Dans les cortèges anti-RN, la peur diffuse des manifestants
Il y a les anciens des manifestations monstres du 1er mai 2002 contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, des vieux sympathisants de gauche, des familles venues battre le pavé avec leurs enfants car elles "n'imaginent pas leur avenir dans un État fasciste". Et des jeunes qui "emmerdent le front national", reprenant un hymne punk qui tutoie les quatre décennies.
Et à Nice, le cortège qui a remonté la principale artère commerciale du centre ville, a rencontré indifférence, moqueries ("c'est le carnaval") et parfois franche hostilité ("moi je vote français !").
La France anti-RN s'est donnée rendez-vous samedi dans les rues à l'appel des syndicats, des associations et des partis de gauche pour être "ensemble contre l'extrême droite" dans un pays où la perspective d'une entrée de Jordan Bardella, patron du RN, à Matignon n'a jamais été aussi proche.
Philippe Villechalane, 70 ans, militant dans une association de chômeurs, avait manifesté en 2002. A l'époque, il "ne pensait pas qu'il y avait un vrai danger que l'extrême droite arrive au pouvoir", rembobine ce manifestant croisé à Paris. Mais "là oui" car "idéologiquement la droite a gagné".
Dans le cortège parisien, au milieu d'une forêt de mains de SOS racisme, Isabelle, une enseignante quinquagénaire fait la moue: "en 2002 on n'avait même pas réussi à défiler tellement il y avait de monde".
"On s'est habitué, c'est malsain", se désole Alice Ribière, 39 ans, une enseignante qui défile à Nice.
-"Guerres intestines"-
"Moi je suis plutôt modérée mais aujourd'hui on doit se mobiliser, si on ne le fait pas on ne le fera jamais", analyse Sandrine Arnautou, cadre à l'université de Lorraine, venue avec sa fille et son mari à Nancy. "Je crois que les électeurs RN ne sont pas forcément fachos. C'est un vote de colère. Il faut prendre conscience de cette colère, y répondre", avance cette manifestante.
A Nantes, Marseille, Reims, Clermont-Ferrand ou Toulouse, la "peur" d'une accession de l'extrême droite au pouvoir transpire à chaque coin de phrase.
"J'avais besoin de me retrouver avec un grand nombre de personnes pour sentir que je ne suis pas la seule. Le passage de l'extrême droite au pouvoir me fait peur", lâche Amélie Rouanet, 32 ans, travailleuse sociale à Toulouse.
Le "RN fait vraiment peur, c'est contre mes valeurs, je fais des études pour être enseignante d'histoire-geo et je n'ai pas envie qu'on m'impose des programmes", glisse Ariane Guinamand, 22 ans, venue manifester pour la première fois à Clermont-Ferrand.
Dans les cortèges, beaucoup de manifestants ont le coeur à gauche et regardent avec espoir, perplexité ou peur, encore, les soubresauts du Nouveau Front populaire, l'alliance électorale des partis de gauche, déjà ébranlée par des accusations de "purges" visant LFI.
"On est dans une période très fasciste, on est très inquiets. Les urnes c'est important, la rue aussi. Les guerres intestines à LFI, c'est pas le moment, l'heure est à l'union", observe à Paris l'acteur Swan Arlaud connu pour son engagement à gauche.
Mais les manifestations ont aussi attiré au-delà des habitués des cortèges.
A Bordeaux, Pierre Planiol, 24 ans, ouvrier agricole est l’un des rares manifestants présents avec le drapeau français.
"C’est le drapeau de la République qui nous rassemble tous et que l’extrême droite récupère et déshonore", dit le jeune homme qui se présente comme militant UDI et dit avoir voté pour Valérie Hayer aux européennes, la candidate du camp d'un Emmanuel Macron unanimement rejeté dans les défilés..
"C’est important (de manifester). Même si avec la gauche on ne partage pas grand-chose, on partage le même drapeau, le même pays et le même amour de la démocratie", complète-t-il.
Une démocratie qu'il juge aujourd'hui "en danger" face au RN. C’est les héritiers de qui on sait".
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