Prostitution : la préoccupante question des mineurs, toujours plus nombreux

Huit ans après la loi pénalisant les clients, le gouvernement présente ce jeudi un plan de lutte contre la prostitution qui prête une attention particulière à la question du numérique et à celle, intimement liée, des mineurs.

La loi du 13 avril 2016 « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » peine manifestement à entrer dans les mœurs. Ce texte courageux a notamment abrogé le délit de racolage qu’il a remplacé par la pénalisation des clients, désormais passibles d’une amende de 1.500 euros, pouvant aller jusqu’à 3.750 euros en cas de récidive, parfois complétée par un stage de sensibilisation.Huit ans après et une souffrance en hausse qui corrompt toujours plus de mineur(e)s, l’exécutif livre aujourd’hui un nouveau plan de lutte contre la prostitution. Une attention particulière a été portée à la question du numérique et à celle concomitante des mineurs.

Cette stratégie nationale, qui sera présentée par Aurore Bergé, entend « renforcer l’application de la loi de 2016 partout sur le territoire, dans son volet répressif et social », insiste-t-on dans l’entourage de la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.Selon les estimations des associations, le nombre de mineurs prostitués, qui a plus que doublé ces dernières années, oscille entre 7.000 et 10.000 sur les 30.000 personnes qui vendent leur corps en France.« Chiffrer précisément la prostitution est impossible, entérine Sophie Antoine, responsable juridique et plaidoyer de l’ACPE (association Agir Contre la Prostitution des Enfants). Le développement du numérique a rendu les estimations bien plus difficiles que lorsqu'il n’y avait que la prostitution de rue. On ne peut que pointer des hausses et constater des tendances. Les comportements ont changé, à commencer par la glamourisation du vocabulaire comme avec l’usage du mot “escort” plutôt que prostitué(e). Internet a porté l’ubérisation de la prostitution.  »

Prendre la toile dans ses filets implique une législation plus ambitieuse. « La prostitution, rappelle Sophie Antoine, suppose un contact physique entre le client et la victime. Car le ou la prostitué(e) est une victime. Vendre son corps résulte de vulnérabilités psychologiques et sociales, surtout quand il s’agit de mineur(e)s. Internet n’est qu’un moyen certes, mais qui invite, cependant, à élargir l’arsenal répressif à de nouvelles infractions comme la sextorsion* ou la sollicitation de mineur(e).  »

« Sous couvert d’exploitation sexuelle, poursuit la responsable associative, on pourrait ouvrir largement le parapluie de protection, notamment pour les mineur(e)s. Le terme d’exploitation, toutefois, sous-entend l’intervention d’une tierce personne, d’un proxénète en l’occurrence, alors que la prostitution de beaucoup de jeunes sur Internet est spontanée. Mais ils ou elles, je me répète, n’en sont pas moins victimes, entre la personnalité en construction, l’argent qui altère le jugement et les fragilités sociales et psychologiques. »

Internet devenu un mot de passe, les entremetteurs sont tout trouvés. « Le terme de proxénète doit être étendu à tous ceux qui profitent de la prostitution. S’agissant d’Internet, les sites hébergeurs sont concernés. Ils sont bien plus que la simple page blanche qu’ils prétendent seulement être.  »

Et la loi gagnerait à être appliquée dans toute sa sévérité : « La prostitution des mineur(e)s est interdite, rappelle la juriste. Avec un adulte consentant, le client est passible d’une contravention. Avec des mineur(e)s, celui-ci encourt cinq ans de prison et même dix si la victime a moins de 15 ans. Mais le doute profite trop souvent à l’accusé qui évoque les formes, la taille, les vêtements, le maquillage, pour dire que la victime faisait plus que son âge. Ainsi la peine de cinq ans de prison en vient-elle à ne plus protéger que les mineur(e)s de moins de 15 ans et la peine de dix ans, que les mineur(e)s de moins de 10 ans?! Avec des mineurs âgés de 15 à 18 ans, les clients ne sont quasiment jamais inquiétés. »

« Adoptée en avril 2021, reprend-elle, la loi Billon établit un seuil d’âge de non-consentement à 15 ans. En deçà, il n’y a pas de consentement, donc c’est un viol. Au-delà, le consentement est supposé libre et éclairé, sauf autorité. Un consentement libre et éclairé entre 15 et 18 ans?? La remise d’argent, par ailleurs, n’est-elle pas une autorité de fait qui force le consentement??  »La question des moyens se pose également, des moyens de la justice, de la police et de la gendarmerie comme des associations. « Il faut en finir avec les subventions annuelles qui ont pour conséquences de casser les dynamiques à long terme et de mobiliser une partie des personnels à travailler au renouvellement des subventions…  » 

(*) Pratique qui consiste à se faire passer sur Internet pour mineur et obtenir, après mise en confiance, des photos intimes de mineurs afin de les faire chanter

Jérôme Pilleyre