Patrice Monzat, une vie de théâtre à Tulle

Le régisseur général du théâtre de Tulle Patrice Monzat part à la retraite à la fin de la saison. Retour sur toute une vie passée entre coulisses et plateau.

Quand il quittera le théâtre le 30 juin, le régisseur général Patrice Monzat n’emportera rien, sauf quelques photos. « Je me suis préparé, j’ai envie de couper complètement. Tous mes souvenirs sont dans ma tête. »

Son premier souvenir ? « Ma grand-mère était couturière dans le Trech, mon père, gardien à La Marque, habitait au-dessus de chez Accary. Petit, je venais au théâtre, pour le ciné, les fêtes du lycée. C’était gigantesque ! Chaque fois que j’y entrais, c’était waouh ! Et puis, à l’adolescence, je ne venais plus. » Il fréquente plutôt les bars et leurs concerts, mais le théâtre n’est jamais loin.

« Ma première mission, c’était en 91, au CAC, le Centre d’animation culturelle. C’était le début, à Tulle, des spectacles. » Avec Thierry Vareilles et Jean-Paul Peyrat entre autres, « on était des pieds nickelés, s’amuse-t-il. On découvrait la technique. » Tout se jouait alors au CCS. « On était encore à l’analogique. C’est une compagnie canadienne qui nous a fait découvrir le numérique. »

Un passage par le Centre municipal de développement culturel (CMDC) et le bonhomme va voir ailleurs. « J’ai passé un an à vivre de champignons et de pêche, j’étais un peu hors normes ; je montais des chalets. » Il en a gardé le goût du bricolage bien fait. À son actif déjà, plusieurs maisons pour lui ou sa fille ; le retraité s’y remettra, aux champignons aussi.

Son retour au théâtre ? C’était en 92. Pendant 3 ans, il est intermittent cintrier. « Je n’ai jamais été un grand technicien. Je sors du plateau, les cintres, la mise en place des décors, l’accueil et le lien avec les compagnies… Mon point fort, c’est le rapport aux gens. Je veux que chacun se sente bien. Ici, les gens donnent le maximum pour que le spectacle se fasse et dans la bonne entente. Je n’ai jamais eu l’impression qu’on n’y arrivera pas, parce qu’on se prépare. »

« Aux régisseurs, je dis : “tu sais que tu viens en vacances à Tulle !” »

Le CMDC devient Les 7 Collines, qui passent sous pavillon L’Empreinte-Scène nationale. Lui tient la place, régisseur de scène, régisseur principal, puis régisseur général. « Avec Stéphane Guilbot, qui est toujours intermittent ici, on a aidé à mettre en place tout ce qui fait la particularité de la technique à Tulle. »

Laquelle donc ? « L’accueil, commence Patrice Monzat avec enthousiasme. Dès le CCS, on a fait un peu notre théâtre, qu’on a défendu devant tous les directeurs. Et puis, je n’ai jamais mis les artistes sur un piédestal. J’aime mélanger les artistes et les techniciens, on fait un peu le même travail. »Avec Silvio, intermittent depuis 31 ans : "Ce n'est pas facile de travailler avec lui, parce qu'il demande beaucoup. Il gère super bien sa maison".

Pas du genre à transiger avec la politesse et le savoir-vivre, le régisseur général, qui s’amuse à « faire peur aux gens » pour mieux les plier à ses manières de faire. « Sauf quand on accueille des artistes comme Juliette Gréco, se ravise-t-il. Avec elle, on ne fait pas les Bébert ! » La grande dame leur a d’ailleurs laissé un dessin dans les loges, souvenir de son (bon) passage à Tulle.

En 25 ans et quelque 1.500 accueils de compagnies et d’artistes, il en a vu, des vertes et des pas mûres, passant par « toutes les difficultés et toutes les solutions ». Il se souvient de chacune, les assume toutes.

« Il ne me faut pas 3 minutes pour prendre une décision et, je pense, la bonne. Le plus compliqué en technique, c’est qu’il y a toujours dix façons de faire. À un moment, il faut trancher, mais pas seul. Je suis toujours en relation avec le directeur technique, pas dans un rapport de chef, mais dans l’échange. Les compagnies le disent : “À Tulle, ça marche, ça ne pinaille pas”. »

Ça marche, à grand renfort de débrouillardise, d’engagement et d’une bonne dose de psychologie. Pour composer les équipes d’intermittents et composer avec les compagnies. Quitte à secouer les gens. « Je ne transige jamais sur les horaires, ni sur le devoir de chacun. Le théâtre, c’est notre maison, on la respecte. »

Les compagnies le disent : “À Tulle, ça marche, ça ne pinaille pas”.

Il reprend : « Les compagnies ont de grosses demandes, elles ne prennent aucun risque. Celles qui nous connaissent savent où elles viennent, on peut négocier. Avec les autres, les plus grosses, c’est plus compliqué », élude-t-il avec diplomatie. « Mais à tous les régisseurs qui arrivent, je dis “j’espère que tu sais que tu viens en vacances à Tulle” », ironise-t-il.

« Ce que j’aime, c’est l’émulsion, quand tout le monde prend sa part pour monter un spectacle. Des techniciens qui montent un plateau, des comédiens qui arrivent avec leur énergie, des administratifs qui portent un spectacle. Comme chez soi, quand on reçoit des amis : on amène une ambiance pour que les gens se sentent bien et nous le rendent sur scène. Je suis un peu l’animateur de ce monde-là. »

« Mon kiff, s’anime-t-il, c’est de regarder la générale tout seul dans la salle. En public, je suis envahi par les questions de sécurité du public ou d’éventuels problèmes techniques. Pendant la générale, il n’y a souvent pas la même intention, mais pas la même pression. »

Mais sa place préférée, c’est « le siège en lointain cour ». Celui tout en haut, où personne ne le voit. « C’est ma niche, disent les gars. » Là où il se pose, réfléchit et trouve des solutions.

Mon kiff, c’est de regarder la générale tout seul dans la salle. En public, je suis envahi par les questions de sécurité du public ou d’éventuels problèmes techniques.

Toujours ? Oui, au théâtre de Tulle, on a toujours joué. Une danseuse qui fait une crise d’épilepsie en coulisse, le Footsband qui « retourne le théâtre », le système électrique qui fond… « Mission impossible accomplie ! », lance-t-il non sans fierté.

« Il faut faire comprendre à tous ceux qu’on accueille qu’on est chez nous, pas eux. Je peux être cinglant pour ça, mais on va tout donner, alors il faut nous respecter. Ici, ce n’est pas comme ailleurs ! » 

Le 1er septembre, Jean-Luc Latour prendra la suite comme régisseur général. Intermittent régie lumière depuis 20 ans, électricien de formation, il a commencé comme cintrier. « On est dans la lignée de ce que les anciens ont mis en place. Je l’ai fait que transmettre ce que Vareilles et les autres ont mis en place », assure Patrice Monzat. « Être à la hauteur du travail qu’il a fait pendant 30 ans, c’est un défi », estime Jean-Luc Latour.

Blandine Hutin-Mercier