délire les mènera jusqu’à des filatures d’une supposée organisation sataniste. "Nous étions des enfants. Nous avons commencé à jouer à trois, et nous nous sommes persuadés que ces croyances étaient vraies, que nous avions eu une intuition mystique. Mais nous n’avons jamais été des truqueurs", jure-t-il.

Comment se sort-on de croyances insensées ? Dans le cas de Gérald Bronner, il y a d’abord eu le passage de l’ésotérisme à la politique, première étape du désenchantement de son monde. "Notre mouvement s’est politisé. On a connu une sécularisation de notre imaginaire. La fin des temps, c’est long quand on attend l’Apocalypse et qu’elle ne vient pas. Or nous étions des jeunes gens en quête d’action. On est ainsi passé de l’Apocalypse à la révolution." Le bachelier s’abreuve de littérature anarchiste et organise des manifestations pour une "révolution pacifique". Il découvre que le Grand Soir s’avère presque aussi chimérique que l’Apocalypse. C’est finalement la sociologie qui le poussera vers la rationalité. L’étudiant consacre son mémoire à la superstition, alors même qu’il est encore un "croyant". "J’ai dû bien faire mon travail. J’ai compris que la superstition est une stratégie face à l’incertitude. Ensuite, j’ai consacré ma thèse au hasard." A son chevet, les œuvres de Max Weber et Raymond Boudon remplacent Le Matin des magiciens.

Tout militant à plein temps est un croyant

Stéphane Courtois

Gérald Bronner n’est pas le seul à avoir pris pour objet d’étude les croyances radicales de sa jeunesse. Bien avant de diriger Le Livre noir du communisme, inventaire des crimes des régimes communistes paru en 1997, l’historien Stéphane Courtois a été, dans le sillage de Mai 68, un fervent militant anarcho-maoïste. "Tout militant à plein temps est un croyant", confie-t-il. Etudiant à Nanterre, épicentre de la révolte étudiante, il dit avoir été emporté "par un torrent". Membre du groupuscule Vive la révolution dirigé par Roland Castro et Tiennot Grumbach, il gère une librairie révolutionnaire, La Commune. "Nous étions vraiment dans une croyance maoïste, persuadés que la Révolution culturelle était le mouvement le plus démocratique de l’histoire mondiale depuis 1789. Nous étions pris en pleine propagande chinoise." Pour Stéphane Courtois, c’est le soupçon du doute qui crée la première brèche au sein de la croyance. En 1971, le grand sinologue belge Simon Leys publie Les Habits neufs du président Mao, dépeignant la sanglante Révolution culturelle comme une tactique cynique employée par le vieux Mao pour reprendre le pouvoir. Stéphane Courtois se retrouve également convoqué par l’ambassade de la Chine. "Je me suis demandé qui étaient ces personnes qui m’interrogeaient comme si elles étaient des flics." Sur le point de basculer dans la lutte armée, Vive la révolution s’autodissout en 1971. Le militant qui, pendant plusieurs années a vécu comme un "moine-soldat", rencontre sa future femme. "Tout d’un coup, la révolution présentait moins d’intérêt", s’amuse-t-il.

Mais, comme d’autres, Stéphane Courtois insiste sur le temps long et le dur travail sur soi qu’il faut pour s’extraire mentalement de ce genre de convictions. "Ce qui m’a aidé, c’est la rencontre avec Annie Kriegel, professeure de sociologie politique à Nanterre. Elle connaissait très bien le processus de sortie du communisme, l’ayant elle-même expérimenté douloureusement en tant qu’ancienne stalinienne, au moment de 1956, avec le rapport Khrouchtchev et l’écrasement de la révolution de Budapest. Quand on fait de l’histoire, on ne peut pas rester dans les croyances." Pourtant, quand il s’attelle dans les années 1990 au Livre noir du communisme, Stéphane Courtois est toujours convaincu que Lénine reste "un grand personnage", réalisant non sans effarement l’ampleur des crimes bolcheviques dès les origines.

L'adolescence, période clé

Comme l’a mesuré la chercheuse Romy Sauvayre, maître de conférences à l’université Clermont Auvergne, dans le cas d’une secte, il faut en moyenne six à huit ans entre les premiers doutes et la rupture avec ce genre de croyances. C’est le même nombre d’années qui a été nécessaire à Gérald Bronner pour se "déradicaliser". "Les croyances font partie de notre identité", explique-t-il. "Comme le bernard-l’ermite, on ne peut sortir d’une identité qu’à condition d’en avoir une autre. Pour moi, cette nouvelle identité, cela a été la position rationaliste. Quand j’ai commencé à comprendre qu’il y a plus de grandeur à coexister avec le hasard du monde plutôt que dans une aliénation mentale, cela m’a aidé à sortir de ma carapace de croyant. Mais on ne peut pas sortir du bois tout nu."

