Fin de carrière de Romain Bardet en 2025: "je suis en paix"
Q: Comment avez-vous pris la décision d'arrêter en juin 2025?
R: "Je voulais vraiment réfléchir à une porte de sortie qui me convenait, et j'ai mûri ça au fil des mois. J'ai eu la chance d'avoir la totale écoute et compréhension de mon équipe. Je me sens privilégié de pouvoir décider de ma sortie de la sorte. C'est vraiment ce que je pouvais espérer de mieux. Ça coche tous les critères que je m'étais fixé: ne pas arrêter trop tard, être encore en pleine possession de mes moyens, en étant raccord avec ma vision du métier. Refaire encore une demi-saison à fond et après partir sur quelque chose de nouveau, pour avoir une transition vers ce nouveau monde professionnel qui m'attend."
Q: Le choix de continuer une demi-saison n'est pas banal?
R: "C'est original, ça peut paraître même presque un peu farfelu de faire l'annonce comme ça, avant mon dernier Tour de France, en sachant qu'il y aura encore quasiment une année derrière. Mais ça dédramatise aussi l'enjeu de ce qui m'attend en juillet. Et finir sur le Dauphiné, ça me correspond bien. Je ne voulais pas faire une tournée d'adieu sur un Tour de France. Là ça sera au milieu de la saison, un petit peu dans la discrétion, ça me convient bien."
Q: Partir sur un dernier Tour de France n'était pas une option?
R: "J'ai beaucoup d'estime pour le Tour de France, mais je crois avoir fait un peu le tour de la question. Ce sera cette année ma 11e participation. J'espère briller une dernière fois. C'est bien de passer la main, que ce soit dans mon équipe ou au niveau des coureurs français. Sur le court laps de temps qui me reste, d'autres courses comme le Tour d'Italie méritaient que j'y prête attention."
Q: Passer ensuite six mois sur le gravel permet d'atténuer un peu le choc?
R: "Je crois que ce qui me fait le plus peur, finalement, par rapport à l'arrêt de ma carrière, c'est le changement de rythme de vie. Parce que j'adore la vie d'athlète de haut niveau. Mon mode de vie ne va pas changer après ma carrière. Pour moi, le seul vrai sacrifice, c'est d'être loin de ma famille sur une longue période. Je trouvais que c'était intéressant de profiter encore de mes belles années physiques pour s'offrir cette petite parenthèse, me faire plaisir un petit peu. J'aime bien l'ambiance et l'aura qui se dégagent de cette nouvelle discipline."
Q: Dans quelle mesure votre deuxième place à Liège-Bastogne-Liège et votre Giro ont nourri votre réflexion?
R: "Je suis content de pouvoir encore faire des coups comme sur Liège, mais j'ai aussi trouvé mes limites sur la constance sur trois semaines. C'est ce classement général que je ne veux plus faire, parce que je n'en ai plus les capacités. Ca a été vraiment la réponse à toutes mes questions sur le coureur que je suis en 2024, et sur ce à quoi je peux encore aspirer. Je suis très en paix avec tout ça."
Q: Ca vous permettra de courir le Tour cette année plus libéré?
R: "Je l'espère. Le Tour de France est le Graal, mais c'est franchement trois semaines de pure souffrance. Chaque année, durant la course, on se dit: mais qu'est-ce que tu fais là? Même quand je faisais le podium, c'était de la pression continue, sur un fil. D'une heure à l'autre, t'as l'impression que tout peut s'écrouler. Je suis très content de le refaire, mais j'espère l'aborder avec ce recul de me dire que c'est le dernier et de ne voir que le positif. Je l'ai couru pas mal d'années avec des œillères, sans profiter vraiment du cadre fabuleux et du privilège que c'est de courir cette course."
Q: Vous n'allez viser que des étapes?
R: "Ça sera le but. J'ai cherché pendant 10 ans la constance sur le Tour. Maintenant, ça sera vraiment dans un optique de me donner à 105% un jour, et peut-être me retrouver dans le gruppetto certains jours, parce que je sais ce que mon corps peut donner, le niveau actuel aussi."
Q: Quelle trace espérez-vous laisser?
R: "Celle d'un coureur qui, notamment sur les dernières années, s'est donné tous les moyens de réussir et qui, au-delà du palmarès, a voulu envisager le vélo comme un mode de vie, d'accomplissement, pour aller chercher des choses qu'on n'espérait pas. Quelqu'un qui a su relativiser les résultats purs par l'expérience humaine."
Propos recueillis par Jacques KLOPP