“Le Masque et les Palmes” : 66 ans de souvenirs cannois
De Quand passent les cigognes à Anora, en passant par La Dolce Vita, La Leçon de piano ou encore Entre les murs, Le Masque et les Palmes propose aussi bien une escapade à Cannes, qu’un voyage dans le temps.
En soixante-cinq épisodes, le nouveau podcast de France Inter compile les avis tranchés, débats voire joutes oratoires qu’ont pu susciter les films lauréats de la tant convoitée Palme d’or.
L’“esprit du Masque”
Alors que soixante-six ans d’archives défilent dans nos oreilles, l’essence de l’émission ne bouge pas. “Le Masque, c’est d’abord du spectacle”, disait le critique cinéma Georges Charensol en 1989. Car au Masque, on s’engueule, on s’interrompt et même des films couronnés n’ont pu y échapper. Sources de débats autour de la table, certain·es les acclament, d’autres n’y vont pas de main morte au point qu’il est difficile de comptabiliser le nombre de “je ne suis pas d’accord” clamés au micro de l’émission à travers les années.
Le Masque et les Palmes offre ainsi le plaisir de retrouver certaines voix incontournables du programme telles que Michel Ciment, Thierry Jousse et surtout l’incontournable “duo/duel” composé de Jean-Louis Bory et Georges Charensol dont les joutes verbales ont rythmé les échanges durant près d’une décennie. Un plaisir satisfait dès le septième épisode puisque Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy ont plutôt divisé les critiques du Masque. Si Pierre Marcabru qualifie le film d’“enchanteur”, Georges Charensol parle de “néo-libéralisme poétique” et dénonce la médiocrité de la musique signée Michel Legrand. Fidèle à son habituelle clownerie, Jean-Louis Bory amorce alors sa réponse en chantonnant à la manière des acteur·ices du film, avant d’en prendre la défense.
Extraits mémorables
Caractérisé par sa liberté de parole, Le Masque et la Plume a souvent été le théâtre de nombreuses conversations endiablées, parfois unanimes, parfois cocasses. Pour celles et ceux qui l’auraient oublié, Martin Scorsese n’a pas su convaincre les critiques de la Croisette lorsqu’il y avait présenté Taxi Driver en 1976. Les termes “entourloupe”, “dégueulasse” ou encore “épouvantable” résonnent ainsi au cours de l’épisode avant que Pierre Billard ne conclue : “si Taxi Driver a le Grand Prix dans huit jours, on aura bonne mine !”. Organisé avant la révélation du Palmarès, le débat est d’autant plus drôle a posteriori. Car oui, Taxi Driver a remporté la Palme cette année-là.
Palme d’or incomprise par les critiques du Masque, Pulp Fiction de Quentin Tarantino a donné lieu, en 1994, à un échange similaire. Mais, le Masque et les Palmes ne revient pas seulement sur des déceptions. On a ainsi le plaisir de réécouter les critiques du chef-d’œuvre de Federico Fellini, La Dolce Vita. Après un désaccord dès les premières secondes, avec Georges Charensol campé sur sa traditionnelle position de trouble-fête, la plupart des invité·es encensent le film, qui représente d’ailleurs “le plus beau que [Francois-Régis Bastide] ait jamais vu”.
Portrait(s) de société
Mettre les films lauréats ainsi bout à bout révèle une évolution au sein du Festival de Cannes et du paysage cinématographique ainsi que certaines permanences. De cette manière, le Masque et les Palmes retrace une véritable histoire du cinéma. Mais ce n’est pas tout puisque, le 26 mai dernier, Rebecca Manzoni décrivait le podcast d’“histoire politique et sociale”. Ces extraits révèlent ainsi certains changements et avancées. Celui consacré à La Leçon de Piano nous rappelle alors qu’une femme (ici Jane Campion) a remporté la Palme d’or pour la première fois en 1993. Puis, plus récemment, les critiques commentant Titane précisent que Julia Ducournau est, quant à elle, devenue la première lauréate française.
Au fil des épisodes c’est aussi l’analyse des films en elle-même qui évolue. “C’est une des rares fois au cinéma où j’ai eu vraiment l’impression qu’il y avait un regard de femme, en particulier sur la sexualité, sur la sensualité”, remarque ainsi Michel Ciment au sujet de La Leçon de Piano. Même constat du côté des thématiques relevées par les critiques notamment vis-à-vis des personnages féminins et des potentiels messages politiques portés par les films (on pense ici aux critiques faites sur Anatomie d’une chute ou Anora).
Une évolution qui se retranscrit au sein même des invité·es du Masque. Si l’émission fait désormais fréquemment appel à des critiques féminines telles que Charlotte Garson et Charlotte Lipinska, le podcast qui en est dérivé révèle le temps qu’il a fallu pour leur donner la parole. Car, si France Roche et Yvonne Baby sont invitées dès les années 1960, il a par la suite fallu attendre la fin des années 1980 pour voir apparaître certaines habituées de l’émission comme Odile Grand, Anne Andreu ou encore Danièle Heymann et Eva Bettan, figures phares du Masque durant les années 2000. Des noms qui viennent ainsi compléter la liste des critiques que les fidèles auditeur·ices peuvent retrouver dans ce podcast. Ce dernier sonne alors bel et bien comme une madeleine de Proust pour nombre de cinéphiles.
Le Masque et les Palmes, extraits tirés du Masque et la Plume. Sur France Inter.