Quand la politique déchire les Bleus
Les joueurs de notre équipe nationale devraient-ils rester en dehors de la politique? Leur capitaine Kylian Mbappé exploite sa célébrité pour exprimer ses opinions personnelles: il n’aime pas le RN. En revanche, le milieu de terrain Adrien Rabiot fait preuve d’une meilleure compréhension de ce que c’est que la démocratie. A la fin, l’équipe de France est aussi polarisée que le pays qu’elle représente.
Alors que le championnat d’Europe des Nations vient de débuter, le positionnement politique des membres de l’équipe de France fait l’actualité. Tournant autour de l’hôtel de Bad Lippspringe où logent les Bleus, le journaliste Sébastien Tarrago avait très envie que les joueurs expriment leur point de vue à l’approche des législatives anticipées. Ce fut chose faite par l’intermédiaire de Marcus Thuram, puis du capitaine Kylian Mbappé, qui a déclaré le 16 juin dernier qu’il espérait « être encore fier de porter [l]e maillot [de l’équipe de France] » le 7 juillet prochain, court-circuitant quelque peu le communiqué de la Fédération française de football rappelant sa neutralité politique. Établissant une hiérarchie des priorités à venir, le désormais ex-attaquant du PSG situe l’Euro très en dessous des élections législatives ; un point de vue qui peut s’entendre à l’échelle de la nation mais qui ne rassure pas complètement quant à son implication sportive personnelle.
On pensait que l’entrée en lice de la sélection contre l’Autriche permettrait aux esprits de passer à autre chose jusqu’à ce qu’un joueur vienne contredire en partie son propre capitaine. Adrien Rabiot, milieu de terrain de la Juventus, a déclaré mercredi 19 juin en conférence de presse : « Chacun a ses convictions. Nous, simplement, on veut dire aux gens d’aller voter. Il ne faut pas laisser les autres choisir pour soi. Mon avis est que chacun est libre de voter en fonction de ses convictions. Je ne vais pas vous donner mon vote mais on est dans une démocratie, il faut l’accepter. Celui qui obtiendra le plus de voix, le peuple l’aura choisi ». Un rappel du principe démocratique qui tombe sous le sens mais constitue presque déjà une audace.
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Il y a entre l’équipe de France et le FN, devenu RN, une longue histoire. En 1978, le jeune parti encore peu connu encourageait la sélection à disputer le mondial en Argentine, alors qu’une partie de la gauche la poussait à boycotter la compétition organisée par la dictature des généraux. En 1996, lors de l’euro anglais, Jean-Marie Le Pen avait reproché aux joueurs de l’équipe de France de ne pas connaître la Marseillaise et d’avoir été pour la plupart naturalisé dans un seul but carriériste. A l’époque, Didier Deschamps, joueur et capitaine, était monté au filet pour défendre ses camarades. Face à la récente attitude de Mbappé, Deschamps a rappelé qu’il n’avait fait, lui, que réagir aux propos de Jean-Marie Le Pen. Six ans plus tard, c’est le psychodrame du 21 avril 2002. Les Bleus sont entretemps devenus champions du monde et les dieux de l’époque. Durant la quinzaine anti-Le Pen, ils sortent du bois. Marcel Desailly, fils adoptif d’un diplomate, avait alors qualifié le Front National de « parti fasciste ». Seul Christophe Dugarry s’était tenu à l’écart de cette unanimité. Ancêtre d’Adrien Rabiot en quelque sorte, mais dans une version plus je-m’en-foutiste, il avait estimé qu’entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, aucun des deux candidats ne lui avait donné envie de voter. Aujourd’hui chroniqueur sportif sur RMC, il a fustigé la politisation de l’équipe de France opérée par Kylian Mbappé.
Le clivage Mbappé/Rabiot, début d’un clivage ethnique ? En 1996, l’équipe des Pays-Bas avait volé en éclats en plein Euro. Un peu à cause de questions d’argent, non sans arrière-fond ethnique. Une photographie montrant les joueurs d’origine surinamienne disposés sur une table à l’écart des joueurs blancs, avaient fait couler beaucoup d’encre. Des tensions pas complètement redescendues deux ans plus tard, lors du mondial en France. En 2010, lors du fiasco français en Afrique du Sud, Sydney Govou avait admis que des clans ethniques s’étaient constitués au sein de l’équipe nationale : « Dans la vie de tous les jours, on cherche des affinités, alors en équipe de France aussi. Et quand on cherche des affinités, la couleur c’est la première chose qui vient à l’esprit ». Laurent Blanc, intronisé sélectionneur des Bleus au lendemain de la coupe du monde sud-africaine, prit comme première mesure de supprimer le buffet halal…
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