Bikini Kill à l’Élysée Montmartre : l’heure du revival Riot Grrrl ?
Girls to the front. Un slogan qui, trente ans auparavant, invitait les jeunes filles du public à jouer des coudes pour se hisser au-devant de la scène (et renvoyer ces messieurs à l’arrière, pour une fois). En plein mouvement Riot Grrrl, impulsé par Kathleen Hanna et sa bande au début des années 1990, se posait enfin la question de la répartition genrée des fosses, et de la scène alternative en général. S’imposait enfin l’idée que les femmes puissent investir les concerts autrement qu’en groupies.
Depuis la déflagration Bikini Kill, les ados des nineties sont – pour certaines – devenues mères, et ont transmis l’effronterie à laquelle ces punks d’Olympia appelaient de leurs vœux. Résultat, c’est tout un état d’esprit qui a parcouru les frontières et les générations. Il n’y avait qu’à balayer du regard le public (très féminin) de l’Élysée-Montmartre ce 3 juin pour se dire que le mouvement Riot Grrrl n’est finalement pas à conjuguer au passé. Nous en étions toutes ses héritières.
Douceur sororale
Dans la fosse, des t-shirts à l’effigie du groupe, une poignée d’autres estampillés “More Women on Stage”, beaucoup de cliques de copines – qu’elles soient adolescentes ou quinquas. Devant nous, l’une d’elles plaisantait : “J’attends ce moment depuis 1992 !”, comme si Bikini Kill étaient restées terrées aux États-Unis depuis tout ce temps. 1992, année clé où sortait d’ailleurs leur second disque éponyme, comprenant les devenus mythiques Double Dare Ya ou Suck My Left One.
Ce soir-là, on ne s’attendait pas forcément à se prendre de pleine face la fougue juvénile de leurs débuts, ni à ce que l’Élysée Montmartre se mue en cave géante. Il y avait, par contre, comme un parfum de retrouvailles, une douceur sororale, presque filiale. L’impression de renouer avec celles à qui l’on doit une reconnaissance éternelle.
Alors quand Kathleen Hanna et Tobi Vail ont grimpé sur scène aux côtés d’Erica Dawn Lyle (guitare) et de Kathi Wilcox (basse), ouvrant les hostilités avec New Radio – repris en cœur par la foule – on a eu la sensation d’assister à un moment important.
La honte d’être Américaine
Si quelque chose n’a pas bougé d’un iota, c’est bien la constance politique du groupe. Après une poignée de morceaux enchaînés, des larsens en guise de sutures, Kathleen Hanna nous a exhorté·es à faire front commun pour soutenir les Palestinien·nes, participer à des cagnottes associatives, organiser des actions… Répondant aux acclamations, sans détour : “Free Palestine, fuck yeah !”.
Une saillie en appelant une autre, elles ont lâché avoir “honte d’être Américaines, comme toujours” – référence à leur album Reject All American, certes, mais aussi au soutien massif des États-Unis à Israël, premier fournisseur en armes de l’État hébreu.
Une révolution toujours en marche
Par son attitude affable et désinhibée, Hanna n’a pas manqué de nous rafraîchir la mémoire quant à la force de son propos féministe : parler fort, embrasser ses aspérités, ne jamais céder à l’effacement. Il semble immuable, tant il résonne encore aujourd’hui. On regardait jouer (avec une admiration certaine) ces quatre musiciennes, la cinquantaine, désencombrées des convenances, confiantes, toujours aussi alertes sur le monde qui les entoure… Drôles aussi, nous conviant à leur Carnival, nous sommant d’être des Rebel Girl(s). Des punks, des vraies, dont le discours s’avère toujours indispensable.
Alors hier soir, ce n’était sans doute pas le concert de l’année – en existe-t-il un seulement ? – mais on a vu de nos yeux des pionnières. Leur performance (une heure montre en main) s’est refermée par un unique rappel de Rebel Girl, scandé par le public à l’unisson, accueillant l’un des seuls pogos de la soirée. “When she talks, I hear the revolution / In her hips, there’s revolution / When she walks, the revolution’s coming”. Kathleen Hanna avait prévenu.