L'histoire d'un village du Puy-de-Dôme en ruines repeuplé par des Portugais
Avant de grimper, une escale s’impose. Enfoui dans une zone d’activités, voici Pousadas du Portugal. Ici, les familles trouvent toujours de la place parmi les 150 couverts. Antonio Da Cunha, 60 ans, revendique le titre de "roi de la morue en Auvergne", rien que ça. Le bonhomme est arrivé du Portugal en 1981 et à l’époque, ses mains caressaient plus le ciment que la bacalhau. L’amour l’envoie dans "la petite ville portugaise du coin" en 1988.
La Roche-Blanche, donc. Chaque fin de semaine, la place de l’église se transformait en "lieu de réunion des familles, se remémore-t-il, tout le monde se retrouvait, on avait l’impression d’être au pays, on se sentait bien".
"Ils n’avaient rien à part leur courage"Cinq minutes suffisent pour sauter du restaurant vers le cœur de la cité aux 3.500 habitants. Pavillons et villas ont fleuri sur les hauteurs. Et voilà que surgit ce bourg, autrefois dépeuplé comme tant d’autres autour de Clermont-Ferrand lorsque Michelin, en pleine croissance, attirait les familles, condamnant à la ruine les habitations.Depuis 2003, Antonio Da Cunha cuisine les spécialités de son pays, le Portugal, au 4, rue du Montel, à La Roche-Blanche.
Les années 1960 marquent un tournant. Alors que la Muraille de Chine est érigée, les Portugais sont de plus en plus nombreux à gagner l’Auvergne pour fuir la misère et bénéficier d’un mouvement de migration favorisé par la firme du pneu.Ils laissent, pour la plupart, une vie rurale dans les campagnes du nord et emportent avec eux un savoir-faire manuel qui s’avérera précieux. Et prennent la direction des bourgades décrépites au bord de la ruine, à l’image de La Roche-Blanche.
Comme à l’usine où l’on se coopte entre amis et cousins pour le grand voyage vers la France, on s’héberge et s’installe ensuite en voisin dans les villages et quartiers portugais. "Tout se dépeuplait, rappelle Jacky Geneix, prof à la retraite de 86 ans et mémoire locale. Ils avaient l’amour de la terre, n’avaient rien à part leur courage et se sont mis à retaper des maisons qui ne valaient rien."
Des ruines à retaperÀ un jet de pierre de l’école, Jose Gomes Da Costa franchit le pas de son portail, un bouquet de chou et quelques haricots sous le bras. "Vite, ça va être l’heure de déjeuner", prévient l’octogénaire, de retour du jardin. Il est arrivé en 1969 après une traversée de la frontière portugaise vers l’Espagne à pied. Après quelques nuits dans une chambre, dans le village, il s’est tourné vers une habitation de fortune.
"J’ai loué cette baraque toute pourrie, montre-t-il de la tête. Quand on est arrivé, ma femme m’a dit “c’est ça la France ?”. J’ai reconstruit la maison et je suis toujours là, j’y resterai jusqu’à ma mort."
Les souvenirs de Jose Gomes Da Costa racontent les vies de tant de Portugais venus trouver un autre destin que celui de misère qu’offrait le salazarisme au pays. Le vieil homme, père de six enfants, passera quatre décennies chez Michelin. Une bonne partie de sa paie servira à rafistoler ses murs et son toit.La Roche-Blanche.
Avec le temps, les anciens ont emporté avec eux les récits de ce lien noué entre la France et le Portugal à la Roche-Blanche. Restent les images de ce film de José Vieira. On y apprend qu’en 1968, l’école était fréquentée par 67 % d’enfants d’immigrés pour la plupart de parents portugais. D’où ce titre choisi par le réalisateur : Chronique de la renaissance d’un village.
Malik KebourPhotos Franck Boileau