Pierre Gentillet en campagne: de CNews aux routes du Cher
Nous avons suivi l’avocat Pierre Gentillet (RN) en campagne, dans le Cher. Dans sa circonscription, on lui réserve un bon accueil. Il faut dire que Marine Le Pen y a fait 50,8% à la présidentielle. Mais, certains lui reprochent d’être parachuté.
Il est comme ça, Pierre Gentillet. Un peu brut de décoffrage, même quand il s’agit d’attirer le chaland. Quand il donne des tracts aux badauds et assure qu’il a « besoin d’eux pour gagner », il ponctue l’échange d’assez sévères injonctions. « Vous croyez peut-être que je vais y arriver tout seul, hein ? ».
Ses amis diraient qu’il manque un peu d’urbanité… Tant mieux : l’avocat parisien fait campagne dans la ruralité.
Faibles densités de population obligent, les échanges de ce type ne sont pas si fréquents : il faut ici chercher l’électeur, avec la même persévérance qu’un taxidermiste qui attend le client. Les 41 habitants au km2 font du Cher un département très rural. La 3e circonscription, où se présente Monsieur Gentillet, fait partie de ce que les géographes appellent l’hyper ruralité, à l’exception d’un morceau de la ville de Bourges qui lui est rattachée. C’est un territoire qui décroche un peu, où la population vieillit, où l’on se plaint du difficile accès aux services publics, et où déclinent l’activité agricole et… l’envie d’y vieillir.
Nos cafés, derniers lieux de sociabilisation de la France périphérique
Autant dire qu’en dehors des jours de marché, on se sent un peu seuls. Lors du boitage, l’équipe de campagne bute en outre souvent sur des mansardes abandonnées ou des résidences secondaires. Sur la départementale, on parle d’embouteillage si jamais l’on croise une voiture toutes les 20 minutes ! Dans les ruelles des villages, à moitié vides, on finit par chatouiller les chats quand on a terminé de faire coucou aux mamies aux fenêtres. En quête de sociabilité, le candidat s’est fixé un objectif : « visiter tous les cafés de la circonscription ». Cafés dont il entend d’ailleurs favoriser la prolifération, car « car ce sont des lieux de vie ».
Toujours à rebours des recommandations sanitaires qui déconseillent l’abus d’alcool et ne voient jamais d’un mauvais œil la fermeture des débits de boisson, Maitre Gentillet s’était déjà fait connaître des téléspectateurs de CNews ou de Cyril Hanouna pendant la crise du Covid en devenant une des figures de l’opposition au confinement et aux mesures sanitaires du gouvernement. Ce n’est pas un novice en politique. Ami de longue date de Jordan Bardella, son mentor Thierry Mariani l’emportait pour ses safaris diplomatiques jusqu’en Crimée et en Syrie où il a notamment rencontré Bachar Al-Assad.
Sur le terrain, il peut tester sa notoriété et sa popularité. Une voiture s’arrête et une vitre se baisse. Un bon Berrichon lui envoie du « On les aura ! » A Saint-Amand-Montrond, un habitué du bar louche un peu, en regardant le candidat entrer dans l’établissement où il est installé. C’est qu’ici la TV est tout le temps branchée sur la 16, sur laquelle Maitre Gentillet officiait encore il y a peu. La réalité dépasse la fiction !
Les parachutés partent pour l’aventure
Présenté comme un parachuté, Pierre Gentillet n’est pourtant pas étranger à cette province, du moins dans ses frontières d’Ancien Régime. Berrichon de l’Indre et non du Cher, il s’est notamment illustré dans son opposition à l’installation du CADA de Bélâbre, à 80 km d’ici.
« Ah le pâté de Pâques de ma grand-mère », « Excellent, le Chateaumeillant »… s’enflamme, en connaisseur du terroir, ce jeune homme de province monté à Paris. Le côté tout feu tout flamme du candidat oblige ses adversaires à se positionner en élus de terrain. La candidate de la LFI, Emma Moreira, jeune étudiante de 21 ans, plutôt avenante, dénonce ce venu-d’ailleurs et dit le pays « gangréné » par les maisons de campagne des « Parisiens », lesquels ne seraient « pas très appréciés » dans son bon Berry. Rencontré sur le marché, le député sortant Loïc Kervan (Horizons) assure lui que la manœuvre partisane ne passera pas : « Je connais des électeurs de Jordan Bardella. Ils refusent ce parachutage et sont dégoûtés par ces manœuvres. Beaucoup d’électeurs reconnaissent le travail que nous avons mené pour le maintien du service public en zone rurale. » Elu d’un territoire ultra périphérique, Monsieur Kervan s’est effectivement illustré par une proposition de loi sur le maintien des écoles en zone rurale.
Quel accueil réserve le terrain au « parachuté » ? Ajouté aux 50.8% de Marine Le Pen dans la circonscription et à la dynamique de campagne, le côté vu à la TV du candidat joue ici à plein, et l’accueil est excellent. Le chroniqueur a vite appris le métier de candidat : il a l’enthousiasme facile, s’étonne de la hauteur des arbres, de l’épaisseur des récoltes, de la générosité du service au bar quand le tavernier remplit les verres à ras bord… Il y a bien sûr quelques résistances : « Je vote RN à la présidentielle, mais vous, je ne vous connais pas, alors que Loïc Kervan, lui, a été présent », raisonne un élu municipal venu porter la contradiction sur le comptoir du zinc. Pour le reste, les autochtones applaudissent ses flots d’éloquence comme ses diatribes sur l’impuissance de l’Etat et autres prophéties sur le retour de l’autorité en politique. La candidate LR, Bénédicte de Choulot, si elle fait valoir son travail d’élue locale et dénonce le centralisme parisien, reconnait qu’aucun électeur ne se plaint auprès d’elle de ce parachutage en réalité.
Lyrisme berrichon
Rarement concret, pas toujours flatteur et mielleux auprès des électeurs, M. Gentillet est plutôt lyrique. Naturel jusque dans ses artifices, si l’on veut, il se présente finalement tel qu’il est : un avocat bouillonnant, féru d’abstractions, avec un cerveau qui émet 10 idées à la minute et qui avale toutes les fiches qu’on lui adresse avant chaque rendez-vous ou prise de parole. Son ambition, certes non dissimulée, repose sur de solides références idéologiques qui déjà le distinguent. Pierre Gentillet doit d’ailleurs sa notoriété télévisuelle à cette faculté d’assertion, et à une identité politique moins lisse que de nombreux cadres et candidats du RN.
La campagne a aussi ses pauses. À midi, le programme s’arrête pour bavarder avec un notable du département sur la popote politique pendant qu’on sert celle de la brasserie du coin. On parle de tout : des médecins qui manquent, des commerçants qui râlent, des jeunes qui s’en vont, du patois qu’on ne parle plus depuis la guerre… On fait aussi le tour de la faune journalistique de la PQR, ou de la flore politique municipale, au sein desquels le jeune candidat aurait beaucoup d’ennemis mais aussi quelques soutiens discrets. « L’argument du parachutage ne tient pas du tout, la question que tout le monde se pose, c’est : est-ce que je me battrai pour vous ou pas ? » On peut bien lui reprocher d’être né à l’autre bout du Berry, mais Pierre Gentillet arrive au moins à convaincre qu’il est un candidat combatif.
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