Comme le souligne le sociologue, la tentation de croyances de type superstitieuses n’est jamais aussi forte que lorsque les individus font face à "l’angoisse des possibles", dans des périodes de crise personnelle. Et l’adolescence, étape clé de la construction identitaire, représente un moment particulièrement favorable. Né en Syrie, l’écrivain Omar Youssef Souleimane a, adolescent, émigré en Arabie saoudite pour suivre ses parents dentistes. "Pour eux, l’Arabie saoudite était une terre sainte et pleine d’opportunités. J’ai alors découvert une société imprégnée d’un racisme nationaliste ambiant. Nous étions mal vus : des 'migrants arabes' d’une autre couleur, venus pour des raisons économiques. J’étais perdu, influençable. Puis il y a eu les attentats du 11-Septembre. A l’école, dans les rues et à la maison, on parlait d’Oussama Ben Laden comme d’un héros. Je voulais faire comme lui !" se souvient l’auteur du Petit Terroriste (Flammarion). Le jeune homme se met à étudier sérieusement à l’école coranique, avec pour ambition de commettre un jour un attentat en Occident. Une opération chirurgicale le convainc du bien-fondé de son choix. "Je souffrais tellement que j’avais promis à Dieu que, s’il me sauvait, je me tournerais vraiment vers la religion. J’ai été sauvé, par la médecine bien sûr, mais pour l’enfant que j’étais, c’était la main de Dieu."

Paradoxalement, c’est le pèlerinage à La Mecque, qui va réveiller chez l’apprenti salafiste le démon du doute. "Je venais chercher la paix, j’ai trouvé la violence et la radicalité. Trois millions de pèlerins sous 45 degrés jetant des coquillages contre des roches pour "tuer le diable", et tournant sept fois autour de la Kaaba. J’avais 15 ans, je me sentais comme dans un hôpital psychiatrique. A Riyad, je ne voyais que très peu de femmes, intégralement voilées. Mais lors du pèlerinage, elles doivent montrer leur visage. J’étais fasciné ! Je n’arrivais pas à résister à mon désir, comme j’aurais dû le faire en tant que salafiste. C’était un combat entre la censure et la passion. Mais la brèche était ouverte : j’avais un doute." A son retour de La Mecque, il se met à lire des textes prohibés en Arabie saoudite grâce à un VPN. "Puis j’ai relu le Coran, sans tabou, sans en attendre des réponses toutes faites à mes questions et mes doutes. Je me souviens m’être dit, en lisant les versets sur le paradis et l’enfer, que j’allais finir en enfer si je n’étais plus croyant. J’ai ensuite réfléchi : si j’allais au paradis, j’allais retrouver Ben Laden. Mais si j’allais en enfer, j’allais retrouver ceux que j’aimais vraiment : Paul Eluard, Virginia Woolf, Monica Bellucci [rires]. Je me suis dit : 'Va pour l’enfer'."

Le complotisme dès 12 ans

Mal dans sa peau, harcelé à l’école, Esteban, lui, a été tenté par le complotisme dès ses 12 ans. "Mon grand-père, qui m’a élevé, m’avait dit qu’il avait des doutes sur l’histoire 'officielle' du 11-Septembre. En cherchant des informations, je suis tombé sur le blog ReOpen 911. Ce qui m’a fait chanceler, c’est le mélange de vrai et de faux qu’il y avait dans chaque théorie. L’une d’entre elles partait du fait que les jours ayant précédé les attentats, le niveau de ventes à Wall Street était inhabituellement élevé, pour arriver à la thèse d’un complot du gouvernement américain. Ce premier épisode a constitué un terreau pour plus tard." La pandémie du Covid-19 radicalise ses opinions. "Une vidéo du Pr Raoult m’avait été recommandée sur YouTube. Un professeur d’université, la blouse blanche… Pour moi, qui avais quitté l’école à 16 ans, c’était sérieux. Je l’ai partagée sur Twitter, et de fil en aiguille, j’ai intégré des groupes complotistes dans lesquels on expliquait que le gouvernement exagérait la gravité de la pandémie pour faire passer des lois liberticides." A l’époque, Esteban vient d’être diagnostiqué autiste, après des années d’errance. Il peine à trouver du travail. "J’étais seul. En rejoignant ces groupes, j’appartenais à une communauté, et ces théories me confortaient dans l’idée que mes problèmes venaient d’un 'système' défaillant et malhonnête et non pas de moi", décrypte-t-il aujourd’hui.

