Dans le Puy-de-Dôme, un bal clandestin est reparti... comme en 40 !
Ah, jeunesse d’aujourd’hui ! Sais-tu que tu n’as rien inventé ? De tout temps, par exemple, les jeunes gens ont cherché à prendre du bon temps, à se croiser aussi. Et les bals populaires ont fait boum !Toujours ? En tout cas, y compris pendant la Seconde Guerre mondiale où les irréductibles jeunes Français ne perdront jamais vraiment le goût de se rencontrer et de rompre avec les (mauvaises) nouvelles du quotidien, quitte à ce que ce soit dans la clandestinité. Et sans la bénédiction ni de leur paternel ni du gouvernement français.
En mai 1940, celui-ci interdit tous les rassemblements de plus de deux personnes sur tout le territoire français "et bien sûr les bals, par souci de respect envers les prisonniers, en Allemagne", pose Gilles Moissaing, professeur d’histoire retraité.
Le maréchal Pétain sonne la fin de la danseEn fin d’année 1940, la fermeture des dancings, ces salles réservées exclusivement à la danse, est également prononcée. Et le maréchal Pétain se fend d’un message à la jeunesse française le 29 décembre. La distraction, la recherche de plaisirs immédiats, et "l’esprit de jouissance" du Front populaire auraient eu raison, selon lui, de l’esprit de sacrifice et seraient, en grande partie, les causes de la défaite française. Une façon de dire : la fête est finie, restez sagement chez vous. Rideau !Les rideaux, justement, ils se tirent alors pour protéger des rassemblements non autorisés. Débute alors l’ère des bals clandestins, où les airs recherchés par la jeunesse des années 1940 sont des valses, javas et mazurkas. Et les danses à deux qui vont avec…
Un acte de résistance"Dès lors, on peut considérer comme un acte de résistance passive le fait de ne pas observer ce couvre-feu et d’organiser ou participer à des bals clandestins », explique Gilles Moissaing.La reconstitution de l’un d’eux s’est jouée, récemment, à Chaméane, dans le Livradois, orchestrée par Le Vernet Loisirs. Une première manifestation dans le cadre de la commémoration des 80 ans de la bataille de Chaméane (*). Ce soir-là, Folk’Yss animait le bal dans la salle des fêtes de la mairie transformée en grange. Au sol, bottes de paille et outils de fenaison.
Une grange, comme en 40Par souci de vraisemblance, là aussi les rideaux ont été tirés. Alors, sur le parquet, les pas peuvent s’enchaîner dans une insouciance qui, elle, tranche drastiquement avec la connaissance du risque vraisemblablement éprouvée il y a 80 ans. "Car attention : il y avait une vraie répression", souligne Gilles Moissaing !Dès 1941, le nombre de procès-verbaux de la gendarmerie constatant les bals clandestins s’envole.
Dans ma famille, l’un de mes arrières-grands-cousins a été arrêté au sortir d’un bal clandestin, à Bansat. Puis déporté. Il n’est jamais rentré. Il est mort en déportation
rapporte le professeur d’histoire.
"Ici, ça ne rapportait rien de dénoncer"Pour autant, à sa connaissance, dans cette partie du Puy-de-Dôme, il n’y a jamais eu de dénonciation de voisins ou des témoins de ces bals. "Des hommes, pour échapper au STO, venaient se cacher par ici, à la campagne. Ils se proposaient alors comme main-d’œuvre. Ils faisaient des foins, ils faisaient tout. Et ils allaient aux bals, aussi." Pardi !"Pour ne pas les voir, il fallait vraiment le vouloir. Mais ils n’ont jamais été dénoncés." Les sycophantes avaient tout à y perdre : "Ici, dénoncer ne rapportait rien. Ça ne pouvait qu’ôter des forces de travail. Donc, on laissait faire. C’était ambigu : on avait un peu peur de ces réfractaires. Mais ils aidaient à la vie, ici." Quand la dénonciation n’est pas là, les fêtards clandestins, dansent.
Marie-Edwige Hebrard
Reconstitution du bal Clandestin à Chameane, le 15 juin 2024 Photo Richard Brunel.
(*) Les 80 ans de la bataille de Chaméane seront célébrés les 27 et 28 juillet avec de nombreuses animations au programme dont la reconstitution d’un camp des alliés et FFI, l’exploration du parcours de la Résistance, l’exposition d’archives, etc.