Le RN à la conquête des profs
Rencontre avec le député de la 2ᵉ circonscription de Loir-et-Cher Roger Chudeau
Le service militaire a beau avoir été suspendu, certains fonctionnaires doivent toujours faire leurs classes ; littéralement quand des enseignants titulaires de leur beau concours, affectés à un premier poste se prennent pour certains la turbulence des adolescents pleine figure. Seuls s’en sortent, certains maîtres chez qui l’on décèle une autorité calme, sereine, sûre d’elle et que l’on dit parfois naturelle.
Ministre putatif en cas de victoire de Marine Le Pen
Roger Chudeau, le député Rassemblement national en charge des questions d’éducation, semble avoir été de ces enseignants-là. Quand le maître arrive dans le café où nous avons rendez-vous, tout le monde se lève. Pas bégueule, le patron nous remet une tournée ainsi qu’à ses collaborateurs. Nouveau député du Loir-et-Cher depuis les législatives de 2022, l’homme en est à son premier mandat mais semble déjà savoir y faire. En novice, il nous raconte l’apprentissage du métier d’élu, de fêtes de village en célébrations officielles… Cet ancien haut responsable du ministère de l’Éducation nationale a connu rue de Grenelle les cabinets ministériels. Agrégé d’allemand, il a longtemps enseigné. Fort de ce CV, il est aujourd’hui présenté comme ministre putatif de l’Éducation nationale en cas d’élection de Marine Le Pen.
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Aussi, la discussion prend un tour assez grave. L’élu fait sien la dénonciation de « l’état désastreux du système éducatif ». « Je ne parle pas d’anecdotes mais de choses de fond : ascenseur social bloqué, école en morceaux, des élèves qui ne savent plus lire et écrire… » Il cite au passage notre chroniqueur Jean-Paul Brighelli dont l’ouvrage, La fabrique du crétin avait alerté l’opinion publique sur la panade de l’école française. Même diagnostic que l’essayiste : « L’esprit 68 est un peu déclencheur de l’affaire. Il a fait sauter le bouchon d’académisme un peu sérieux qui restait dans l’institution. On est entrés dans une période qui voulait faire du passé table rase. Tout a été aplati, rendu incompréhensible pour la génération d’avant : les exercices de français, de mathématique. On a alors commencé à envisager le savoir, la langue, la logique comme des structures de domination » énonce-t-il. Puis il balance une synthèse : « le structuralisme : un bordel ». Passé le constat il énonce un véritable plan de redressement : refonte des programmes, de la formation (« Les INSPE, instituts de formation des maitres souvent accusés de dérives pédagogistes, sont une catastrophe nationale »), écrémer le secondaire au moyen d’examens de passage (« on redonne du sens à l’activité éducative et une validité académique au diplôme ») et surtout recentrer l’école sur sa mission première : « il y a plusieurs centaines d’objectifs qu’on assigne à l’école sur le site du ministère, certaines sont fantaisistes : maitriser l’informatique, planter des arbres… Je propose d’assigner à l’école ses deux missions essentielles : transmettre des savoirs, transmettre des valeurs ».
Et les bonnes manières ?
Son programme est connu. Il a su la populariser avec quelques coups d’éclat bien sentis. Le 21 septembre dernier, les députés de la NUPES invitaient en audition à la commission des affaires éducatives et culturelles de l’Assemblée nationale les syndicats enseignants. Gonflés par la complaisance de leurs hôtes, les syndicalistes sermonnent les députés, ironisent sur leur absentéisme, leur indifférence supposée aux enjeux d’éducation. Un ton que Roger Chudeau n’a pas apprécié. Le maître sort sa règle et tape : « Le fait que vous vous permettiez de nous faire une leçon de respect de démocratie est totalement ridicule et totalement déplacé… Si vous voulez que l’année prochaine on se retrouve, ce qui n’est pas certain, je voudrais que vous vous mettiez au niveau et que vous baissiez d’un ton ». Vexés, les syndicats ont alors quitté la commission : « Je leur ai dit leur fait, je leur ai rappelé qu’ils étaient des enfants mal élevés » raconte l’élu. Le député redevient volontiers professeur : il redresse les torts, corrige quand cela est nécessaire, gronde quand on déroge au savoir-vivre. Roger Chudeau est un homme qui a du style et des idées. Il a même – et ce n’est pas si fréquent – le style des idées qu’il défend. Pour mieux le cerner – et parce que le style c’est l’homme – nous l’écoutons discourir sur sa méthode d’enseignant : « Je mettais les choses au point en début d’année à ma façon. Et de manière catégorique. N’allant pas jusqu’à l’indignation. Après avoir jeté ce petit froid. Je détendais l’atmosphère au fur et à mesure. Finalement, je finissais familier avec l’élève. » Devenu principal de collège au bout de huit ans, il a pris goût « à l’autorité et pourquoi ne pas le dire au commandement ».
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Sa conception du commandement, il peut la résumer en un mot : « la fermeté ». « Je crois dans la majesté de la décision politique » assène celui qui tient l’instruction – au même titre que la défense, la justice, la sécurité – pour un domaine régalien : « elle doit être domaine réservé du président de la République ». Une manière de contourner les syndicats, l’administration et les fameux parents d’élèves et de neutraliser les forces d’inertie et de complaisance qui ont bloqué l’action des anciens ministres. Ancien membre des cabinets de François Fillon et Xavier Darcos, il en fut d’ailleurs un témoin privilégié.
Longtemps terre de mission pour le FN puis le RN, Marine Le Pen a réalisé dans le monde enseignant une percée inattendue avec 22% de suffrages en 2022. L’intransigeance de Roger Chudeau sur la laïcité à l’école ou la sécurité dans les établissements ne sont pas sans échos dans l’actualité : «Le proviseur du lycée Ravel jette l’éponge. Comment lui en vouloir ? Une fois encore l’islamisme aura marqué des points et marqué son territoire qui n’est autre que l’école de la République. » Avec ses annonces tonitruantes (chocs des savoirs, classes de niveau…) l’éphémère ministre de l’Education, Gabriel Attal avait paru lui couper l’herbe sous le pied. Depuis, les déboires d’Amélie Oudéa-Castéra et les hésitations de Nicole Belloubet lui redonnent de l’air : « Elle a elle-même déclaré que la question de l’autorité était une faribole. » Réussira-t-il ? Il cherche en tout cas à montrer qu’il possède le caractère de la fonction. Pour en avoir le cœur net, nous interrogeons l’homme public sur ses passions privées. L’élu de Sologne est chasseur. En souriant, il nous confie « J’attends chaque année avec impatience l’ouverture ». S’il fallait être plus clair…
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