Mais alors que les théories sur les vaccins à ARN messager ou celles du mouvement QAnon deviennent de plus en plus délirantes, le jeune homme se sent manipulé, et commence à faire part de ses doutes. Un jour, il annonce sur Twitter qu’il arrête de "croire à tout ça". Désormais, Esteban traque les fake news sur X (anciennement Twitter), quitte à essuyer l’opprobre de ses anciens amis de la complosphère. "Le harcèlement est revenu, comme lorsque j’étais petit. Certains disaient que mes tweets étaient trop bien écrits pour qu’ils soient vraiment de moi. Des personnes issues de la communauté complotiste sont même venues toquer à ma porte. Ils pensaient que j’avais été piraté. En partant, ils ont déposé un mot sur ma boîte aux lettres me disant d’utiliser un code (qu’ils m’indiquaient) dans un de mes tweets, si je ne pouvais pas parler librement. Là, je me suis dit 'j’ai bien fait' [rires]."

Dissonance cognitive

Dans Exorcisme, Gérald Bronner insiste sur un point important : on peut croire à des choses folles sans être fou soi-même. "Même dans l’expression de croyances très radicales, il y a une forme de rationalité. Les gens sont porteurs d’un système de représentations qui a sa cohérence propre. Je sais, par expérience, qu’on peut croire des choses complètement perchées, car j’y croyais vraiment." Dans L’Echec d’une prophétie, un classique des sciences sociales, le célèbre psychosociologue Leon Festinger a documenté comment une petite secte millénariste dans le Michigan, les Seekers ("chercheurs"), a cru à l’imminence d’un déluge mondial annoncé pour le 21 décembre 1954, et au fait que ses membres allaient être sauvés des eaux par des extraterrestres. Festinger popularisa dans cet ouvrage la théorie de la dissonance cognitive. Selon lui, les individus cherchent avant tout la cohérence mentale. Ils veulent le moins de contradictions possibles entre leurs croyances et leurs actes ou les informations qui peuvent leur parvenir. Une dissonance cognitive a lieu si, par exemple, une personne croyant dans l’astrologie découvre que les prédictions de l’horoscope sont de toute évidence fausses. Plutôt que d’abandonner une croyance qui les structure, les individus préfèrent généralement réduire la dissonance par d’autres stratégies. On pourra se dire que l’horoscope n’a pas été réalisé dans les règles de l’art, ou que la prédiction se réalisera plus tard. Dans le cas des Seekers, alors que le monde survécut au 21 décembre 1954, les membres de la secte tentèrent ainsi de rationaliser le fiasco de leur prédiction : si le cataclysme n’a pas eu lieu, c’est tout simplement parce qu’ils avaient manifesté tant de foi que Dieu s’était finalement décidé à sauver le monde !

D’autres, au contraire, finissent par évoluer face à l’accumulation de grains de sable dans leur système de pensée. Ingénieure en environnement, Virginie* est orientée par un médecin, après des problèmes de santé, vers des pratiques non conventionnelles (ostéopathie, acupuncture…). Elle se passionne alors pour l’herboristerie, jusqu’à entraîner toute sa famille dans le centre de la France pour l’accompagner dans un parcours de reconversion professionnelle en culture de plantes médicinales. Après de multiples aléas, elle se tourne finalement vers une formation de diététicienne. Elle réalise alors, grâce à un confrère, que tout ce qu’elle avait appris jusque-là n’était pas basé sur des faits scientifiques. En parallèle, elle se rend compte que malgré tous les régimes alternatifs préconisés, son endométriose ne s’améliore pas. "A partir de là, tout a commencé à se débobiner. C’est exactement ce que dit la spécialiste des croyances alternatives Romy Sauvayre : les conflits de valeur s’ajoutent les uns aux autres, et on finit par tout lâcher."

L’Echec d’une prophétie illustre une autre logique à l’œuvre chez des croyants fervents : le sophisme de la dépense gâchée. Alors que le déluge tardait, l’un des responsables des Seekers, le Dr Armstrong, fit cette confession révélatrice : "J’ai brisé tous les liens, j’ai brûlé tous les ponts, j’ai tourné le dos au monde, alors je ne peux pas me permettre de douter : je dois croire, il n’y a pas d’autre vérité." Quand on a sacrifié énormément de temps, d’énergie, voire d’argent, dans une croyance, il est difficile de revenir en arrière et se dire que tout ça n’a servi à rien.

Ne pas humilier le croyant

Selon Gérald Bronner, l’erreur serait de juger le contenu d’une croyance plutôt que son intensité. "Le contenu du christianisme, en soi, est tout aussi loufoque que celui du Mandarom. Simplement, nous y sommes plus accoutumés. Mais ce qui compte, c’est le rapport conditionnel ou inconditionnel à une croyance. Avoir une lecture littérale de la Bible devient par exemple problématique. Le fanatisme, c’est de croire radicalement à des choses radicales." Selon lui, il ne faut ainsi pas trop s’alarmer si une personne croit en des choses qui paraissent folles, mais y en mettant de l’ironie et de la distance. "C’est pour cela qu’il faut empêcher l’autre de se prendre trop au sérieux dans sa croyance. Si on arrive à instiller un peu d’humour, un travail se fera automatiquement."

Pour le sociologue, il est également essentiel de ne pas humilier le croyant adhérent à des idées radicales. Plutôt que de le remettre en cause en tant que personne, mieux vaut questionner son raisonnement. "Il faut se rappeler qu’il y a assez d’humanité chez l’autre, même chez le platiste. L’humilier, c’est ne lui laisser aucune chance de faire sa déclaration d’indépendance mentale. Le mieux, c’est ne pas rompre la parole, échanger avec lui, lui demander ses arguments. La plupart du temps, on découvre que les théories sont plus molles qu’on ne le croit. C’est l’illusion de profondeur explicative : quand on interroge quelqu’un sur ce qu’il croit, on s’aperçoit qu’il ne maîtrise pas tant que ça les mécanismes. Mais il faut être patient."

On se rend compte qu’il n’y a que des exceptions

Frank Meeink, ancien néonazi

Ancien membre d’un gang de skinhead suprémacistes blancs, l’Américain Frank Meeink, 48 ans, fait aujourd’hui de la prévention sur le racisme pour les écoles ou la police américaine. Après une enfance violente à Philadelphie, il se rapproche de la mouvance néonazie à l’âge de 13 ans. "Je me suis engagé à 100 %, au point de former mes propres groupes néonazis, de braquer des banques et de kidnapper des 'gauchistes' pour obtenir une rançon. L’objectif : se battre pour la race blanche", raconte-t-il. "Avec le recul, je sais que je suis tombé dans cette idéologie parce que j’avais besoin de me trouver des ennemis. Tout ce qui me permettait de justifier les problèmes que j’avais."

Mais un séjour en prison à 17 ans lui fait questionner ses croyances extrémistes. "Malgré la croix gammée que j’avais tatouée dans le cou, des jeunes basketteurs noirs m’invitaient à jouer avec eux lorsqu’il leur manquait un joueur. Peu à peu, j’ai commencé à me dire que j’avais plus en commun avec eux qu’avec d’autres néonazis également incarcérés." A la sortie, il se retrouve à travailler comme déménageur pour un employeur juif, Keith. "C’était un homme bien, le premier à me faire sentir que je n’étais pas un bon à rien. Un jour, il m’a même dit que j’étais l’une des personnes les plus intelligentes qu’il ait jamais rencontrées. J’étais là, face à cet homme que j’essayais secrètement de détester depuis des mois, au bord des larmes. Lorsque l’on commence à se déradicaliser, cela commence par des exceptions. On se dit : 'Je n’aime pas les Noirs et les Juifs… sauf Keith, et Mike, et Blake…' Puis on se rend compte qu’il n’y a que des exceptions."

Pour Gérald Bronner, l’histoire s’est bien finie : s’il a abandonné les croyances farfelues de sa jeunesse, le sociologue a conservé les amis de cette période mystique, continuant d’ailleurs à les appeler ses "frères". Le personnage tragique - et hautement émouvant - du livre est son oncle, qui a écrit plusieurs essais sur l’occultisme, la géomancie ou les mythologies. Sollicité par l’équipe de Christophe Dechavanne en quête d’un chroniqueur loufoque, celui-ci a refusé de passer pour un clown à la télévision, finissant sa vie seul, reclus chez sa mère et obèse. L’universitaire, que ses détracteurs aiment à présenter comme un "gardien de la raison", craint-il la publication de ce texte très intime ? "Cela permettra sans doute à des personnes malveillantes de se moquer. C’est une aventure de Pieds Nickelés, ridicule. Mais je n’ai pas honte. D’autant que si je n’avais pas connu ces croyances, je ne serai pas le sociologue que je suis aujourd’hui."

*Le prénom a été modifié

Exorcisme, par Gérald Bronner. Grasset, 236 p., 20 €. Parution le 17 janvier.